Alger, la « nostalgérie » 2.


Algérie revenezDessin de l’humoriste algérien Diem
« Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent plus dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.«   Albert Camus, Prix Nobel de littérature. 1957.

La nostalgie est un état dont on ne guérit pas. Elle vous poursuit, pour resurgir dans les circonstances et les moments les plus inattendus. Il suffit d’un mot, d’une image, de quelques notes de musique pour que s’entre-ouvre la porte de vos souvenirs, même ceux que vous avez réussi à chasser ou à enfouir sous les décombres de votre passé.
 
L’Algérie, c’est trente ans de ma vie. Des souvenirs par milliers que les circonstances et l’exil m’ont incité à refouler, pour tourner la page.
Au soir de ma vie, il m’arrive d’y repenser. De plus en plus souvent. Je n’ai plus de raison, aujourd’hui, de refouler ce passé. Bien au contraire, je reprends plaisir à renouer avec lui, en retrouvant , dans la Presse francophone algérienne, des noms de lieux familiers. Je m’intéresse à l’actualité de ce pays que je n’ai jamais pu considérer, malgré les évènements tragiques que j’y ai vécu, comme un pays étranger.
Comment le pourrais-je alors que sur cette terre reposent trois générations de mes ancêtres ???
 
Mes souvenirs de jeunesse, je les ai évoqués – en partie – dans de nombreux billets sur ce blog. Des billets que j’ai regroupés sous le titre de « Algérie. O tempora. O mores » ( autre temps, autres moeurs). Ce sont les souvenirs d’une jeunesse pauvre mais heureuse.
 
Et pourtant, de l’Algérie qui hante mes souvenirs, je ne parle que très rarement autour de moi. A quoi bon ??? Entre la réalité telle que je l’ai vécue , et la perception qu’en auraient mes interlocuteurs, faussée par des années de contre-vérités répandues de chaque côté de la Méditerranée,  il y a un tel fossé….
Alors, je m’impose le silence. Car je ne me sens pas capable de rendre compte de la complexité des rapports qui existaient entre Arabes et « Européens », avant que les deux communautés ne se déchirent et soient séparées par la méfiance, avant de sombrer dans le ressentiment suscité par un terrorisme aveugle et par la répression qu’il a engendrée.
Mais, la « nostalgérie » n’est pas un sentiment réservé à ceux qui, comme moi, ont « refait leur vie ailleurs »en tournant le dos à leurs racines.
Il m’arrive, de plus en plus fréquemment, de trouver, dans la littérature francophone algérienne, des traces d’une même nostalgie de l’autre côté de la Méditerranée, et curieusement parmi la jeunesse de ce pays. La Presse algérienne s’en fait l’écho, de temps à autres.
J’avais évoqué dans un précédent billet, un texte paru dans un journal d’Alger qui traduit les sentiments d’un Algérien, de retour dans un Alger qu’il ne reconnaît plus:
Il est fréquent de rencontrer sur internet des sites où de jeunes Algériens s’efforcent de reconstituer un passé au mieux dénaturé, au pire occulté par le pouvoir en place. Il y a chez les nouvelles générations de ce pays une touchante curiosité à l’égard de ce qu’était l’Algérie « du temps des Français ». Cela peut surprendre, mais cela montre aussi qu’avec le recul, l’Histoire, – la vraie -, retrouve sa place dans la mémoire des hommes, dépouillée des scories que tant d’historiens de pacotille y ont introduit, pour assouvir leurs fureurs idéologiques….Rendez-vous sur cette adresse et cliquez sur « Photos », et surtout, attardez-vos à parcourir les « Commentaires »:
Vous serez surpris par le ton de certains commentaires, et par la nostalgie de ceux qui collectionnent les images « d’Alger autrefois »….
Dans un numéro récent d’El Watan, quotidien francophone algérien que je lis régulièrement on peut lire ceci:
Je cite ( extrait ):  » ….. Or, une partie de la génération des Algériens de l’époque coloniale n’est plus et l’autre partie n’a pas accès au Net. Cet engouement est dû, à mon avis, au fait que pour les Algériens le passé colonial et lié tout de suite avec les images de la guerre de libération. Beaucoup ignorent que notre passé ne se limite pas à la Révolution de 1954 avec les images de la guerre. Il y avait autre chose aussi. Les gens vivaient, fêtaient des mariages, allaient au cinéma, à la plage ou au théâtre. Il y avait une vie culturelle, sportive et artistique. Mahieddine Bachtarzi, Maâlma Yamna, El Anka, Hadj M’rizek avait bien un public. C’est ce côté de l’histoire de notre pays dont les médias lourds (TV et radio) ont complètement occulté que je voulais montrer.» Hassene Zerkine, grand collectionneur de cartes postales anciennes, dont la fille gère une page sur Facebook, souligne qu’à l’origine sa collection visait à préserver les traces iconographiques de l’Algérie.
«Lorsque j’ai commencé la collection il y a quarante ans, je n’avais pas d’autres préjugés et j’étais loin des questions que se posent maintenant les jeunes Algériens», explique-t-il. Et de poursuivre : «A lire les commentaires des internautes, nous retenons la classique nostalgie du passé avec, pour nous, l’intervention de la situation dégradée de l’environnement et de l’insalubrité qui règne dans l’Algérie indépendante. La nostalgie serait celle de l’ordre et de la propreté coloniaux imprégnés de mythes et de la propagande de l’époque qui rendait Wahran ‘‘Bahia’’ et Annaba ‘‘Coquette’’.»
Hassene Zerkine s’étonne du fait que les jeunes Algériens en viennent à «idéaliser» la période coloniale dépassant le but des photographes de la colonisation qui avaient pour objectif de mettre en avant le progrès et la civilisation apportés par la France. ( Fin de citation ).
Les Commentaires sur cet article sont tout aussi intéressants.
Comment ne pas le percevoir dans certaines de ces réactions : les Algériens ne sont pas heureux dans l’Algérie d’aujourd’hui.
S’ils l’étaient, comment expliquer leur désir de quitter, par tous les moyens, un si beau pays, parfois au péril de leur vie ??? Et comment expliquer que malgré les souvenirs d’une guerre qui fut atroce, ils soient si nombreux à se tourner vers la France, qu’ils voient comme un « eldorado »??? On dit qu’à Alger, il y a ceux dont les paraboles sont tournées vers l’Orient pour écouter les prêches des Imams du Golfe, et ceux qui, avec une ingéniosité surprenante, parviennent à capter le programmes de la télévision française et les chaines de Canal Sat.
L’Histoire triomphera. Mais la « grande Histoire », pas celle revue et corrigée par quelques historiens « trotskystes » qui avaient rêvé, une fois la France chassée de ce pays où mes ancêtres ont laissé tant de sueurs et de souffrances, « ils » pourraient, enfin, installer la « Démocratie Populaire » de leurs rêves. On sait où les illusions du « socialisme démocratique » ont conduit ce pays.
La légende veut que Boumédiene, dans un lapsus devenu célèbre ait prononcé ces mots:  » La colonisation avait conduit l’Algérie au bord du gouffre. Avec l’Indépendance nous avons fait un bond en avant »…..
De chaque côté de la Méditerranée, on a les « héros »que l’on mérite, que la légende fabrique, et que de pseudo-historiens entretiennent….
Pour mémoire:

Commémoration.


Aux mortsCette année, on « commémore ». On « commémore » même beaucoup. Histoire, peut-être, de ne pas oublier complètement notre Histoire, si mal traitée dans les Lycées et les Collèges…..

De mon temps – (voilà que je m’exprime comme ma Grand mère. Pardonnez-moi, mais c’est l’âge…) – on entretenait la mémoire de la jeunesse en lui parlant, avec amour, de l’Histoire de France. On lui enseignait le respect de ceux qui avaient fait don de leur vie à la France.

Et pour entretenir notre mémoire on nous faisait apprendre, par coeur, de beaux textes dont certains se sont imprimés dans la mienne. Le texte qui suit, je me souviens l’avoir récité, en coeur, à l’unisson, avec toute la classe, debout, comme dans une prière, le 11 Novembre 1945… J’avais douze ans.

Je suis encore capable de réciter, de mémoire, les deux premières strophes de ce superbe poème de Victor Hugo, que je dédie, en ce jour de commémoration, à tous ceux qui sont « Morts pour la Patrie ».

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère ;
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau !

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
À ceux qu’enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !

C’est pour ces morts, dont l’ombre est ici bienvenue,
Que le haut Panthéon élève dans la nue,
Au-dessus de Paris, la ville aux mille tours,
La reine de nos Tyrs et de nos Babylones,
Cette couronne de colonnes
Que le soleil levant redore tous les jours !

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
À ceux qu’enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !

Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe,
En vain l’oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe,
Passe sur leur sépulcre où nous nous inclinons ;
Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle,
La gloire, aube toujours nouvelle,
Fait luire leur mémoire et redore leurs noms !

Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts !
A ceux qu’enflamme leur exemple,
Qui veulent place dans le temple,
Et qui mourront comme ils sont morts !

(Victor Hugo. Le Chant du Crépuscule. Hymne )

Ce texte est bien plus beau que tous les discours politiciens. J’espère qu’on l’enseigne encore à la jeunesse d’aujourd’hui… A moins que les strophes qui rendent hommage à la « France éternelle » soient devenus nauséabonds à cause de leur connotation bien trop patriotique et « identitaire »….

C’était de Gaulle (1)…..aussi !!!


de GauleJe ne suis pas « gaulliste » et je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour m’en expliquer.

« Vous m’avez compris » !!!!.

Mais, j’ai une bonne mémoire, et mes 81 ans font qu’elle remonte loin dans le temps.

Elle remonte à une époque que les générations actuelles n’ont pas vécue…. Et ma mémoire se souvient, malgré les efforts de tous ceux qui, accrochés à l’image du « personnage providentiel » que fut de Gaulle, tentent de gommer tout ce qui pourrait ternir la légende du personnage.

J’ai de bonnes raisons, partagées avec beaucoup de mes compatriotes , pour ne pas céder à la fascination inconditionnelle qu’exerce, plus que jamais aujourd’hui, ce personnage qui appartient, je l’admets tout de même, à notre Histoire.

Certes, je suis, comme la plupart des Français, d’accord pour mettre à son actif l’appel à la résistance du 18 Juin, et le combat qu’il a mené pour redonner à la France une place de premier plan dans les affaires du monde. Je lui reconnais le rôle qui a été le sien dans le redressement du pays, dans l’après-guerre. De même que je lui reconnais le mérite d’avoir doté la France des solides institutions qui lui permettent, aujourd’hui encore, de rester à flots, malgré la médiocrité de ceux qui sont à la barre du navire.

Je ne lui conteste donc pas la place qu’il occupe dans notre Histoire et qui se justifie par ses qualités de visionnaire et son obsession de la « grandeur », dès lors qu’il s’agissait de la France.

Sur le chapitre de la « décolonisation », mon jugement est plus nuancé. Je comprends toutefois que l’on puisse ne pas le partager.

La décolonisation a été un courant mondial, puissant, contre lequel il était difficile de lutter. Il l’avait compris et c’est à mettre à son actif. De même qu’il faut mettre à son actif sa lucidité à l’égard du risque que représentait l’irruption dans notre société d’une immigration débridée si l’affaire algérienne s’était conclue par l’intégration de cette terre et de ses habitants à la France.

L’indépendance de l’Algérie était probablement inéluctable pour de multiples raisons trop longues à énumérer ici: la légitimité des aspirations du peuple algérien à redevenir maître de son destin est devenue peu contestable. Mais comment faire admettre à ceux qui étaient nés là-bas, qui vivaient là-bas, travaillaient là-bas, depuis deux, trois ou quatre générations, qu’en quelques années, ils devenaient des étrangers sur cette terre qu’ils aimaient, et dont la France avait fait trois de ses plus beaux départements ???

Aurions-nous pu faire l’économie d’une guerre atroce qui a marqué profondément ma jeunesse et la génération à laquelle j’appartiens ??? Je ne sais.

Ce dont je suis sûr c’est que tout cela aurait pu se terminer autrement.

Je ne « lui » pardonne pas son « double langage », qui a poussé tant de nos officiers, parmi les plus brillants, sur le chemin de la révolte.

Je ne « lui »pardonne pas, et je ne « lui » pardonnerai jamais, le mépris avec lequel « il » a traité le peuple des Pieds-Noirs, puis l’indifférence cynique avec laquelle « il » a consenti au massacre des Harkis. Le résultat en a été « la valise » pour les Pieds-Noirs et « le cercueil »pour les malheureux Harkis qui n’ont pu être « rapatriés »en France, à cause des ordres donnés par le pouvoir gaulliste. J’ai eu des « Harkis » sous mes ordres, et je souffre encore aujourd’hui d’avoir dû les abandonner à leur sort tragique.

Je ne « lui » pardonne pas d’avoir « laissé faire », quand les Accords d’Evian sont devenus, du fait, unilatéral, des Algériens, un « torchon de papier », ce qui a fait de « l’Indépendance » de l’Algérie, une mascarade tragique.

Mes sentiments mitigés à l’égard de de Gaulle, m’autorisent à des propos que d’aucuns, parmi ses adorateurs, jugeraient « irrévérencieux »et même marqués au sceau de l’ingratitude.

Surtout lorsque ces propos consistent en de douloureux rappels à la mémoire, pour des déclarations, pour des décisions, pour des actes, que l’Histoire, avec le recul, ne manquera pas de lui imputer.

J’ai l’outrecuidance d’en évoquer un florilège ( très incomplet ), à un moment où, la France, en plein désarroi, aurait la tentation de tendre l’oreille vers ceux qui se prévalent d’une prétendue fidélité gaulliste qui inspirerait leur action.

1- Naissance (???) de la guerre d’Algérie.

De nombreux historiens considèrent que « les évènements de Sétif » ont ét le point de départ d’un mouvement de rébellion qui deviendra, dix ans plus tard, la Guerre d’Algérie.

Or c’est sous le Gouvernement Provisoire de la République, présidé par de Gaulle, que se produisit, du 8 au 13 mai 1945, la répression sanglante des émeutes de Sétif, en Algérie. Une répression qui fit de 8 000 à 13 000 morts selon les historiens.

Or, c’est de Gaulle qui a donné carte blanche aux autorités, le 12 juin, pour que cette  répression soit impitoyable.

Jamais la Marine et son artillerie, appuyée par l’aviation (le Ministre de l’Air était le communiste Charles Tillon !!! ) n’aurait pu bombarder la population des douars dans le bled sans un ordre express du Général.

Les Communistes présents dans ce Gouvernement Provisoire, sont toujours restés silencieux sur cet épisode tragique de notre Histoire. On dit que les historiens n’ont jamais pu retrouver les traces des documents officiels qui évoquent les conditions dans les quelles ces décisions ont été prises. Curieux, non ??? En tout cas, dans ses Mémoires de Guerre (1955), le Général éluda la question en ne consacrant aux évènements de Sétif qu’une demi-phrase.

« L’omerta » a fait le reste…..

2.- de Gaulle et les Arabes.

L’indépendance octroyée à l’Algérie a permis à de Gaulle de se bâtir une stature prestigieuse dans le monde arabe, et a été le point de départ d’une « nouvelle Politique Arabe » de la France.

Et pourtant, il suffit de se reporter aux oeuvres de celui qui est devenu en quelque sorte son « mémorialiste »pour mesurer l’écart entre son « image » et sa « pensée » à propos des Arabes.

Même si on ne peut « en appeler aux morts »pour juger d’un présent qu’ils n’ont pas vécu, on est en droit de s’interroger sur ce que serait la position du Général de Gaulle, aujourd’hui, sur la « politique arabe » de la France…..

Citations:

 » Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ?  » (Cité par A. Peyrefitte. C’était de Gaulle. Éditions Gallimard, 2000. Propos tenus le 5 mars 1959).

« Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »

  « L’intégration, c’est une entourloupe pour permettre que les musulmans qui sont majoritaires en Algérie à dix contre un, se retrouvent minoritaires dans la République française à un contre cinq. C’est un tour de passe-passe puéril ! On s’imagine qu’on pourra prendre les Algériens avec cet attrape-couillons ? Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par cinq, puis par dix, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il Y aurait deux cents, puis quatre cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? » (Charles de Gaulle, rapporté par Alain Peyrefitte).

Prémonitoire quand on sait ce qu’est devenue « l’intégration » chère à quelques beaux esprits, dans notre pays.

 » Qu’est-ce que les Arabes ? Les Arabes sont un peuple qui, depuis les jours de Mahomet, n’ont jamais réussi à constituer un État… Avez-vous vu une digue construite par les Arabes ? Nulle part. Cela n’existe pas. Les Arabes disent qu’ils ont inventé l’algèbre et construit d’énormes mosquées. Mais ce fut entièrement l’œuvre des esclaves chrétiens qu’ils avaient capturés… Ce ne furent pas les Arabes eux-mêmes… Ils ne peuvent rien faire seuls. » (Cité par Cyrus Sulzberger, Les derniers des géants, Éditions Albin Michel, 1972) »

3.- de Gaulle et le racisme.

Les déclarations d’un de Gaulle tomberaient aujourd’hui sous le coup de la Loi. Et l’on imagine les vociférations du MRAP et de SOS Racisme si ces mots étaient prononcés aujourd’hui:

« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France.

Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français !

Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées !
Conversation entre De Gaulle et Alain Peyrefitte le 5 mars 1959 suite aux événements d’Algérie
C’était de Gaulle, tome 1, Alain Peyrefitte, éd. éditions de Fallois/Fayard, 1994 (ISBN 9782213028323), p. 52.

On imagine ce que serait, aujourd’hui, le discours d’un de Gaulle, sur le « port du voile », sur « la viande hallal », et sur bien d’autre aspect de ce « multiculturalisme » qui fait tant frétiller « le bobo », et tant de « gogos »aux « cervelles de colibri » qui tiennent le haut du pavé médiatique en France. Et sous de Gaulle, le « Djihadisme » n’existait pas encore, même si, dans la Guerre d’Algérie on trouve quelques signes et prémisses d’un combat religieux…..

********

En conclusion, vous allez me poser la question de savoir pourquoi j’évoque ces textes connus de tous les Historiens, à un tournant de notre histoire politique. La réponse est simple.

Il s’agit, pour moi, de rafraîchir quelques mémoires, au moment où certains se préparent à se prévaloir d’un « gaullisme » dont ils se prétendent les « héritiers », pour se démarquer, avec dédain, des thèses de leurs concurrents dans la course à l’Elysée, au prétexte qu’elles sont « extrémistes », qu’elles véhiculent des opinions « racistes », et qu’elles portent atteinte  à « l’identité de la France » et à son image universelle de Nation généreuse et ouverte à tous les opprimés ( on dirait aujourd’hui « à toute la misère du monde »…), à ceux qui sont convaincus que la nation française a vocation à être le produit d’un « métissage » qui la ferait ressembler au Brésil…..(Je n’ai rien contre le Brésil, bien au contraire. Mais le Brésil est le Brésil, et la France est la France !!!).

A tous ceux qui sont dotés de « cervelles de colibri », j’ai jugé qu’il n’était pas inutile de rafraîchir la mémoire, et de nourrir celle des plus jeunes de nos concitoyens. Afin qu’ils n’utilisent la « référence gaulliste »qu’avec une extrême circonspection….

A la face de ces « néo-gaullistes », j’ai envie de dire : de Gaulle, reviens, « ils sont devenus fous » !!!.

(1).- « C’était de Gaulle ». Titre d’un ouvrage d’Alain Peyrefitte. Tout au long de sa carrière politique, Alain Peyrefitte fut un proche du général de Gaulle. Il publie ainsi C’était de Gaulle, recueil de propos du général de Gaulle paru en trois tomes de manière posthume, le premier en 1994 et le dernier en 2000 qui fait aujourd’hui autorité. (Wikipedia).

Portrait volé…..


DSC_0216L’instant a été très court. Quelques minutes, tout au plus.

J’attendais mon épouse, assis sur le petit muret qui borde le paséo et qui surplombe la mer. J’écoutais le bruit familier des vagues qui viennent du large, se briser sur les rochers. En contre-bas, un pêcheur à la ligne, optimiste, attendait patiemment que « ça morde ». Pendant ce temps, des enfants, entre huit et douze ans, cherchaient, dans les crevasses des rochers quelque petit crabe égaré en poussant des cris de joie dès qu’un de ces crustacés montrait le bout de ses pinces….

Soudain « elle » m’est apparue. De loin, sa silhouette mince et fragile, au pas hésitant a attiré mon attention.

Baras( Non !!! Ce n’est pas ma Grand-mère dans sa jeunesse. Dommage pour elle. C’est la belle Sarah Barras, chorégraphe et sublime danseuse de Flamenco ).

En une fraction de secondes s’est réveillé en moi, le souvenir de ma grand -mère espagnole. Au fur et à mesure qu’elle approchait je retrouvais l’image de sa raideur et de son port de tête altier, presque hautain, cette allure particulière qui faisait que, enfant j’imaginais ma grand-mère jeune, en superbe danseuse de flamenco….

L’imagination enfantine, toute neuve, embellit tout ce qu’elle effleure….

« Elle » s’est assise sur un banc, à quelques mètres de moi, face à la mer. Silhouette noire, immobile, le regard lointain, elle semblait rêver en regardant les petits nuages s’accumuler au large, et les vagues qui sous une petite brise vespérale, commençaient à « moutonner ». A quoi pouvait-elle penser ?

Puis « elle » a tourné son regard vers la plage où, au soleil couchant, toute une jeunesse, bruyante et gaie, s’attarde pour s’amuser encore un peu, les uns en courant le long de la plage désertée, les autres en jouant dans l’eau à qui ferait couler l’autre, pendant que le reste de la troupe s’affronte dans d’interminables parties de volley-ball.

Alors, je l’ai vue, de face, et j’ai observé son visage ridé, ses yeux noirs au regard mi-sévère, mi-triste, semblant porter un deuil, ses lèves minces, légèrement pincées qui lui donnait cet air hautain qu’avait ma grand-mère, qui pourtant était une femme d’une grande douceur…..

A ce moment-là, un groupe de jeunes filles est passé devant elle, interrompant sans doute sa courte rêverie, et je l’ai vue soudain, plisser son oeil et , le regard amusé, suivre les filles des yeux, pendant qu’elles s’éloignaient.

Les filles, encore à l’âge où la beauté du diable resplendit, étaient en maillot de bain mouillé. Elles riaient aux éclats, dans un gazouillis de mots échangés, parlant toutes en même temps, très vite, à la manière espagnole, sans que je puisse comprendre ce qui les faisait tant rire.

Alors, j’ai surpris sur le visage de cette vieille femme, un sourire qui s’esquissait.

Mon imagination m’a suggéré qu’elle se revoyait, autrefois jeune et belle. Comme toutes les Espagnoles, elle adorait sans doute la « playa »et ces moments où, après une journée passée à se baigner sous le soleil de plomb, les filles se groupent en cercle, à la fraîcheur du soir, sur le sable encore humide, pour bavarder, échanger quelques confidences, agrémentées de commentaires coquins sur les garçons, qui un peu plus loin jouent au foot sur le sable…..

Puis « elle » s’est levée, et passant devant moi, sans me voir,  elle est repartie de son pas, toujours aussi hésitant, mais toujours avec cette fière allure qu’ont parfois les femmes espagnoles. Entièrement vêtue de noir, comme ma grand-mère, il ne lui manquait plus que cette fleur blanche que mon aïeule plantait toujours dans ses cheveux….

J’ai failli me lever pour lui parler. Mais pour lui dire quoi ??? Cette femme pouvait avoir soixante-dix ans, un âge que ma grand-mère, hélas, n’a pu atteindre. Elle semblait vouloir faire, comme dans un rituel solitaire, la promenade sur le paséo, qu’elle a dû faire cent fois, avant d’être veuve, avec celui qui avait accompagné sa vie. Je n’ai pas osé .

« Elle » s’est éloignée, dans le soleil couchant, et je l’ai suivie des yeux . De son pas lent, elle s’est fondue dans la foule des promeneurs, et j’ai vu sa silhouette digne mais fragile disparaître….

A ce moment, mon épouse est venue me rejoindre pour notre marche quotidienne, le long de la mer, où nous faisons notre provision d’air frais et remplissons nos poumons du parfum des embruns mélangé à celui des algues humides….

A notre tour, nous nous sommes fondus dans la foule des promeneurs du soir, en marchant d’un pas rythmé, alors que, dans ma tête se bousculaient des souvenirs de jeunesse dans les quels ma grand-mère était encore présente : elle avait déjà ce regard lointain de la vieille dame, quand elle nous regardait jouer au ballon sur la plage…..

De retour à la maison, les souvenirs ont continué à m’envahir, par vagues successives .

Je me suis souvenu du temps où, lorsque j’étais enfant, ma grand-mère nous amenait, mon frère et moi, à la plage au Deux-Moulins, tout près d’Alger. Assise sur le sable elle nous regardait barboter entre deux petites vagues au bord de l’eau. de temps à autres, elle nous appelait, pour nous sécher dans une de ce serviettes blanches que l’on ne trouve plus aujourd’hui dans le commerce: des « nids d’abeilles », si ma mémoire est bonne.

Puis elle sortait de son panier – son « couffin » disait-elle – enveloppées dans un torchon, des madeleines qu’elle confectionnait avec amour. Des madeleines !!! Les mêmes que celles que je trempais dans mon café au lait, au retour de l’école….

Cela m’a évidemment ramené vers Proust, qui sait si bien évoquer, avec une riche palette de mots ces souvenirs enfouis qui surgissent du fond de notre mémoire où on les croyait enfouis à jamais…. Et dans le silence de la nuit, pendant que sur la terrasse les parfums de jasmin, de « galan de noche », de thym, de romarin fraîchement arrosé envahissaient l’espace, j’ai rouvert Proust, à la page de « la madeleine », pour relire le passage si souvent évoqué….. Je cite:

« Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. » ( Fin de citation ).
Proust. « Du côté de chez Swann ».

« Les études » ou « les copains d’abord » ???


Yaouled

( Suite ).Mes parents, sur le conseil de mon oncle, l’Instituteur Baldenweg, m’ont « mis en pension » au Lycée de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Je ne reviens chez mes parents, que les Samedis et Dimanches où je ne suis pas « collé ».

Car, disait-on alors, j’étais un  des « élèves dissipés » de l’internat!!! Tantôt étais-je puni pour avoir participé à un chahut général en classe de Latin, tantôt pour avoir déclenché une bataille de figues sèches au réfectoire, tantôt pour avoir, au cours d’une partie de foot, dans la grande cour, envoyé le ballon dans les vitres du bureau du Surveillant Général, etc….

Mais quand j’étais « de sortie », quelle joie de retrouver la famille, mais également…les copains du quartier de Belcourt, ceux précisément dont la fréquentation, nuisible à mes études, m’avait conduit à « l’enfermement »….

Ma famille habite au 4 du Boulevard Villaret-Joyeuse. Face à notre immeuble se trouve un garage, et derrière ce garage, une impasse et un terrain vague: notre terrain de jeux.

Je me souviens de l’existence dans cette impasse d’un entrepôt qui abritait un grossiste en articles de bureau et fournitures scolaires. Son propriétaire, Mr Staropoli, nous appelait quelques fois pour l’aider à décharger une camionnette, et nous rétribuait en crayons, gommes, ou en plumes « Sergent-Major », dont j’étais le principal bénéficiaire, car mes copains avaient rompu avec l’école. 

Entre deux parties de foot, ou deux parties de « pelote basque », contre le mur blanc de l’entrepôt constellé de traces de balles de tennis, nous occupons notre temps à des discussions sans fin, assis sur le bord d’un trottoir qui menaçait de ruine… Parfois nos discussions s’enflamment et se terminent par une bagarre sans conséquence, qui fait plus de bruit que de mal…. Il nous est arrivé, lorsque la bagarre avait lieu sous les fenêtres d’un immeuble, de recevoir un seau d’eau sur la tête, en signe de protestation des voisins.

Il y a là Albert, fils d’un Facteur et d’une employée des Postes, et Maurice le fils de Madame Hazan, la couturière de ma mère, qui habitent dans le même immeuble que nous. Albert est un athlète en herbe qui deviendra champion cycliste. 

Il y a là, Raoul, dont les soeurs excitent nos commentaires à connotation sexuelle qui mettent Raoul en rage. Il y a Joseph dont le père travaille au garage voisin et que ses parents ont « mis au travail »à 14 ans, car il a échoué au Certificat d’études….

Mais il y a aussi Saïd qui a « quitté l’école »pour travailler avec son père, marchand de légumes au marché de la Rue de l’Union, ce marché fréquenté par la mère d’Albert Camus et cité par ses biographes. Il y a Slimane, excellent joueur de foot, qui s’exprime plus facilement en Arabe qu’en Français, et qui ne fréquente que l’école Coranique du Marabout, où se trouve le cimetière musulman. Il y a aussi Aït-Kaçi, un Kabyle surnommé par les Arabes « Bouselouff » (en Arabe, tête de mouton), – parce qu’il est frisé et blond aux yeux clairs -, qui joue magnifiquement d’une flûte, qu’il s’est fabriquée avec un roseau.

Le plus « argenté » de nous tous, c’est Saïd, car il est rémunéré, chichement, par son père, le marchand de légumes qu’il accompagne aux Halles Centrales, en bas du Boulevard Villaret-Joyeuse, dès 4 heures du matin pour faire ses achats de légumes, puis pour se rendre au marché préparer son étalage. Il est apprécié de tous car de temps à autres, nous allons en sa compagnie chez l’épicier arabe de la rue de Lyon, et il nous paye une bouteille de Limonade « Hamoud Boualem », qu’Ahmed, le garçon qui travaille chez l’épicier, nous sort, bien fraîche, de la glacière.

Je n’oublie pas les « expéditions » que nous faisons, en bande, au Jardin d’Essai, un superbe jardin botanique, proche du Stade Municipal où je joue au Foot dans « l’équipe cadets » du RUA.

Nous prenons le tram des CFRA, une sorte de tortillard, dont on pouvait, quand il ralentissait, monter ou descendre en marche: ainsi, nous allons jusqu’au Jardin d’Essai, en fraude, et descendons du wagon, dés que le contrôleur se pointe, pour prendre le tramway suivant, « à l’oeil »….

Au Jardin d’Essai, sur le banc qui se trouve près du Grand Bassin, nous passons des heures à discuter: le foot, les filles qui passent, dont on se contente de rêver, car , tout juste pubères, nous n’en intéressons encore aucune. Mais les filles sont déjà un sujet à controverse avec les Arabes, qui trouvent normal d’interpeller une européenne, mais qui se fâchent dès que l’on importune une Arabe, surtout si elle est voilée, ce qui est « haram »à leurs yeux….

Mais nos plus grands exploits, ceux qui étonnent tout le quartier, et terrorisent ma mère, ont lieu dans le boulevard qui descend vers les Halles.

Joseph, récupère parmi les débris de voitures empilés au fond du garage, des roulements à bille, et Saïd nous procure chez l’épicier arabe de la rue de Lyon, des caisses de « Savon de Marseille » vides, avec quoi, dans l’atelier du garage, nous fabriquons des « chariots à roulements », avec lesquels nous déferlons à toute vitesse sur le boulevard, parmi les voitures (rares à l’époque) et les camions, en poussant des hurlements sauvages, sous le regard désapprobateur des passants.

Jusqu’au jour où « Bouselouf » est passé sous un camion est s’en est sorti avec de multiples fractures. Cet épisode a mis un point final à nos « exploits ».

Le pauvre « Bouselouf », avec des restes de caisses de savon s’est fabriqué une boîte qui deviendra son « fonds de commerce »: il rejoindra le peuple des « petits cireurs » de chaussures, les « Yaouleds » comme on les appelait alors, qui écument les terrasses de café pour proposer leurs services.

Mais, peu à peu, l’école est devenue, entre nous, un sujet tabou: mes copains sont fâchés avec les études. L’école, sa discipline, les devoirs à faire à la maison, tout cela « leur prend la tête » comme on dit aujourd’hui…

C’est ce qui fait que très vite nos routes vont se séparer…..Mes parents me reprochent le temps que je passe avec « ces voyous sans éducation », mais je tiens tête car ce sont encore « mes copains », mais je sens que nos centres d’intérêt divergent de plus en plus….

Le Lundi matin, je reprends, le coeur serré, le chemin de l’internat.

Dans le trolleybus qui part de la Place du Gouvernement, juste en face du Bar du Gallia, – encore un autre grand club de foot – je retrouve d’autres copains, ceux qui comme moi rejoignent le Lycée de Ben Aknoun pour se replonger dans « le monde des livres ».

J’ai vécu ainsi, alors que j’avais entre douze et quinze ans, à l’intersection de deux mondes, celui qui échappant à « l’école »se condamnait à l’illétrisme et à rejoindre le peuple des « défavorisés », et l’autre, celui qui grâce à l’éducation, grâce à des maîtres que je n’oublie pas, s’engagent sur la voie d’un autre destin….(à suivre)

PS: sur le site http://www.demarcalise.com/iconisma/?q=image/100-phabelcourt-15 on trouvera d’intéressantes photos du Belcourt de ma jeunesse. La photo du Bd Villaret-Joyeuse montre l’immeuble (jaune) où nous habitions. On apprend sur ce site, que ce quartier tombe aujourd’hui en ruines…

Le cochon.


Naïvetés porcines

( Suite ).

A force de se croiser et d’échanger des sourires, mon père et ma mère se sont « rencontrés », puis fiancés. J’essaie de faire parler ma grand-mère sur le mystère qui entoure, dans presque toutes les familles, la rencontre amoureuse entre « Papa et Maman ».

– » Tu sais, mon fils, je n’ai pas voulu intervenir quand ta mère a décidé d’épouser ton père. Je ne voulais pas agir comme ma propre mère qui ne voulait pas que j’épouse ton grand père, « trop allemand » à son goût….Moi, je trouvais que ton père était un peu trop maltais…Les maltais ont la réputation d’être un peu trop « machos »… ». J’aurais préféré qu’elle épouse Vincent Giordano, le fils d’une amie, un garçon sérieux, d’une famille italienne,…mais, bon!!!… »

Le mariage a néanmoins eu lieu en grande pompe, suivi d’un banquet au Restaurant « Le Pavillon Bleu » aux Deux Moulins. C’est ainsi, dans beaucoup de familles méditerranéennes: on n’a pas un sou, mais on se ruine pour fêter un mariage !!!!

De ce mariage naîtront cinq enfants dont je suis l’aîné. J’y reviendrai.

Ma mère présentera son mari à Prosper Durand. Tout de suite, mon père, cet homme pourtant peu chaleureux, au caractère plutôt ombrageux, mais à l’intelligence vive, et surtout infatigable travailleur , plaît à Prosper Durand qui le propose à son gendre: le Docteur Fine, qui exerce la médecine en France et vient rarement en Algérie, possède un grand domaine agricole sur le quel il a greffé un Club de tennis avec Club House, Restaurant et piscine ( où j’ai failli me noyer…) à Badjarah, tout près d’Alger. Mon père en deviendra, en quelle que sorte, le Régisseur.

Ce sera sa première expérience en la matière,mais il y en aura d’autres. Dont celle de la gestion d’un autre domaine, celui de la famille Mérigot, armateurs et propriétaires d’une Compagnie de Navigation . Ce domaine arboricole et de vignobles, mon père en fera un petit bijou. Ce qui ne lui vaudra pas, pour autant, la reconnaissance de la famille Mérigot, au moment de l’Indépendance de l’Algérie….J’y reviendrai….

C’est dans de telles circonstances que mon père sera confronté au contact avec des « vrais colons », des propriétaires, héritiers de domaines familiaux, où ils ne mettaient jamais les pieds, si ce n’est pour empocher « les bénéfices » et repartir en France. Des gens pour qui les liens avec l’Algérie n’étaient que des liens vénaux, car cette terre où ils n’étaient d’ailleurs pas nés ne leur inspirait aucun sentiment d’attachement.

J’ai quelques souvenirs de tout cela:

A Badjarah, il y avait sur la propriété agricole, un métayer, Mr Gomez qui vivait sur l’exploitation avec sa famille. Ces gens avaient l’accueil simple et chaleureux des Pieds Noirs d’origine espagnole, et mon père nous a parfois confiés à eux, mon second frère et moi, pour des vacances scolaires.

Mon père venait là une fois par semaine, pour faire la paie des ouvriers. Il s’installait devant l’écurie, avec une petite table, et les Arabes, alignés, se présentaient, chacun à son tour, pour recevoir leur dû.

Je devais avoir onze ou douze ans, et j’ai souvenance d’une scène qui est restée dans ma mémoire. Mon père avait coutume d’offrir à chaque ouvrier,- il les connaissait nomément, et connaissait la situation de famille de chacun-, des gros pains qu’il ramenait, tout chauds, d’une boulangerie d’Hussein-Dey. Chacun des ouvriers recevait, en prime, donc en plus de son salaire normal, un ou plusieurs gros pains, en fonction de sa situation familiale. Les ouvriers remerciaient par un « ya ramoualdick »sonore….

Ce jour-là, la paie avait lieu en présence du propriétaire du Domaine de passage à Alger. Le Docteur Fine, s’adressant à mon père sur un ton qui m’avait profondément choqué, lui reproche cette « libéralité », pourtant bien modeste et destinée à humaniser quelle que peu la relations avec des ouvriers dont certains travaillaient là depuis de nombreuses années.

Par la suite, j’ai su, de la bouche de Mr Gomez, que malgré cet « incident », qui m’avait révolté, mon père avait continué, à ses frais, à distribuer ce pain qui dans son esprit, devait être un acte de générosité modeste mais symbolique.

Pour moi, « les vrais colons », c’était cela.

Non que tous les « colons » aient eu, en Algérie, ce type de comportement. Car il faut faire la distinction entre les agriculteurs qui étaient nés là-bas , vivaient « sur » et « de » leur exploitation agricole, parmi leurs ouvriers, dans des « bleds » isolés, loin de tout, et ceux qui n’avaient aucun lien avec une terre dont ils avaient hérité, et sur la quelle ils n’avaient jamais travaillé ni laissé une goutte de leur sueur….

A la ferme, on « tuait le cochon » en famille.Tout le monde y participait, Monsieur Gomez dirigeant les « opérations »avec son épouse. Et j’ai assisté, horrifié par les cris de la bête, au sacrifice, puis à la découpe de la bête, qui en une matinée, était transformée en saucisses, soubressades, pâtés, jambons et autres charcuteries….

Le jour où l’on « tuait » le cochon, – c’était en général pendant les vacances scolaires de Noël -, avait lieu un sorte de grand banquet, en plein air: la famille Gomez au complet était là, ainsi que notre famille, et pour la circonstance, mes deux grands mères étaient là, au bout de la table, manifestement heureuses de participer aux agapes. Les Gomez avaient préparé une grande paella, ma grand mère paternelle avait préparé des « tapas », et l’autre grand mère un grand plat de salade de tomate à la mozarella et au basilic et ma mère, son  flan délicieux aux oeufs et à la vanille… 

Participaient à la « fête »les deux  Arabes »contre-maîtres » ( c’était le terme exact ) – qui n’avaient pas participé, évidemment,  à l’abattage du cochon, mais qui avaient l’air heureux d’être là – et leurs femmes, dévoilées, qui, avec Madame Gomez, et ma mère paticipaient à la préparation et au service du repas. 

Je ne sais si on comprendra, à travers ce court récit, la complexité des rapports sociaux qui existaient en Algérie. Une complexité qui a échappé à de nombreux chroniqueurs de la vie de cette époque.

Ma famille est, en quelque sorte, le prototype de la famille de Pieds Noirs, venus en Algérie pour survivre et y travailler, avec un niveau de vie relativement modeste, qui entretenait avec les « Arabes » des rapports dépourvus de supériorité ou de condescendance, des rapports souvent amicaux et même parfois chaleureux.

 Je n’ai, pour ma part, dans mes jeunes années, jamais ressenti d’hostilité ou de difficulté dûe à des différences de culture ou de religion. Nous vivions côte à côte,mais sans nous ignorer, chacun respectant les usages et les règles de vie de l’autre. Que ce soit avec mes copains de Belcourt, – même avec ceux qui étaient un peu voyous « sur les bords »- , que ce soit à l’école, ou au lycée, que ce soit au football, et plus tard à la Fac, je n’ai jamais été confronté à une détestation ouverte de la part des « Arabes » que j’ai fréquenté pendant toute ma jeunesse. Même s’il m’est arrivé d’échanger quelques coups de poings avec eux pour un litige au cours d’une partie de foot, cela n’allait pas très loin et ne comportait aucune connotation « raciale », comme on dirait aujourd’hui…

Cela surprendra certainement, mais pendant mes jeunes années, je n’ai jamais entendu prononcer, dans mon entourage les mots dont on abuse aujourd’hui : « stigmatisation », « islamophobie ». L’Islam était présent autour de nous mais ne mous menaçait pas, donc nous n’en avions pas peur.

Ma grand mère me parlait quelques fois de « racisme », mais il s’agissait surtout des problèmes rencontrés par les Juifs pendant la guerre. Le »racisme » était latent, probablement, mais il n’empêchait pas le petit peuple de Belcourt ou de Bab El Oued de cohabiter, de se retrouver le soir après le travail au bistrot pour jouer à la belote ou au jacquet, sur les terrains de pétanque ou de foot, toutes confessions confondues.

Certes,  j’ai toujours ressenti le poids  de la religion musulmane dans le comportement des Arabes avec qui nous cohabitions. Mais à cette époque l’Islam pratiqué par les Algériens était réellement un « Islam modéré ». Les femmes, surtout les femmes âgées, portaient le « haïk »blanc, mais sans ostentation, et les plus « évoluées », – comme on disait alors -, s’habillaient le plus souvent » à l’européenne ».

Un ami arabe de mon père ne mangeait pas de cochon, mais mangeait volontiers…du jambon !!! Ce qui nous faisait sourire …

Ce n’est que beaucoup plus tard, parvenu à l’âge adulte, que je serai confronté aux réalités et aux difficultés de notre cohabitation avec les musulmans. 

Car, hélas, tout a changé, par la suite, mais très progessivement, au lendemain du 1er Novembre 1954….

Je m’étonne, encore aujourd’hui, de la profondeur du fossé que le terrorisme aveugle et cruel du FLN, et la réponse brutale de l’Armée, ont pu creuser en quelques années, au point d’instaurer des rapports de méfiance entre des êtres qui jusque là avaient vécu paisiblement et côte à côte, au point de suspecter et de craindre l’Arabe au côté de qui on avait vécu de longues années: combien de nos compatriotes ont été assassinés, parfois avec sauvagerie, par « l’homme de confiance » , celui qui avait les clefs de la maison et participait aux joies et aux peines de la famille….

Mais cela est une toute autre histoire.

(à Suivre ).

Prosper Durand et Cie.


(Suite).Ma grand-mère a cessé de faire le ménage du Consulat de Suisse, lorsque ma mère qui venait d’obtenir son Brevet Supérieur, et son Diplôme de « Sténo-Dactylo », a eu son premier emploi, un poste de Secrétaire de Direction chez « Prosper Durand et Cie », une entreprise de négoce de charbonnages, de pétrole, et de fournitures destinées aux navires du Port d’Alger.

C’est grâce au salaire de ma mère que ma grand-mère a pu »faire bouillir la marmite »et que mon oncle, titulaire d’une bourse d’études a pu terminer sa formation à l’Ecole Normale d’Instituteurs.

Ma mère nous racontait que pour économiser le prix du ticket de tramway, elle faisait, par tous les temps, le trajet entre « la maison » et « le bureau », à pied. Environ une heure de marche: une heure à l’aller, autant au retour….

Tout ceci n’est pas destiné à émouvoir le lecteur, en jouant le couplet du « misérabilisme ». Bien au contraire. Ceci montre que la pauvreté, n’exclue pas  la dignité, le courage, et surtout, la volonté de réussir dans la vie, pour sortir de la misère, précisément. Par le Travail…. 

Ma grand-mère était totalement illettrée, et cela n’a pas empêché ses enfants de faire de bonnes études, malgré des moyens financiers très limités. Cela me permet, au passage, de tordre le cou à un discours ambiant selon lequel l’échec scolaire s’explique, aujourd’hui, par « les difficultés sociales »….

Cela me permet de montrer également que- contrairement à une légende coriace – les « Pieds Noirs » n’étaient pas tous, et loin s’en faut, des « colons » exploiteurs, et que beaucoup d’entre eux vivaient dans des conditions qui n’étaient guère meilleures que celles de beaucoup d’Arabes. 

Je ferme cette petite parenthèse, mais j’y reviendrai ultérieurement, à propos d’un autre sujet.

En entrant chez Prosper Durand, ma mère va découvrir un milieu qu’elle ne pouvait imaginer pénétrer un jour: celui de la grande entreprise, mais aussi celui des affaires dont les centres de décisions ne se trouvent pas en Algérie.

Cela va lui ouvrir , ainsi qu’à mon père, un peu plus tard, des horizons inattendus. Car elle est fort appréciée dans son travail et très estimée par son patron. Cela comptera pour la suite.

Car Prosper Durand est une personnalité à Alger. Sa famille est fortunée, et il est Membre de la Chambre de Commerce, ainsi que l’atteste le document que l’on trouvera sur le site:

http://alger-roi.fr/Alger/port/texte/notice.htm

En effectuant une petite recherche, grâce à Google, j’ai retrouvé la trace de l’entreprise « Prosper Durand et Cie » jusque dans le Conseil d’Administration de la Compagnie de Navigation Worms:

http://www.wormsetcie.com/1949/19490600de-roger-menneveeles-documents-de-laiiiarticle.html

Je cite:

« En dehors de Sir Arthur C. Cory-Wright, la personnalité la plus importante de l’affaire était M. Frédéric James Leather, grand armateur, né le 21 novembre 1884 à Londres, administrateur de nombreuses sociétés relevant du commerce et du transport des combustibles, spécialement des filiales de la Worms Cory and Son Ltd, où dans laquelle celle-ci possédait des intérêts.
C’est ainsi qu’en 1938, on le trouvait au conseil de :
Cory Colliers Ltd
Cory and Strick Ltd
Cory Lighterage Ltd
Bridge Wharf C° Ltd
Forward Lighterage Ltd
Mann George and C° Ltd
Prosper Durand and C°
Fuel Shipplng and Trading CP Ltd
English Coaling C° Ltd
Suez-Canal Lighterage C° Ltd
Tunnel Asbestos Cement C° Ltd
Walton Joseph and C°
K.V. Nederlandsche Steenkolen Handelmaats (société hollandaise)
Société française Worms Cory et Fils
Compagnie de gestions et de participations (société française), etc. »( Fin de citation ).

Car le Port d’Alger, qui, depuis la conquête de l’Algérie, n’est plus un repaire de pirates « barbaresques », est devenu l’un des grands ports de la Méditerranée, par où transitent les importations et les exportations de ce pays en plein essor.

De la fenêtre de son bureau, ma mère peut apercevoir ce qui reste du quartier de la Marine, toujours en cours de démolition car ce quartier a mis plus de quarante ans avant d’être entièrement rénové. Ce quartier où pour notre famille, tout a commencé.

Quartier de la Marine

Elle aperçoit de loin, les dockers, les marins, les grutiers, les navires qui entrent et sortent du Port d’Alger. Elle évoque tout ce petit monde avec sa grand-mère Alphonsine qui termine ses jours chez sa fille Catherine…. Car ma grand-mère a recueilli sa mère trop vieille pour continuer à tenir son bar.

Sur le trajet, effectué à pied, entre la maison et le bureau, ma mère croise très souvent, un garçon brun, aux grands yeux noirs, et échange avec lui un sourire: de sourires en sourires une idylle va naître….

Ce garçon sera mon père.

( à Suivre ). 

Femmes d’Alger


Ma grand-mère paternelle a eu jusqu’à l’extrême limite de ses forces un courage exceptionnel. Peu de temps avant qu’elle n’entre dans la phase finale de son cancer qui a duré un mois, elle travaillait. C’était une « lève-tôt », comme mon père d’ailleurs.

Elle habitait dans un petit appartement, au-dessus des bureaux de mon père.

Debout à cinq heures du matin elle avalait un café noir, et l’estomac vide, car elle ne « supportait » plus rien, elle partait, à pied, seule, petite silhouette fragile, au lever du jour rejoindre la rue d’Amourah.

C’est cette petite silhouette qui reste gravée dans ma mémoire.

A cette époque, nous sommes en 1946, mon père avait créé, pour ma grand-mère qui ne concevait pas de vivre sans travailler, un atelier de conditionnement de figues sèches et de dattes dans un grand entrepôt, à deux pas du Jardin d’Essai.

Il parcourait, dans sa vieille Peugeot 202, les routes montagneuses de Kabylie, accompagné de ses deux fidèles, Touami et Bendada, qui lui servaient depuis toujours, de guides, et parfois d’interprètes. Il avait, sur place, des fournisseurs kabyles qui regroupaient les figues, récoltées par les femmes, qui les avaient fait sécher sur le toît de leurs mechtas, étalées sur des toîles de jute, et il organisait les tournées de « ramassage » avec un camion qu’il affrétait auprès d’un de ses copains.

Je l’ai souvent accompagné dans ses tournées, et je me souviens de ces petites routes étroites et caillouteuses, qui nous conduisaient de Ménerville à Tizi-Ouzou, à Boghni, Tizi-Reniff, ou Tigzirt…

De même que je l’ai souvent accompagné dans le Sud algérien, aux confins du Sahara, jusqu’à Biskra où il négociait des cargaisons de dattes destinées aux ateliers de la rue d’Amourah.

C’est sans doute au cours de ces incursions dans le Sud que j’ai contracté le virus de la passion du désert saharien.

C’est ma grand-mère, qui réceptionnait ces cargaisons, et dirigeait l’atelier de conditionnement. Le figues arrivaient dans des casiers et passaient directement dans une étuve où elles étaient stérilisées, puis passaient dans un séchoir, avant d’être déversées sur une grande table.

Je revois cette grande table autour de laquelle, une vingtaine de femmes arabes, aux vêtements folkloriques et bariollés, à la fois rieuses et bavardes, les triaient, puis les emballaient, dans un alignement parfait, dans des petites corbeilles en osier.

De temps à autres, ma grand-mère s’asseyait auprès de l’une d’elles, pour lui montrer, par l’exemple, comment on doit soigner cette présentation, car ces fruits secs étaient destinés à l’exportation en France. Et ma grand-mère détestait le travail baclé….

Je revois, également, dans un coin de la pièce, le petit canoun où posé sur des braises, une grande théière maintenait un délicieux thé à la menthe au chaud. De temps à autres, une femme se levait et servait à celles qui le souhaitaient, un petit verre de thé qu’elles buvaient, en aspirant bruyamment le liquide bouillant. « Sroun besef, disaient-elles » en riant.

Parmi ces ouvrières, quelques femmes, au visage marqué de signes mystérieux sur le front, qui leur donnaient un air sévère qui ne correspondait pas à leur gaité et à leur douceur. Elles avaient pour l’enfant que j’étais encore, des attentions qui restent gravées dans ma mémoire, tout comme les mots d’Arabe qu’elles me disaient en riant. Je pense souvent à elles en feuilletant un ouvrage reproduisant des oeuvres du peintre Dinet, et je songe aux vertus de l’innocence, qui faisait que rien, à 13 ans, ne me laissait présager qu’un jour, un fossé nous séparerait  de ceux et celles auprès de qui nous vivions des moments si paisibles…..

Les dattes, elles, étaient soigneusement sélectionnées, et les « Deglet Nour » – la reine des variétés -, appétissantes, dorées et sucrées, rangées dans des barquettes ornées d’une belle étiquette et d’un petit ruban. Elles étaient destinées aux vitrines des confiseurs, à l’époque de Noël, à Paris.

A la fin de la journée, ma grand-mère donnait le signal de la fin du travail, et comme une envolée de colombes, les ouvrières, après avoir revêtu leur haïk blanc sans lequel elles ne pouvaient sortir dans la rue, se dispersaient jusqu’au lendemain.

Alors commençait pour cette femme courageuse, le nettoyage de la table, et des locaux, et le comptage des colis réalisés pendant la journée.

Puis elle repartait, petite silhouette maigre et fragile, à pied, la nuit tombée, jusque chez elle.

Parfois, à la demande de mon père, j’allais la chercher pour la raccompagner. Mon père craignait, sans doute, qu’elle fit un malaise en raison de son état.

 Pourtant elle marchait à mes côtés, d’un pas vif, mais s’arrêtant de temps à autres, pour souffler. De sa petite voix aigüe, aux délicieux accents espagnols, elle me parlait, avec douceur. Le plus souvent, la conversation pouvait se résumer à quelques recommandations, dont celle qui revenait le plus souvent:  » tu dois bien travailler à l’école, car ton père fait beaucoup de sacrifices pour que toi et tes frères vous puissiez étudier ».

Car « l’Ecole », pour cette femme qui savait à peine écrire son nom, c’était l’alpha et l’oméga de la réussite qu’elle souhaitait pour ses petits enfants.

J’acquiescais. Depuis la rue d’Amourah, nous avions parcouru une bonne partie du chemin sous les platanes du Boulevard Thiers. Nous arrivions à la hauteur de la rue Aumerat et passions devant l’école où l’instituteur Germain avait préparé Albert Camus à son destin…. Mais à cette époque, je ne savais pas encore qui était Albert Camus. Qui le savait, d’ailleurs ????

Il n’empêche qu’en quelques pas, nous approchions de la Fontaine de Jeanne d’Arc, où Camus raconte,-précisément, dans « Le Premier Homme » -, qu’à la sortie de l’école Aumerat, les jours de canicule, il faisait une halte avec ses copains, pour se tremper dans les eaux du bassin de cette fontaine, qui je l’espère, coule encore aujourd’hui…..  

La « diversité ».


( Suite ).

La « diversité », cette « tarte à la crème »que l’on nous sert aujourd’hui à toutes les sauces, a fait partie de notre vie familiale, et je puis dire que dès l’enfance j’ai pu en éprouver la richesse…et les limites.

J’appartiens à cette « race »improbable, étrange même, pour celui qui venant d’une France qui, ignorant encore la notion de « multiculturalisme », observait avec une sorte de méfiance, ce « melting pot » qui caractérisait la société algérienne.

Comment ignorer que dans mes veines coule le sang de napolitains, de Suisses allemands, d’espagnols et de maltais ???

L’un des auteurs qui ont le mieux exprimé l’étrangeté de ce petit monde, c’est encore Louis Bertrand, un Académicien de l’époque, dans un vieil ouvrage retrouvé dans ma bibliothèque, intitulé « Le Sang des Races » (Paris. Editions G; Crès.1921. Mais que l’on peut encore trouver chez Amazone.fr ).

Un auteur et un ouvrage classés avec une pointe de mépris, dans la rubrique de la « Littérature Coloniale »….Cela s’explique: comme on peut le constater dans le titre de l’ouvrage, à cette époque, le mot « race », n’est pas encore considéré comme une grossièreté. Et personne ne songe encore à le faire disparaître des premiers articles de notre Constitution….

Louis Bertrand évoque ces hommes (et ces femmes) qui étaient venus là, après avoir connu le dénuement le plus total, ces gens venus du pourtour de la Méditerranée, à la recherche d’un « el dorado » plus proche que celui des Amériques, et d’un autre destin que celui de la misère. Ils n’avaient que leurs bras  pour défricher, assainir, assécher des plaines marécageuses, et ils ont fait pousser des légumes là où ne poussaient que des pierres, ils ont planté de la vigne, des orangers et des oliviers là où il n’y avait que broussailles ou terres de parcours pour les chèvres et les moutons. 

Ces hommes partis de rien, qui n’avaient que leur savoir faire de palfrenier ou de cordonnier et leur courage, et ne craignaient pas les dangers de l’aventure, ont bâti des entreprises et affronté des fortunes diverses. Ces gens, vivant de peu, aux moeurs rudes, aux coutumes et au langage colorés, ont fini par se fondre, en moins d’une génération, en un seul peuple qui a pris racine, là même où il avait planté ou ensemencé.

C’était l’époque où une certaine idéologie en vogue enseignait que « la Terre appartient à ceux qui la travaillent »…..

Ce peuple là ne s’est pas plus posé de questions sur la légitimité de son enracinement sur le territoire d’un pays qui n’en était pas encore un, que ne s’en sont posé, ceux qui, à la même époque, en quittant l’Irlande, l’Espagne, le Portugal ou le Sud de l’Italie, s’en sont allés en Argentine, en Australie, au Brésil ou à la conquête de l’Ouest américain….. 

Ce peuple, je le retrouve, à travers les récits, et quelques fois, les silences de mes deux grands mères.

Au fil des années elles m’ont fait prendre conscience de cette étrangeté, et m’ont fait admettre que j’en suis issu, alors que l’influence de l’école républicaine, l’apprentissage de l’Histoire de France, les immersions dans la Littérature française faisaient, qu’à l’époque, j’essayais plutôt de m’identifier à un vrai « petit français »qui cherchait à oublier ses origines….

Mais mes grand-mères étaient là pour me rappeler que « nul ne peut savoir où il va s’il ignore d’où il vient »….

Je cite Louis Bertrand:  » je découvrais ( à travers ce peuple ) , l’éternel Méditérranéen, avec son goût irréductible pour les odyssées de la Route ou de la Mer, pour la vie en parade et en beauté, pour le labeur harmonieux qui ne brise pas les corps et qui n’avilit pas les âmes, son respect de la famille, du père, de l’enfant, de l’épouse féconde, des rites immémoriaux de la naissance, du mariage, de la mort et de la sépulture, son sens très jaloux de l’indépendance et de la valeur individuelle. »

On comprendra mieux ainsi, la colère et parfois la fureur que j’éprouve lorsque j’entends ou je lis des élucubrations destinées à faire croire que « les Pieds Noirs, c’étaient des Colons »profiteurs, ou à insinuer que leur niveau de vie, ils le devaient à l’exploitation de la sueur des Arabes. Qu’il y en ait eu qui répondent à cette définition, cela n’est pas douteux. Mais sa généralisation s’apparente le plus souvent à une tentative « d’escroquerie intellectuelle », obéissant à d’obscures motivations idéologiques. 

D’autant qu’à ma grande stupéfaction, j’ai pu découvrir, par la suite, à l’occasion de notre exil, que pour ceux qui, dans les classes populaires, étaient de simples salariés (l’immense majorité), les salaires et le niveau de vie étaient largement inférieurs à ceux de « la Métropole »…..

Car, dans la classe moyenne », ceux qui, en Algérie, vivaient comme des seigneurs ( c’était notre expression ! ), c’était les fonctionnaires « métropolitains »qui, en « récompense » de leur acceptation d’une mutation en Algérie, bénéficiaient, eux, d’une majoration de leur salaire de 33%, et, entre autres, d’un voyage gratuit en Métropole, tous les deux ans….

C’est tout de même cela qui a permis à ceux de ma génération qui ont pu « faire des études », de bénéficier d’enseignants métropolitains de haute qualité, tant à l’école primaire qu’au Lycée ou à la Fac. Des enseignants que nous enviaient les meilleurs Lycées parisiens, ou qui auraient pu enseigner dans les meilleures Universités de France. Je dois à leur talent de pédagogues, et au sens élevé et rigoureux qu’ils avaient de leur mission, d’avoir acquis une solide formation qui m’a ouvert, dans les brumes de l’exil, et après avoir  perdu le peu que j’avais à trente ans, les chemins d’une nouvelle  réussite professionnelle.

Je me suis souvent interrogé, par la suite, sur les raisons profondes qui pouvaient motiver ce dédain, et parfois cette rage haineuse souvent rencontrés par la suite, que  manifestaient certains de ceux que nous considérions pourtant comme nos compatriotes, à l’égard des Pieds Noirs que nous étions.

Je me suis souvent demandé si ces gens n’étaient pas motivés par une sourde jalousie suscitée par cette exubérance, ce verbe haut, cette joie de vivre, ce bonheur fait de peu, ce goût pour les grandes tablées où se retrouvaient ce petit peuple, dans la lumière du soleil, et dans une bonne humeur tapageuse, autour d’un méchoui, d’un couscous, d’une paella, ou d’une « macaronade », ce petit peuple qui , vu de l’extérieur, ressemblait à un monde bigarré, et cosmopolite.

Tout cela irritait le « métropolitain » qui observait avec un mélange d’ironie, et d’envie,  la gaité de ces rassemblements populaires, sous des abris de fortune, le dimanche à la plage, autour d’une oursinade, de quelques « tortillas » ou de « pizzas », arrosés d’anisette et ponctués de monstrueuses rigolades déclanchées par des plaisanteries et une forme d’humour qui lui échappait alors totalement. Des rassemblements dont il se sentait probablement exclu ???  

Car s’il se sentait « étranger » à ces gens dont il ne pouvait assimiler l’humour narquois, c’est que cet humour résultait d’une sorte de synthèse subtile entre l’humour spécifique des italiens, celui des espagnols, et des maltais, et celui des Juifs et des arabes…..

C’est probablement une des raisons qui ont fait que de Gaulle nous détestait, car nous ne correspondions pas, pour celui qui avait « une certaine idée de la France », au prototype du Français imaginaire qu’il s’était fabriqué. Pas plus que les Arabes, d’ailleurs, sur lesquels il a émis des jugements détestables, montrant qu’il ne souhaitait pas intégrer dans la nation française. Je me demande d’ailleurs souvent ce qu’il penserait, aujourd’hui de ce qu’est devenue la France…..Il n’empêche que pour nous, il restera toujours, « La Grande Zohra ».

Ayant grandi dans cet environnement, j’ai, dès l’enfance, été sensible aux « différences » qui caractérisaient les usages, les coutumes, les habitudes culinaires, au sein d’une famille comme la mienne.

Je surprenais, ici ou là, des petites allusions, des remarques plus ou moins ironiques, mais jamais méchantes qui s’échangeaient entre les différentes branches de l’arbre familial. Certes, les Maltais avaient leur petite idée sur les Italiens qui avaient la leur sur les Espagnols, et inversement. Ceux-là mêmes avaient bien quelques préjugés sur les Juifs récemment naturalisés, ou sur les Arabes. Mais cela n’empêchait pas, au quotidien, de vivre en parfaite harmonie.  

Personnellement, je me sentais bien, parce que je savais « bien me tenir », dans tous les milieux même si je sentais qu’il y avait des différences de « climat » entre les branches maltaises,  italiennes ou espagnoles de la famille. J’avais parmi mes copains, des Arabes et des Juifs que je fréquentais quotidiennement et sur lesquels je ne me posais aucune question, à cette époque.

Dans le même immeuble que ma grand-mère maternelle, qui habitait au dernier étage, face au Square Nelson, à l’entrée de Bab El Oued, habitaient deux familles.

L’une, la famille Ducasse, était originaire de « métropole », comme on disait alors. Monsieur Ducasse était, je crois, le patron de l’Office Météorologique d’Algérie. Un Haut Fonctionnaire, assez distant avec ma grand mère, qui n’était pas de son monde, probablement. 

Par contre, son épouse, une femme d’une grande douceur doublée d’ une excellente pianiste me donnait gratuitement des leçons de piano, et je lui dois d’avoir convaincu ma grand mère de m’inscrire au Conservatoire.

Madame Ducasse, était issue d’une famille d’artistes, et son père, Étienne Chevalier, était un peintre reconnu à Alger. Cette pauvre Madame Ducasse, que ma grand-mère adorait, s’est suicidée un matin, en se jetant du cinquième étage de l’immeuble: elle venait de découvrir que son mari avait une maîtresse. Je me souviens de la tâche de sang encore humide que j’ai découverte en rentrant du Lycée devant la porte de l’immeuble, au milieu d’une attroupement de badauds qui commentaient encore cet acte désespéré…

J’en ai été longtemps choqué et rempli de tristesse.

L’autre porte, à l’étage au dessous, était celle d’une famille Juive, les Dahan. Monsieur Dahan était un homme de petite taille, très avenant. Il était bijoutier à Bab El Oued. Madame Dahan, une femme « forte », dans tous les sens du terme, impressionnante par son volume, c’était la vraie Mère Juive, chaleureuse et généreuse qui régnait sur une famille nombreuse, – je ne saurais plus dire combien d’enfants elle avait -, car la plupart étaient plus âgés que moi, sauf le dernier, qui était mon copain. Tous ces enfants avaient en commun des qualités d’intelligence, et d’acharnement au travail qui leur ont permis, plus tard, en France, d’appartenir à l’élite. 

La porte de cet appartement était toujours ouverte. (A cette époque on ne craignait personne….) Et lorsque je rentrais du Lycée, je m’arrêtais au quatrième étage, pour souffler un peu, et  pour savourer, l’estomac creux, les odeurs d’une cuisine savoureuse et épicée qui me « prenaient la tête ».

Combien de fois ai-je entendu, du fond de sa cuisine, la voix de Madame Dahan qui m’appelait: « Viens « mon fils », viens une minute !!! Assiez-toi là, et goûte… » Alors, c’était un festival de boulettes de viande, de beignets d’aubergine, ou de poissons farçis dont le souvenir me fait encore saliver…

Puis je prenais congé en remerciant d’une bise, et arrivant à l’étage au-dessus, chez ma grand-mère, j’avais du mal à avaler le plat de « pasta et Padano » qu’elle m’avait préparé. « Toi, tu t’es encore arrété chez Madame Dahan !!! Alors tu n’as plus faim, bien sûr…. »me disait-elle avec, sans doute, un petit pincement.

Lors de la Pâque Juive, une des enfants Dahan, frappaient à la porte de ma grand-mère les bras chargés d’un énorme plat de friandises qui faisait mon bonheur, …et celui de ma grand-mère.

Ainsi vivions-nous, dans un environnement qui n’était cloisonné, en définitive, que pour ceux dont les préjugés étaient un obstacle à l’acceptation des « autres ». Chaque communauté existait en tant que telle, mais respectait les usages des autres communautés, et personnellement, je n’ai jamais ressenti de sentiment d’exclusion ou d’hostilité dans mon entourage. Ni de notre fait, ni à notre encontre.

Il n’y a pas si longtemps, finalement, que le mot « stigmatisation » est entré dans mon »dictionnaire »…. Et il n’y a pas si longtemps que, barbé par les discours de ceux qui abusent de ce terme, dès lors qu’il s’agit des « musulmans », j’ai pris conscience de ce que nous, le « peuple Pieds Noirs », avons été bien plus souvent stigmatisés par nos concitoyens, que ne le sont aujourd’hui ceux qui représentent, à leur tour, « la diversité »….

La Guerre, la peur, la mort.


 

 PAUL HANNAUX (1899-1954) ALGER, DÉBARQUEMENT AMÉRICAIN

Cela se passe le 8 Novembre 1942, au petit matin. Je ne peux pas me tromper sur la date, car les évènements de la nuit précédente sont gravés dans ma mémoire.

Dans la nuit du 7 au 8 Novembre 1942, Alger est réveillée par un tonnerre de détonations. Par moment, des explosions sourdes font trembler les murs de l’appartement où nous habitons alors, au 10 de la Rue Duc de Cars, sur les hauts de la ville.

Je me lève terrorisé, pour me réfugier dans la chambre de mes parents, qui  sont déjà debouts pour essayer, du balcon, de comprendre ce qui se passe. Dans l’immeuble, d’autres personnes sont également sur leur balcon, certaines en pyjama, d’autres enveloppées dans une couverture. Mes parents échangent quelques mots avec leurs voisins. Tout le monde est inquiet.

Jusqu’ici Alger avait été épargnée par le vacarme de la guerre et des bombardements. D’où notre surprise.

Mon père se précipite sur le vieux poste radio, pour tenter de comprendre la situation. Il revient très vite sur le balcon et annonce aux voisins: c’est le débarquement des Américains. Des avions sillonnent le ciel poursuivis par les explosions des tirs de DCA.

Mon père me dit: « vas t’habiller, vite… »!!!. Le jour se lève et nous remontons la Rue Duc des Cars, jusqu’à une petite place d’où partent des escaliers qui descendent jusqu’à la Rue Michelet, à la Hauteur des « Facultés ». De cette place, à travers cette trouée, nous avons une vue panoramique de la Baie d’Alger, et le spectacle qui s’offre à nous est hallucinant.

La baie d’Alger est noire de navires de guerre, au dessus desquels flottent en l’air, des espèces de ballons dirigeables que plus tard nous nommerons « des saucisses », destinées à les protéger des attaques aériennes. Partout crépitent les tirs de mitrailleuses et les explosions.

J’ai neuf ans, et j’ai très peur. La Guerre, je ne sais pas encore ce que c’est. En 1942, il n’y a pas de télévision dans les foyers, et je ne suis encore jamais allé au cinéma: mon premier film sera pour plus tard, quand j’aurai douze ans: ce sera « Le Dictateur » de Chaplin. Je ne peux donc pas me représenter ce qu’est « la guerre ».

Le ciel est constellé de petit nuages noirs qui très vite se dissolvent. Ce sont les obus de la défense aérienne tirés depuis le « Fort l’Empereur ». Une odeur acre se répand. Mon père me prend par la main pour me conduire chez sa mère qui habite près de chez nous: dans son immeuble il y a une cave où nous serons à l’abri.

Pendant que nous redescendons la Rue Duc des Cars, deux voitures chargées de militaires remontent la rue à toute allure. Des voitures comme je n’en avais jamais vu. Ce sont des Jeeps de l’Armée américaine. Leurs occupants nous saluent du geste en faisant un V, l’air triomphant.

Nous arrivons chez ma grand mère qui, emmitoufflée dans un grand châle de laine, s’est réfugiée dans le couloir de son minuscule appartement. Mon père me « dépose » là, et repart rejoindre ma mère.

Avec ma grand-mère,que j’appelle Mémé, nous descendons dans la cave éclairée par deux bougies. Quelques instants plus tard, des voisins de ma grand-mère, puis mes parents nous rejoindront.

En attendant, je tremble comme une feuille. Je découvre à neuf ans ce que des millions de petits Français ont vécu avant moi: le vacarme de la guerre, les bombardements, la peur …. Ma grand-mère  m’a pris sous sa protection, dans ses bras, et je partage la chaleur de son grand châle de laine, qui nous abrite contre l’humidité de cette cave souterraine.

Je ne sais pas encore que chaque soir pendant des mois, nous nous retrouverons, dans cette cave, car maintenant que les Alliés ont pris pied en Algérie, Alger sera bombardée toutes les nuits par les Junkers allemands ou les avions italiens. Un peu plus tard, mon père nous évacuera, « dans le bled », c’est à dire à l’intérieur du pays qui échappe aux raids aériens.

Les longues soirées passées auprès de ma grand-mère paternelle, créent entre nous une proximité et une intimité affectueuse.

J’étais le premier enfant de ce fils unique qu’elle avait élevé seule. Cela me conférait une place particulière dans son coeur.

Espagnole jusqu’au bout des ongles, elle était une catholique fervente.

J’ai encore en mémoire, l’image de son visage déformé par la souffrance, la dernière fois que je l’ai vue, à la veille de sa mort, chez elle, dans son lit. Mon père m’avait amené auprès d’elle, sans doute parce qu’il savait sa fin très proche. Elle m’avait demandé d’une voix faible de m’approcher d’elle. Elle a posé sa main sur mon front et dans un souffle m’a dit: « mon fils donnes-moi le chapelet qui est sur la commode ». Puis elle s’est mise à prier. Je suis sorti de sa chambre sur la pointe des pieds.

Le lendemain, mon père nous annonçait sa mort. Avant sa mise en bierre, il m’a conduit, une dernière fois auprès d’elle. Elle paraissait dormir, le chapelet entre ses doigts. J’ai été pris d’un violent sanglot: c’était la première fois, alors que je n’étais pas encore sorti de l’enfance, que j’étais confronté à la violence de l’image de la mort.( à suivre ).