
Je termine la lecture de l’Anthologie des Ecrivains Français du Maghreb, rélisée sous la direction d’Albert Memmi ( Ed. Présence Africaine. 1969 ).
Cette Anthologie propose une sélection, forcément arbitraire, mais l’auteur s’en justifie, parmi les oeuvres inspirées par le Maghreb « que les auteurs y soient nés ou qu’ils y aient vécu suffisamment pour éprouver le besoin d’en parler ».
Cette Anthologie est intéressante, en ce sens qu’elle évoque, sous forme d’extraits, des oeuvres qui peu à peu tomberont pour la plupart dans l’oubli, malgré le talent de leurs auteurs.
Un oubli qui n’est peut-être pas définitif, – car si le regard que portent les « zintellectuels » sur les moments de vie partagés entre des communautés qui s’ignoraient, est un regard oblique, traduisant les « idées reçues » et transmises, et « re-formatées » par une génération d’auteurs « engagés » -, l’évolution du Maghreb, et celle du monde arabe d’aujourd’hui projettent dans l’actualité des situations qui présentent quelques analogies avec celles évoquées par les auteurs choisis dans cette anthologie.
Car lorsque l’on « plonge » dans cette littérature, dans laquelle j’ai trouvé des pages sublimes, on s’aperçoit qu’elle est traversée par un courant qui coule dans toutes les oeuvres. Comme l’observe avec justesse Alber Memmi, cette littérature est une littérature de la « séparation ».
La plupart de ces auteurs expriment leurs sentiments, à l’égard des rapports entre deux communautés humaines différentes, séparées par leur culture, leur mode d’éducation, leurs tabous, et pardessus tout par les barrières que la religion, partout où elle prend le pas sur les autres modes de régulation de la société, érige en obstacles insurmontables.
Je cite Albert Memmi: » Les Indigènes, donc, l’ont éprouvé comme frustration, c’est-à-dire tantôt comme carence et manque, tantôt comme revendication et révolte, à l’égard de ces concitoyens supérieurs, qui possédaient de naissance et de race, la puissance et les honneurs, qu’ils admiraient et détestaient, enviaient et agressaient, copiaient et rejetaient »….. » à l’image de la femme européenne, si passionnément désirée et pourtant si violemment honnie par les moralistes et les politiciens ».
Memmi souligne avec raison que ce qui synthétise le mieux, les frustrations, au coeur des raisons de leur séparation, et de leurs vies parallèles et privées d’espoir de rencontre, ce sont les « rapports à la femme ».
Au fond, nous vivions côte à côte, souvent reliés par des sentiments d’amitié, voir même parfois, de fraternité, mais, nous savions, de chaque côté, qu’il existait des barrières invisibles, que de part et d’autre, nous savions infranchissables.
Le sociologue du Maghreb, Jacques Berque décrit fort bien ces barrières:
« …les deux groupes ne s’unissent pas plus par l’amour qu’ils ne se fondent dans la politique. Pas d’inter-mariages. Pas même de bâtards. L’étanchéité charnelle se maintient, presque absolue, malgré une siècle de colonisation,. L’un contre l’autre se protège. L’Islam brandit ses anathèmes, l’Europe tire les conséquences de l’inégalité. Damnation contre mésalliance. Car la fille arabo-berbère, si désirable, n’est pas considérée comme épousable, quand bien même sa loi le permettrait. » Plus loin « A la fin les deux ethnies se retrouvent aussi indemnes l’une de l’autre par le sang, qu’uniformisées par un coudoiement quotidien et l’influence cumulée du milieu ».
J’ai évoqué moi-même, dans d’autres billets, mes liens de jeunesse et d’amitié avec un condisciple musulman, qui de surcroît jouait au foot dans le même club universitaire et la même équipe que moi. Nous préparions notre bac MathElem ensemble, et comme il était meilleur que moi en Maths et que j’étais meilleur que lui en Philo, nous faisions souvent nos devoirs ensemble.
Il appartenait à une famille aisée de la bourgeoisie algéroise, et portait un nom à consonance turque, ce qui pouvait s’expliquer par le passé historique de l’Algérie trop souvent occulté…
Nous sortions ensemble, et il connaissait toutes les filles que je connaissais, dansait avec elles en « surprise-partie »….
Tantôt il venait chez moi, et partageait le repas en famille, tantôt j’allais chez lui, où j’étais reçu, dans la villa que sa famille possédait, Impasse Monfleury, face au Stade Municipal.
Nous ouvrions la grille du jardin, et il sonnait pour prévenir de notre arrivée. La porte d’entrée s’ouvrait et au même moment, j’entendais sa mère claquer dans ses mains, pour signifier aux filles de la maison, que j’arrivais et qu’elles devaient se « réfugier » dans leurs chambres…..
Je pouvais, avant que nous nous mettions au travail, savourer les délicieuses pâtisseries « maison »confectionnées par la mère de mon ami, accompagnées d’un thé à la menthe épicé, je pouvais ensuite, pour faire plaisir à cette femme, -une manière de la remercier -, me rendre dans leur salon pour interpréter, sur leur Steinway « La Marche Turque »…mais je n’ai jamais pu rencontrer aucune des soeurs de mon ami, car un simple échange de regard aurait pu avoir des conséquences inattendues sur notre amitié.
A cette époque, il était difficile d’imaginer, ne serait-ce qu’un flirt ouvert, entre une jeune arabe et un européen, ou à l’inverse, entre une jeune européenne et un arabe. Les rares cas où des liaisons ont pu exister, elles se sont traduites, de part et d’autres, par des exclusions plus ou moins définitives, au sein de l’une ou l’autre des communautés.
J’ai été lié d’amitié, également, avec un musulman « mturni« ( un converti ). Il n’était pas « arabe » mais « kabyle »,était d’un blond roux, et avait les yeux clairs. Rejeté par les « Arabes », et même par les « Kabyles », il n’était pas mieux accepté par les « Européens ». Il est devenu séminariste, et il a connu un destin exceptionnel chez les « Pères Blancs »….
Les nécessités de ma vie professionnelle m’ont conduit dans de nombreux pays arabe, du Maghreb et d’ailleurs… Cela m’a donné une perception du regard qu’ils portent sur des « occidentaux », mais aussi des rapports de « séparation » qui existent entre communautés arabes, mais séparées par des appartenances religieuses qui ne supportent aucune « tolérance ».
Une femme sunnite ne saurait échanger le moindre regard complice avec un homme de confession chiite, sans risquer d’être considérée, au sein de sa communauté comme haram (impure). L’inverse est identique. Et je ne parle pas de ce que provoquerait une complicité entre un Juif et une sunnite, ou l’inverse.
Le cinéma s’est quelques fois attaqué à ce sujet difficile, qui inspire alors, des situations abracadabrantesques, aux quelles seuls le théatre ou la comédie peuvent offrir des issues heureuses.
La Syrie nous donne actuellement le triste spectacle de ce que peuvent devenir les rapports entre des communautés « séparées » par leur « appartenance » religieuse, et par des siècles de d’antagonismes qui, à la faveur d’un conflit, ressurgissent avec une violence inouïe: entre des Druses, des Alaouites, des Kurdes, des Sunnites et des Chiites, il y a très peu de choses en commun, et il suffit d’une étincelle, d’un regard ambigu, pour rallumer des braises qui couvent depuis toujours….Seule la poigne d’un dictateur sans scrupules pouvait parvenir à les contraindre à vivre ensemble et à se « tolérer ».
C’est pourquoi je m’étonne si souvent, de la naïveté de ceux qui évoquent le monde Arabe, avec des idées simples.
La complexité des rapports quotidiens entre des mosaïques de communautés, échappe le plus souvent, à des exégètes, qui ont tendance à projeter sur ce monde où la rationalité n’est pas la chose la mieux partagée, un regard d’occidental, souvent eurocentriste, dont les « valeurs » n’ont que peu de chances de rencontrer l’adhésion de peuples façonnés par leur « appartenance » religieuse.
Et il n’est pas surprenant que ce soit auprès des femmes que nos valeurs ont aujourd’hui le plus d’écho dans le monde arabe…..
Mais cela ne fait qu’attiser la méfiance entretenue par les religieux, dans la plupart des pays arabes, à l’égard de toute tentation occidentale, qui serait synonyme de « libération » des femmes vis à vis des « tabous » qui les emprisonnent. Ce qui constituerait un vrai danger de déstabilisation d’une société fractionnée. Nos moeurs d’occidentaux sont incompatibles avec les règles de sociétés patriarcales régies par la Loi du Coran.
Qu’on se le dise.
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