« Et moi, je vis toujours »….


J’achève la lecture simultanée de deux ouvrages dont les auteurs font partie des « monuments » de notre littérature, tant par la richesse de leur œuvre que par la qualité littéraire de leur écriture.

Le premier, notre contemporain, vient de nous quitter, en créant un grand vide et en nous laissant le souvenir de son immense culture, servie par un style d’une grande pureté qui fait irrésistiblement penser à celui du second, auquel de nombreux critiques l’ont souvent comparé….

Lire, en parallèle « Et moi, je vis toujours », l’une des dernières œuvres de Jean d’Ormesson, et « l’Itinéraire de Paris à Jérusalem » de Chateaubriand, c’est vivre une merveilleuse aventure littéraire, dans le Temps, avec Jean d’Ormesson et dans l’espace, avec Chateaubriand, en partant à la découverte de cet Orient qui fascina tant d’artistes et tant d’écrivains au XIXème siècle….

D’Ormesson nous entraîne dans un voyage à travers le Temps, et, nous prenant par la main, nous entraîne dans un vertigineux parcours à travers l’Histoire des Hommes, de leurs Civilisations, de leurs découvertes, de leurs Mythes, dans le but de nous convaincre de ce que l’Homme n’est qu’UN, que l’on soit à Jérusalem, à Byzance, à Venise, …ou à New York.

La capacité d’émerveillement de Jean d’Ormesson devient contagieuse et ses incursions dans les mondes africains, sumériens, ou troyens excitent notre imaginaire.  Sa proximité avec Homère , grâce à son talent de conteur nous rendent Ulysse familier.      « Je suis Ibn Batouta sur le point de quitter Tanger pour la Perse et le Niger, et l’oncle de Marco Polo sur la route de la soie, et Patrick Leigh Fermor en chemin vers la Grèce, et Huiang-tsang dans les sables du désert et sous la neige de l’Hindou Kouch, et je suis « le Juif errant ». « 

« L’Itinéraire de Paris à Jérusalem » ressemble plus à un carnet de voyage, sur lequel Chateaubriand note ses observations et ses impressions. Cela nous vaut de superbes descriptions de couchers de soleil sur l’Acropole, des observations subtiles sur les mœurs des pays traversés, des portraits de personnages hauts en couleur reflétant toute la complexité des peuples de cet Orient à la fois si proche et si lointain, et toujours aussi mystérieux….

Ayant parcouru moi-même, certaines des régions qu’il a dû traverser, je mesure la justesse de ses impressions personnelles, La conflictualité des rapports entre Grecs et Turcs transparaît dans son récit.

Au moment de quitter Constantinople, il note :  » Les sentiments qu’on éprouve malgré soi dans cette ville gâtent sa beauté: quand on songe que ces campagnes n’ont été habitées autrefois que par des Grecs du Bas-Empire, et qu’elle sont aujourd’hui occupées par des Turcs, on est choqué du contraste entre les peuples de ces lieux: il semble que des esclaves aussi vils et des tyrans aussi cruels n’auraient jamais dû déshonorer un séjour aussi magnifique ».

A Jaffa il rencontre le Curé de la ville qui fort de sa connaissance des mœurs de l’endroit, dit à Chateaubriand,  » Vous ne connaissez pas ces gens-ci: ce que vous prenez pour une politesse est un espionnage. On n’est venu vous saluer que pour savoir qui vous êtes, si vous êtes riche, si on peut vous dépouiller. Voulez-vous voir l’Aga ? Il faudra d’abord lui apporter des présents ????Les Arabes persuadés qu’un riche Franc va en pèlerinage au Saint-Sépulcre, augmenteront les droits de Caffaro, ou vous attaqueront »…..

Qui connaît cet Orient lointain, méconnu et mystérieux, n’en sera pas surpris. Déjà à cette époque nos « valeurs » sont si éloignées des leurs que tout rapprochement nécessite un effort sur soi, pour s’accommoder de situations auxquelles nous sommes tellement étrangers…

Je doute que la « mondialisation » dont on nous rabat les oreilles ait changé grand chose dans cet état des lieux…. 

Ce qui n’a probablement pas changé depuis l’époque du voyage de Chateaubriand, c’est la beauté du site de Jérusalem, vue du Mont des Oliviers, lorsque la lumière du soleil couchant laisse flotter sur cette ville, un hâle de sainteté qui bouleverse même celui qui n’est pas habité par la foi.

Au moment de refermer ces deux ouvrages je me prends à rêver et dans ma mémoire se bousculent toutes sortes de souvenirs de mes incursions passées, en Grèce, bien sûr, mais aussi en Turquie, en Israël, en Jordanie, à Pétra, à Alep, à Damas et et dans toute cette malheureuse Syrie déchirée par de multiples affrontements dont le moindre n’est pas l’affrontement entre Chiites et Sunnites qui, à travers les siècle n’a jamais cessé et continuera longtemps encore…..

Et je ne puis m’empêcher de lire et relire la page 271 du livre d’Ormesson, qui, compte tenu de mon âge , trouve en moi, une résonance intime particulière:

 » Et moi, je vis toujours « . Toujours ? ….. Y a-t-il une fin de l’histoire ???Chacun de nous naît, vit et meurt: comme les trois personnes de la Trinité pour les Chrétiens – les savant disent : les trois hypostases – les trois occurrences n’en font qu’une . Naître, pour vous, c’est déjà mourir: mourir c’est avoir vécu. Moi je ne meurs pas. Je continue. »

J’envie Jean d’Ormesson. Il est vrai que grâce à son talent, il était devenu « Immortel »…..

Immortel, je ne le suis pas. Et je le sais : je suis condamné à regarder La Mort en face….

Et je n’ai pas, hélas,son art, – à nul autre semblable -, de traiter les choses graves, – comme le sujet de la Mort -, ni cette légèreté pour évoquer ces choses graves, ni ce talent pour aborder avec sérieux les choses légères , ni même ce clin d’œil malicieux lorsqu’il évoque la Tragédie. Et ce sourire qui revêt son visage d’un masque , pour exprimer tantôt  l’insouciance, tantôt la douleur…

 

« Macron sceptique »….


Macron

Un de mes lecteurs s’interroge sur les raisons qui m’interdisent d’être un partisan chaleureux de Macron, dont les décisions courageuses, – selon lui -, vont dans le sens d’une conception de l’Etat que je semble partager, (toujours selon lui …).

Je m’en suis pourtant expliqué dans un de mes précédents billets, intitulé « Macron, des racines et du zèle ».

https://berdepas.com/2018/03/29/macron-des-racines-et-du-zele/

Outre mes réserves personnelles à l’égard du parcours du personnage de Macron – ( j’en ai connu d’autres construits sur le même modèle …), des raisons plus profondes m’incitent à ne pas m’associer à l’engouement que suscite ce Président, jeune et beau, cultivé, anglophone, et jupitérien.

Je n’ai jamais été attiré par les thèses de ceux qui défendent l’idée que « la France veut être gouvernée au Centre ».

Le centrisme, sous le prétexte d’effacer les clivages entre la Droite et la Gauche, outre le fait qu’il ne s’inscrit pas dans la logique des Institutions de la Vème République, m’apparaît comme une sorte de « compromis » ambigü entre une « Droite molle » et une « Gauche édulcorée ». Ce faisant, le « ni Droite, ni Gauche » qui tente de mettre hors du jeu politique les autres partis, recèle un danger mortel pour nos Institutions: celui, en cas d’échec, d’ouvrir la voie, sans obstacle, au Partis les plus extrémistes.

Le «ni droite ni gauche» appauvrit, en effet, le débat politique et ouvre la voie à une dangereuse alternance entre le centre et les extrêmes.

Or, si les Partis extrémistes peuvent être réduits au silence, leurs idées continuent à vivre et à se diffuser dans l’électorat en attendant l’occasion d’émerger.

Cela ne veut pas dire que je souhaite l’échec de Macron, car son échec serait celui de la France et de ses chances de réussite dans des réformes indispensables pour le pays.

Mais l’euphorie ambiante entretenue par une « macromania médiatique » ne doit pas dissimuler les obstacles auxquels Macron va se heurter: l’actualité nous montre que le déferlement des réformes se heurte à une opposition de plus en plus musclée, en attendant d’être organisée, dans l’espoir auquel l’extrême gauche ne renonce jamais, celui d’une « coagulation » favorisant une « convergence des luttes »…..

Autant dire que, dans le domaine des réformes intérieures, Macron est « entré dans le dur »…..

Sur le plan européen, ses velléités de réformes vont très vite se heurter au scepticisme et aux résistance de nombre de nos « partenaires ».

Je doute que l’Allemagne puisse, dans le nouveau contexte auquel Merkel doit se soumettre, le suivre. Et je ne parle pas de la résistance des pays de l’Est européen, et de la Pologne, où, sur fond de crise migratoire, se développent de nombreux mouvements eurosceptiques et souverainistes.

Les idées de Macron et sa conception jupitérienne d’un « mondialisme libéral » se heurtera au scepticisme de nombreux « partenaires européens »,  auxquels ses propositions sur l’Europe paraissent à la fois discutables et peu crédibles . Je ne parle même pas de l’idée saugrenue de vouloir élargir encore l’Europe aux pays des Balkans qui n’y sont pas encore, au lieu de chercher à répondre aux inquiétudes et aux hostilités que suscite l’Europe des technocrates bruxellois.

Car le problème n’est pas tant celui du « Frexit ou pas Frexit », du fédéralisme à tous crins ou d’un souverainisme à la mode ‘méchenchono-lepéniste’, mais celui de savoir vers  quelle Europe les peuples européens veulent-ils aller? Celle de l’élargissement sans fin voulue par Macron ou une Europe respectant les souverainetés nationales et resserrée autour de quelques projets cruciaux et dotée enfin des normes fiscales et sociales communes?

Or ce débat est pour le moment occulté, les partis de gouvernement étant encore sous le choc de leur défaite.

Je souhaite donc ardemment le retour d’une droite « décomplexée », s’appuyant sur le solide argumentaire européen d’un Philippe Seguin, qui reste, à mes yeux, l’un des rares hommes d’Etat honnête, visionnaire et plus ambitieux pour la France que pour lui-même, que la Vème République ait connus.

On a encore le droit de rêver, non ????

Dans un discours d’anthologie, dont tout a été fait pour qu’il sombre dans l’oubli, Philippe Seguin assénait son message devant un parterre de Députés subjugués. Ce message conserve toute son actualité, et la Droite française serait bien inspirée de s’y référer !!!

« Voilà trente-cinq ans que le Traité de Rome a été signé. Voilà trente-cinq ans que, contrairement à son esprit, une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants, prend des décisions au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat. L’Europe conçue par ces technocrates et consacrée à Maastricht n’est ni libre ni juste. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution. La citoyenneté ne se décrète pas, ne relève ni de la loi, ni du traité. Pour qu’il y ait une citoyenneté européenne, il faudrait qu’il y ait une Nation européenne. Mais on ne peut pas décréter une nation, fût-elle européenne, par traité. »

Ce texte, qui n’a pas pris une ride, est extrait du discours prononcé par Philippe Séguin, à l’Assemblée Nationale dans la nuit du 5 au 6 mai 1992, dans le cadre du débat consacré au projet de loi de révision constitutionnelle préalable à la ratification des accords de Maastricht.

 

Post-Scriptum :

http://premium.lefigaro.fr/vox/politique/2015/01/06/31001-20150106ARTFIG00364-philippe-seguin-pourquoi-les-politiques-devraient-lire-le-discours-de-maastricht.php.

http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/philippe-seguin-5-mai-1992

Quand les « Bobos » se rebiffent…


Bobo

J’ai souvent utilisé le terme, – un brin provocateur -, de « Bobos » pour qualifier une catégorie de Français bien particulière dans l’électorat de notre Démocratie.

Je ne suis évidemment pas le seul à l’avoir fait et peu à peu, ce terme a pris, dans les médias institutionnels, dans lesquels les « Bobos » s’expriment volontiers, une connotation vaguement péjorative. Au point de susciter une certaine irritation dans ce petit monde….

Selon « Wikipedia »,  » le terme bobo, contraction de bourgeoisbohème, désigne un sociostyle, c’est-à-dire une tentative de caractériser un groupe social selon les valeurs que ses membres partagent, plutôt que selon leurs caractéristiques socio-économiques ou démographiques.

S’il est difficile de précisément décrire un bobo, le sociologue Camille Peugny donne en 2010 cette définition : « une personne qui a des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profite des opportunités culturelles et vote à gauche2 ».

Mais dans un article récent, l’hebdomadaire « Le Point, fait état d’un ouvrage collectif, dans lequel cinq universitaires récusent la pertinence du terme « bobo », aujourd’hui trop connoté négativement. Ces scientifiques ont été, ainsi, appelés à la rescousse, pour tenter de donner à ce qualificatif, un contenu sociologique positif.

Et leur conclusion, c’est que « les Bobos » n’existent pas !!!

http://www.lepoint.fr/societe/et-si-les-bobos-n-existaient-pas-05-04-2018-2208382_23.php#xtmc=les-bobos&xtnp=1&xtcr=1

Cette conclusion me surprend, et j’émets quelques réserves sur le caractère « scientifique » de ces conclusions, car pour moi, les « Bobos » existent bel et bien et cette catégorie sociologique, dont les prises de position sont parfois déconcertantes m’a toujours semblé parfaitement identifiable , grâce, précisément, à ces prises de position !!!!

Le portrait robot du parfait « Bobo » pourrait s’inscrire dans cette description:

1- Le Bobo vit dans les beaux quartiers des grandes villes, là où se concentrent généralement, les meilleurs spécimens de la « Gauche Caviar ». On le reconnait parfois à son look « Bad Boy » « bon chic, bon genre » imitant le style populaire des « banlieues »….
2- il appartient à une catégorie « d’anywhere », plus ou moins déracinés, et met un point d’honneur à défendre, bec et ongles, un « sacro-saint »multiculturalisme considéré comme le degré ultime d’évolution d’une société sans identité.
3- il est à la pointe, non pas du progrès, mais du progressisme : il fait donc souvent partie de mouvements extrémistes, à condition qu’ils soient « tendance » : véganisme, féminisme, écologisme, et j’en passe…
4- il gagne suffisamment bien sa vie pour ne pas connaître le quotidien d’une majorité de Français, et suffisamment peu pour pouvoir critiquer les riches avec une parfaite bonne conscience.
5- il prolifère dans certaines catégories professionnelles, parmi lesquelles, les sociologues, les « journaleux », les Universitaires, les Cadres de grandes entreprises, les « stars » du show business, et tout un microcosme de « sachants » !!!!
6- Le Bobo vit « dans sa bulle », loin de « l’agitation » des Banlieues, fort de ses certitudes et de la supériorité de ses « valeurs »: ceux qui ne partagent pas ces valeurs sont à classer dans la catégorie des « fachos » qui remplacent dans leur esprit « le fâcheux » d’autrefois, celui que l’on prie de se taire car son discours dérange….                                                                               
7- Le « Bobo » a parfois une grande gueule et aime bien donner des leçons de morale. Il est particulièrement actif sur les réseaux sociaux et dans les associations politisées, à gauche, de préférence. Il prêche avec une émouvante conviction, la tolérance envers les valeurs qu’il défend, mais ne tolère guère ceux qui s’en écartent. Sa « bienveillance » lui sert de refuge contre les menaces qui gangrènent notre société.
8- il se méfie comme de la peste de tout ce qui ressemble à de l’autorité qu’il assimile très vite à « la dictature »,
9- traumatisé par un passé qu’il n’a généralement pas connu, il tente de se protéger en s’inventant un avenir imaginaire qui y soit radicalement opposé, jusque dans la langue.

Il est donc de tous les combats visant à casser les codes, créer une novlangue, bouleverser les institutions. L’immigration de masse ne lui pose aucun problème puisque ses conséquences ne le concernent guère….Et il adore « le Rapp » et les rappeurs !!!

10- il a souvent un excellent niveau d’éducation, ce qui le rend « supportable »….
11- il est très souvent de gauche, mais pas que !!

12 – Le « Bobo » parfait exècre Trump et Poutine, qui le renvoient à son image « dévirilisée », mais le « Bobo », fan de Trudeau, peut avoir des indulgences pour Castro, pour « le Che », et même pour les Monarchies du Golfe !!!

Sachant mieux que quiconque ce qui est bon pour le France, il a voté par déterminisme social pour Macron, parce que Macron était jeune et beau, et qu’il se proposait de mettre un terme au « monde ancien » et ses vieilles badernes, pour le remplacer par un « nouveau monde » dont nul, y compris lui-même, ne sait où il conduira « ce cher et vieux pays ».

Un Bobo bien dans sa peau vous répliquera, avec hauteur et un soupçon de commisération, que notre avenir, – nous devrions en être convaincus !!! – c’est l’Europe, sans jamais préciser « quelle Europe » !!! Et que notre destin passe par Bruxelles où d’authentiques technocrates barbus tiennent la barre d’un bateau ivre ( aucune allusion au Président Junker, évidemment !!! ) et sans boussole…