Propos d’un soir…


Ce qui préoccupe les gens de ma génération, c’est l’inquiétante poussée de violence qui affecte la vie politique française depuis quelques temps. Les échanges de noms d’oiseaux sont devenus monnaie courante dans les débats qu’il s’agisse des débats à la Télévision, au Parlement ou au sein même des Partis politiques.

Sans doute, cette violence est-elle le reflet de la violence qui a envahi la société française, et qui atteint aujourd’hui des sommets, dans certaines banlieues où les réglements de compte et les exécutions sont quotidiennes, et se banalisent….

Dans le même temps, ce qui étonne et inquiète à la la fois, c’est l’inaptitude des deux plus grands partis de gouvernement que compte la France à se hisser à la hauteur des difficultés que doit surmonter notre pays, et à se poser en modèles de respect des règles de la démocratie.

Cette inaptitude semble être le vice de toute une génération politique, celle qui est « aux affaires »aujourd’hui, et qui a été marquée par sa révolte « d’enfants gâtés » contre les générations qui l’avaient précédée. La « génération de Mai 1968 », habituée à se laisser griser par des utopies sans lendemain, et par « l’abus de la violence des mots creux », n’a pas fini de tirer la France vers le bas….

Ainsi, les Primaires, pourtant bien organisées au Parti Socialiste, nous avaient fourni un échantillon de la violence verbale qui caractérise les débats, et on peut dire que François Hollande,-entre autres-, aura été « habillé des pieds à la tête » par ses concurrents, en qualificatifs dégradants. Cela ne l’a certes pas empêché de devenir Président de la République.

On vient d’assister à l’UMP, à des échanges insultants qui ne volent guère plus haut. Et dans ce Parti qui aspire à représenter une alternance crédible à la majorité actuelle, on assiste également, à une débauche de violations des règles de la démocratie électorale.

La violence verbale, dans chaque camp, ne fait, à mes yeux, que masquer la pauvreté des idées et elle concoure à l’abaissement du niveau du débat démocratique.

Il suffit d’assister sur la Chaîne Parlementaire à une séance de questions au Gouvernement, à l’Assemblée Nationale, pour avoir un aperçu de cette violence stérile, et de l’absence de débat, jusqu’à la caricature. 

Certes, je sais bien que le phénomène n’est pas nouveau, et qu’à d’autres époques de notre Histoire, il s’est manifesté aussi bien à la tribune du Parlement que dans la Presse, mais il est facile de montrer qu’il réapparaît notamment dans les périodes critiques  que traverse notre Pays.

Or la période que nous traversons, est à bien des égards, une période des plus critiques: la France se trouve sur l’arrête étroite d’un chemin bordé de précipices. Selon le côté où elle glissera, son destin et celui des générations futures s’écrira dfféremment.

Or le peuple français est aveuglé par la démagogie de ceux qui l’ont habitué à ne plus voir les réalités en face, et bâtissent leur discours politique sur un « langage d’évitement », qui consiste à refuser de nommer les faits et les évènements, sous prétexte que « dire les choses, c’est clivant »…   

Une classe politique, qui, obsédée par ses « égos », a habitué le peuple français, par facilité et par calcul, à se contempler le nombril, ce qui l’empêche de voir qu’il est confronté à un « nouvel état du monde », et que ce n’est pas en traitant avec mépris les propos lucides de ceux qui sont devenus, pour certains, des « déclinologues », qu’il  échappera à son destin. 

Hier soir, après avoir fait un tour sur les chaînes d’information en continu, puis sur l’émission « C’est dans l’Air », j’ai éteint mon poste, écoeuré par tout ce que j’ai entendu.

 Et pour éviter de me coucher avec des idées noires, je me suis réfugié, pendant une heure, dans le silence de la nuit, au coeur des pages en « papier bible » de l’ouvrage de « la Pléïade » consacré à Alain, ce philosophe passé de mode, dont Monsieur Alavoine, ce professeur de Philo que je vénère, nous parlait si souvent.

Et je me suis offert, pour une heure, une cure de bon sens et de sagesse, un retour à des idées simples mais généreuses, portées par une langue intelligible et pure.

J’ai ouvert, par hasard, ce livre à la page des « Propos », une suite de textes sans lien logique entre eux, mais dont il est possible de dégager, par petites touches, des constantes qui sont les idées maîtresses de ce philosophe: défense de la noblesse de l’individu, et de sa liberté, et le doute comme condition indispensable de la liberté de penser par soi-même.

Ecrits au jour le jour, ces textes mêlent habilement ,en évitant une terminologie philosophique hermétique, son expérience humaniste, ainsi que la pensée des maîtres aux quels il se réfère constamment: Platon, Aristote, Spinoza, Comte et Kant.

Une lecture apaisante, qui élève l’esprit, et qui donne au lecteur le sentiment d’acquérir une forme de sagesse et de distanciation par rapport aux misères de notre condition humaine.

Je vous en offre ces extraits:

« …Penser librement, c’est chercher l’accord, et l’accord par liberté. Il n’y a pas un esprit libre qui n’aime et ne cherche les esprits libres. C’est se mettre à la recherche du semblable; c’est vouloir l’éveiller et le reconnaître en toute forme humaine. Dès que l’on aime la dispute de bonne foi, l’accord est fait. Celui qui me contredit je ne peux point vouloir qu’il soit esclave, qu’il soit flatteur, qu’il soit vaniteux, qu’il ait peur de tout. Au contraire, c’est la hardiesse d’esprit et le feu de l’invention que l’on aime dans l’autre, comme on l’aime en soi-même ».

Et plus loin,… » le doute est le sel de l’esprit… Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et qu’il faut examiner toujours…Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors, dites adieu à la liberté, à la justice, à la paix……La fonction de penser ne se délègue point…. »(Alain, »Propos. » Gallimard 1956).

Il n’y a pas de Démocratie sans dialogue, et pas de République sans Démocratie. Revenir au dialogue, avec de bons, de vrais arguments, et tourner le dos à l’invective qui ruine le dialogue.

Et surtout, ne pas avoir peur de mettre des mots sur les choses. Appeler « un chat, un chat, ça n’a jamais blessé les oreilles d’un chien » disait ma grand mère…..