J’étais plongé, hier, à une heure avancée de la soirée, dans la lecture du livre du « Géopolitologue » engagé (!!!) Gérard Challiand, au titre évocateur : « Pourquoi perd-on la guerre », un nouvel art occidental , chez Odile Jacob.
Je m’attardais sur la page 57 de ce livre traitant de la « Théorisation de la guérilla »qui consiste à « porter le danger partout « , pour « harceler sans cesse » l’ennemi, « le miner peu à peu »: « mobilité, surprise, harcèlement, » telle est la base de toute stratégie dans la guérilla…
Ceux qui ont encore, dans leur mémoire vivante, le souvenir de la guerre d’Algérie, en savent quelque chose….Et ma mémoire sur ces sujets est restée extraordinairement vivante….
Pendant que quelques images ressurgissaient de mes lointains souvenirs, mon attention est attirée par le ton d’une vive discussion à la télé, restée allumée, dans l’émission nocturne d’i-Télé, « Galzi jusqu’à Minuit ».
La discussion opposait un « Sociologue » à un Syndicaliste de la Police accompagné d’un policier qui portait encore les traces de la violente agression qu’il avait subie lors des manifestations qui ont accompagné les « Nuits debout » de la Place de la République….
Prêtant un instant l’oreille à cette discussion, j’entends l’argumentation de ce « sociologue » selon laquelle les violences subies par les policiers n’étaient que la réplique aux violences commises par les policiers eux-mêmes face à de jeunes manifestants excédés par le harcèlement qu’ils subissent dans les banlieues, etc…etc…
Ce discours – bien connu chez certains « zintellectuels » dont notre pays est largement pourvu, a bien entendu exaspéré les deux policiers ce qui explique que le ton de la discussion est immédiatement monté à un niveau qui ne permettait plus au journaliste censé « diriger » le débat de maîtriser la situation, en même temps qu’il ne me permettait plus de conserver ma concentration sur ma lecture…
Mon propos n’est pas ici, de faire l’exégèse de ce que je venais de lire, pas plus que de reproduire le débat télévisé où foisonnaient les arguments du « sociologue » fondés sur la « culture de l’excuse » et « l’idéologie victimaire »bien connues….
Je veux seulement dire ici que l’espèce de « zozo » sociologue qui s’exprimait à la télévision m’a rappelé, soudain, que dans tous les conflits auxquels notre pays a été exposé, on rencontre cette catégorie d’individus qui, idéologiquement, se situent systématiquement dans le camp opposé à la France, traitant de haut tous ceux qui ne partagent pas leurs utopies, drapés dans la dignité que leur confère le rôle qu’ils se sont attribué, celui d’être les « défenseurs du Bien », tels qu’ils le conçoivent, jusqu’à l’aveuglement….
Nous avons connu cela pendant la guerre d’Algérie.
Un ramassis d’intellectuels appartenant à la mouvance communiste, des trotskystes, des chrétiens sociaux, des pacifistes et des tiers-mondistes, jouaient le même rôle, opposant à la nécessité de faire face à une violence aveugle et criminelle, la légitimité de cette même violence, au nom des idées qu’ils défendent.
Ces individus avaient été affublés du qualificatif « d’Idiots Utiles » de la rébellion algérienne, par analogie avec le qualificatif qu’utilisait Lénine pour évoquer ceux qui, en Occident, soutenaient les régimes communistes ….
(Parmi les exemples les plus connus, celui du communiste déserteur Maillot et d’un autre communiste, l’instituteur Laban, abattus prés du village de Lamartine par les hommes du bachaga Boualem, le 5 juin 1956 ainsi qu’un groupe de rebelles….)
Plongeant dans ma bibliothèque je retrouve, assez facilement, un ouvrage dont l’auteur Catherine Simon, avait traité ce sujet qui avait inspiré un article paru dans l’Hebdomadaire l’Express. Malgré l’heure tardive, je me replonge dans la lecture des meilleures pages de ce livre étonnant. J’y retrouve la page que j’avais arrachée dans l’Hebdomadaire l’Express soigneusement pliée et un peu jaunie….
http://www.lexpress.fr/culture/livre/algerie-les-annees-pieds-rouges_823725.html
Je cite :
« Après l’indépendance, des Français partent bâtir l’Algérie socialiste. Catherine Simon raconte l’engagement de ces « pieds-rouges », qui vira au cauchemar.
Les « idiots utiles » du FLN
L’atmosphère est électrique en Algérie en ce mois de juillet 1962. La France a officiellement reconnu l’indépendance du territoire qui sombre dans l’anarchie. Entre les fusillades de l’armée française, les règlements de compte des groupes algériens rivaux, les enlèvements et exécutions d’Européens, les attentats et sabotages de l’OAS, les pieds-noirs embarquent pour une métropole qui ne goûte pas le pataouète.
Leurs meubles ont envahi les trottoirs, vestiges de cent trente-deux ans de colonisation: l’exode débute par une immense braderie. A la fin de l’été, 700 000 Européens seront partis (4 sur 5).
Au même moment, quelques milliers de Français – on ignore leur chiffre exact – traversent la Méditerranée en sens inverse. Médecins, chirurgiens, infirmiers, instituteurs, ingénieurs, artistes, ils viennent occuper les postes vacants. Ils font don de leur personne pour participer à l’édification du socialisme dans la nouvelle Algérie. Anticolonialistes, porteurs de valises du FLN, insoumis, déserteurs, ils savourent leur victoire. Ils ont le sentiment de vivre le grand soir, entre révolution cubaine, guerre d’Espagne et résistance. Ils sont chrétiens de gauche, trotskistes, anciens communistes.
Des journalistes pieds-noirs, entre mépris et dérision, baptisent « pieds-rouges » « cette ahurissante sous-espèce d’oiseaux migrateurs », raconte Catherine Simon dans une enquête remarquable sur cet épisode méconnu de l’histoire franco-algérienne.
La force du récit de la journaliste du Monde repose sur les témoignages. L’entreprise relève de l’exploit. Jusqu’ici, les pieds-rouges s’étaient tus.
Y compris ceux qui, entre-temps, avaient acquis une notoriété: l’ancien patron de TF 1 Hervé Bourges – qui refuse l’appellation – le géopoliticien Gérard Chaliand, l’écrivain Ania Francos, l’avocat Tiennot Grumbach, le photographe Elie Kagan, les cinéastes Marceline Loridan et René Vautier, le parolier Pierre Grosz…ou le journaleux Edwy Plenel !!!
Il est difficile de parler d’un échec, encore moins d’un cauchemar. La réalité fut à mille lieues de « l’illusion lyrique » des premiers jours. Les pieds-rouges découvrent le poids de l’islam, le machisme, le mépris à l’égard des « gaouris » (nom donné aux chrétiens par les Arabes), l’absence de démocratie, les règlements de compte violents, la corruption…
Le désenchantement est à son comble lors du coup d’Etat du colonel Boumediene et du renversement de Ben Bella, le 19 juin 1965. Des pieds-rouges entrent dans la clandestinité, d’autres sont arrêtés et torturés dans les ex-centres de détention de l’armée française!
Et pourtant, les victimes ne parlent pas. Leur culpabilité – françaises, elles doivent assumer les fautes du colonialisme – est trop forte. A leur tour elles sont contraintes au départ, sans ménagement. Elles laisseront leurs chimères sur le port d’Alger.
Quelques rares entêtés resteront. Jean-Marie Boëglin, qui a abandonné Lyon, le TNP et Roger Planchon au début des années 1960 pour créer le Théâtre national algérien, rentre en France en 1981. Il se définit comme un « idiot utile ». Lénine utilisait la formule pour désigner les Européens apologistes du régime soviétique jusqu’à l’aveuglement. Une majorité des pieds-rouges – remplacés entre-temps par le coopérant, figure centrale des relations franco-algériennes – ont recouvré leurs esprits. Leur gueule de bois idéologique s’est dissipée. Mais à quel prix? » ( Fin de citation ).
L’Histoire est un perpétuel recommencement….