
Naïvetés porcines
( Suite ).
A force de se croiser et d’échanger des sourires, mon père et ma mère se sont « rencontrés », puis fiancés. J’essaie de faire parler ma grand-mère sur le mystère qui entoure, dans presque toutes les familles, la rencontre amoureuse entre « Papa et Maman ».
– » Tu sais, mon fils, je n’ai pas voulu intervenir quand ta mère a décidé d’épouser ton père. Je ne voulais pas agir comme ma propre mère qui ne voulait pas que j’épouse ton grand père, « trop allemand » à son goût….Moi, je trouvais que ton père était un peu trop maltais…Les maltais ont la réputation d’être un peu trop « machos »… ». J’aurais préféré qu’elle épouse Vincent Giordano, le fils d’une amie, un garçon sérieux, d’une famille italienne,…mais, bon!!!… »
Le mariage a néanmoins eu lieu en grande pompe, suivi d’un banquet au Restaurant « Le Pavillon Bleu » aux Deux Moulins. C’est ainsi, dans beaucoup de familles méditerranéennes: on n’a pas un sou, mais on se ruine pour fêter un mariage !!!!
De ce mariage naîtront cinq enfants dont je suis l’aîné. J’y reviendrai.
Ma mère présentera son mari à Prosper Durand. Tout de suite, mon père, cet homme pourtant peu chaleureux, au caractère plutôt ombrageux, mais à l’intelligence vive, et surtout infatigable travailleur , plaît à Prosper Durand qui le propose à son gendre: le Docteur Fine, qui exerce la médecine en France et vient rarement en Algérie, possède un grand domaine agricole sur le quel il a greffé un Club de tennis avec Club House, Restaurant et piscine ( où j’ai failli me noyer…) à Badjarah, tout près d’Alger. Mon père en deviendra, en quelle que sorte, le Régisseur.
Ce sera sa première expérience en la matière,mais il y en aura d’autres. Dont celle de la gestion d’un autre domaine, celui de la famille Mérigot, armateurs et propriétaires d’une Compagnie de Navigation . Ce domaine arboricole et de vignobles, mon père en fera un petit bijou. Ce qui ne lui vaudra pas, pour autant, la reconnaissance de la famille Mérigot, au moment de l’Indépendance de l’Algérie….J’y reviendrai….
C’est dans de telles circonstances que mon père sera confronté au contact avec des « vrais colons », des propriétaires, héritiers de domaines familiaux, où ils ne mettaient jamais les pieds, si ce n’est pour empocher « les bénéfices » et repartir en France. Des gens pour qui les liens avec l’Algérie n’étaient que des liens vénaux, car cette terre où ils n’étaient d’ailleurs pas nés ne leur inspirait aucun sentiment d’attachement.
J’ai quelques souvenirs de tout cela:
A Badjarah, il y avait sur la propriété agricole, un métayer, Mr Gomez qui vivait sur l’exploitation avec sa famille. Ces gens avaient l’accueil simple et chaleureux des Pieds Noirs d’origine espagnole, et mon père nous a parfois confiés à eux, mon second frère et moi, pour des vacances scolaires.
Mon père venait là une fois par semaine, pour faire la paie des ouvriers. Il s’installait devant l’écurie, avec une petite table, et les Arabes, alignés, se présentaient, chacun à son tour, pour recevoir leur dû.
Je devais avoir onze ou douze ans, et j’ai souvenance d’une scène qui est restée dans ma mémoire. Mon père avait coutume d’offrir à chaque ouvrier,- il les connaissait nomément, et connaissait la situation de famille de chacun-, des gros pains qu’il ramenait, tout chauds, d’une boulangerie d’Hussein-Dey. Chacun des ouvriers recevait, en prime, donc en plus de son salaire normal, un ou plusieurs gros pains, en fonction de sa situation familiale. Les ouvriers remerciaient par un « ya ramoualdick »sonore….
Ce jour-là, la paie avait lieu en présence du propriétaire du Domaine de passage à Alger. Le Docteur Fine, s’adressant à mon père sur un ton qui m’avait profondément choqué, lui reproche cette « libéralité », pourtant bien modeste et destinée à humaniser quelle que peu la relations avec des ouvriers dont certains travaillaient là depuis de nombreuses années.
Par la suite, j’ai su, de la bouche de Mr Gomez, que malgré cet « incident », qui m’avait révolté, mon père avait continué, à ses frais, à distribuer ce pain qui dans son esprit, devait être un acte de générosité modeste mais symbolique.
Pour moi, « les vrais colons », c’était cela.
Non que tous les « colons » aient eu, en Algérie, ce type de comportement. Car il faut faire la distinction entre les agriculteurs qui étaient nés là-bas , vivaient « sur » et « de » leur exploitation agricole, parmi leurs ouvriers, dans des « bleds » isolés, loin de tout, et ceux qui n’avaient aucun lien avec une terre dont ils avaient hérité, et sur la quelle ils n’avaient jamais travaillé ni laissé une goutte de leur sueur….
A la ferme, on « tuait le cochon » en famille.Tout le monde y participait, Monsieur Gomez dirigeant les « opérations »avec son épouse. Et j’ai assisté, horrifié par les cris de la bête, au sacrifice, puis à la découpe de la bête, qui en une matinée, était transformée en saucisses, soubressades, pâtés, jambons et autres charcuteries….
Le jour où l’on « tuait » le cochon, – c’était en général pendant les vacances scolaires de Noël -, avait lieu un sorte de grand banquet, en plein air: la famille Gomez au complet était là, ainsi que notre famille, et pour la circonstance, mes deux grands mères étaient là, au bout de la table, manifestement heureuses de participer aux agapes. Les Gomez avaient préparé une grande paella, ma grand mère paternelle avait préparé des « tapas », et l’autre grand mère un grand plat de salade de tomate à la mozarella et au basilic et ma mère, son flan délicieux aux oeufs et à la vanille…
Participaient à la « fête »les deux Arabes »contre-maîtres » ( c’était le terme exact ) – qui n’avaient pas participé, évidemment, à l’abattage du cochon, mais qui avaient l’air heureux d’être là – et leurs femmes, dévoilées, qui, avec Madame Gomez, et ma mère paticipaient à la préparation et au service du repas.
Je ne sais si on comprendra, à travers ce court récit, la complexité des rapports sociaux qui existaient en Algérie. Une complexité qui a échappé à de nombreux chroniqueurs de la vie de cette époque.
Ma famille est, en quelque sorte, le prototype de la famille de Pieds Noirs, venus en Algérie pour survivre et y travailler, avec un niveau de vie relativement modeste, qui entretenait avec les « Arabes » des rapports dépourvus de supériorité ou de condescendance, des rapports souvent amicaux et même parfois chaleureux.
Je n’ai, pour ma part, dans mes jeunes années, jamais ressenti d’hostilité ou de difficulté dûe à des différences de culture ou de religion. Nous vivions côte à côte,mais sans nous ignorer, chacun respectant les usages et les règles de vie de l’autre. Que ce soit avec mes copains de Belcourt, – même avec ceux qui étaient un peu voyous « sur les bords »- , que ce soit à l’école, ou au lycée, que ce soit au football, et plus tard à la Fac, je n’ai jamais été confronté à une détestation ouverte de la part des « Arabes » que j’ai fréquenté pendant toute ma jeunesse. Même s’il m’est arrivé d’échanger quelques coups de poings avec eux pour un litige au cours d’une partie de foot, cela n’allait pas très loin et ne comportait aucune connotation « raciale », comme on dirait aujourd’hui…
Cela surprendra certainement, mais pendant mes jeunes années, je n’ai jamais entendu prononcer, dans mon entourage les mots dont on abuse aujourd’hui : « stigmatisation », « islamophobie ». L’Islam était présent autour de nous mais ne mous menaçait pas, donc nous n’en avions pas peur.
Ma grand mère me parlait quelques fois de « racisme », mais il s’agissait surtout des problèmes rencontrés par les Juifs pendant la guerre. Le »racisme » était latent, probablement, mais il n’empêchait pas le petit peuple de Belcourt ou de Bab El Oued de cohabiter, de se retrouver le soir après le travail au bistrot pour jouer à la belote ou au jacquet, sur les terrains de pétanque ou de foot, toutes confessions confondues.
Certes, j’ai toujours ressenti le poids de la religion musulmane dans le comportement des Arabes avec qui nous cohabitions. Mais à cette époque l’Islam pratiqué par les Algériens était réellement un « Islam modéré ». Les femmes, surtout les femmes âgées, portaient le « haïk »blanc, mais sans ostentation, et les plus « évoluées », – comme on disait alors -, s’habillaient le plus souvent » à l’européenne ».
Un ami arabe de mon père ne mangeait pas de cochon, mais mangeait volontiers…du jambon !!! Ce qui nous faisait sourire …
Ce n’est que beaucoup plus tard, parvenu à l’âge adulte, que je serai confronté aux réalités et aux difficultés de notre cohabitation avec les musulmans.
Car, hélas, tout a changé, par la suite, mais très progessivement, au lendemain du 1er Novembre 1954….
Je m’étonne, encore aujourd’hui, de la profondeur du fossé que le terrorisme aveugle et cruel du FLN, et la réponse brutale de l’Armée, ont pu creuser en quelques années, au point d’instaurer des rapports de méfiance entre des êtres qui jusque là avaient vécu paisiblement et côte à côte, au point de suspecter et de craindre l’Arabe au côté de qui on avait vécu de longues années: combien de nos compatriotes ont été assassinés, parfois avec sauvagerie, par « l’homme de confiance » , celui qui avait les clefs de la maison et participait aux joies et aux peines de la famille….
Mais cela est une toute autre histoire.
(à Suivre ).
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