
Suite du précédent billet.
Les confessions de ce « Djihadiste » algérien en disent long sur la froide cruauté et la barbarie des « fous de Dieu ». En Algérie, le « Djihadisme » n’est pas totalement éliminé. Il reste encore de nombreux foyers de combustion de ce feu qui couve en permanence.
Comme le dit, avec une certaine forme de naïveté, ce « combattant », la France occupe une place « privilégiée » dans leur stratégie. C’est pourquoi, nous le répétons avec force, chez-nous, « le ver est dans le fruit ». Et nous aurions tort de nous désintéresser de ce qui se passe, – hier en Syrie et en Irak, demain dans des pays plus proches de nous -, et peut-être un jour, en France.
Car nous pouvons tout craindre de ces « djihadistes » qui, partis de chez-nous, reviendront un jour, après avoir vécu dans un contexte où la barbarie est un acte banal et quotidien…..
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« Réseaux
« En le voyant vêtu comme un agent de la protection civile, le fonctionnaire pensait qu’il avait affaire à un officiel, comme lui. Sur le trajet, il insulta « ces terroristes barbus qui ressemblent à des animaux » Le type était en confiance. Benbouali présentait bien et semblait acquiescer de la tête. Arrivé à destination, il a simplement dit: « Les terroristes, c’est nous » en même temps qu’il ouvrait sa mallette. Le fonctionnaire a été retrouvé mort deux jours plus tard, dans le coffre de sa voiture.
J’ai effectué une seule mission avec Benbouali. Des particuliers qui arrondissaient leur fin de mois en faisant le taxi clandestin avec leur voiture se plaignaient d’être rackettés tous les jours à l’entrée d’Arzew, le grand port méthanier à côté d’Oran. Nous sommes arrivés au croisement à bord d’une Renault 21 volée. C’est moi qui conduisais Benbouali, Mohamed Zabana et Naji, le mari de Djihade. C’était l’hiver, et, fait rarissime, il neigeait sur le littoral. Je me suis arrêté sur le bas-côté, moteur en marche, Benbouali est descendu et s’est dirigé vers le motard le plus proche, un morceau de papier à la main, pour soi-disant demander un renseignement. Le gendarme portait sur son épaule un PM Beretta flambant neuf. Naji et Mohamed, eux, faisaient semblant d’attendre, appuyés sur le coffre, face aux deux autres motards qui surveillaient la circulation. Pendant que le gendarme lisait le papier, Benbouali a sorti son Scorpio dissimulé sous le manteau. Il a fait feu dans la foulée.
Armes
Quasiment au même moment, les deux autres vidaient leurs chargeurs sur les gendarmes qui restaient. Ils ont pris les armes et j’ai démarré comme une fusée. Les voitures qui arrivaient n’ont pas compris ce qui se passait. Elles ont freiné net. L’une a carrément fait demi-tour. Le chauffeur avait dû voir toute la scène. Nous sommes restés cachés deux jours dans une maison de la région en attendant que ça se « tasse ». Benhouali était très fier de son Beretta 9 mm parabellum. Il remplaçait désormais le Scorpio au fond de son attaché-case.
Lorsque je reçus l’ordre d’exécuter un DEC, un délégué exécutif communal que l’Etat avait installé à la place du maire FIS de Mohammedia, l’ex-Perrégaux, à 80 kilomètres d’Oran, je ne me posais pas de question. Un taxi me conduisait chez un contact, Ahmed qui m’attendait. Il m’accompagna dans une autre maison où l’un des nôtres me fournit un étui à violon contenant une Kalachnikov. Dans notre véhicule, une Golf blanche, je m’assis à côté du conducteur. À l’arrière, ils étaient deux, armés de pistolets. On n’a pas eu longtemps à attendre.
Mes frères avaient repéré les habitudes du maire depuis plusieurs jours. À 10 heures, comme prévu, il sortit de chez lui dans une Honda Civic grise conduite par un chauffeur. On suivit sans difficulté car elle roulait lentement. J’armai la culasse pour monter une balle dans le canon. « Après la deuxième rue à droite, tu peux frapper quant tu veux », me souffla le conducteur. « Là, je suis prêt. » Il mit le clignotant et nous doublâmes tranquillement. Le maire était surpris. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Il était face à moi, la bouche grande ouverte. Je visais le coeur. La première balle fit voler en éclats le pare-brise. Les autres allèrent droit au but…Nous abandonnâmes notre voiture un kilomètre plus loin, où nous attendait une Renault 4.
Puis nous nous rendîmes dans la cité HLM des Italiens. Je déposai la Kalach dans un appartement. Mais je ne pus repartir tout de suite car la police était sur les dents. Elle avait dressé des barrages partout…. Le lendemain, Mekki me félicita: « Tu as fait du bon travail. Mais ce n’est pas fini. Trois objectifs sont programmés. On commence demain soir ».
Ninjas
La mission était plus délicate: il fallait kidnapper un flic dans la Cité des policiers. Elle abritait beaucoup de familles de policiers. Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient pris pour cible dans ce quartier. Plusieurs y avaient déjà été assassinés.
Il fallait donc agir en finesse. Nos tenues de ninjas étaient parfaites pour cette opération. Elles étaient réglementaires. Notre fourgon J5 aussi. C’était un Peugeot du même modèle que celui utilisé par ces policiers d’élite. En arrivant, on se gara carrément devant l’immeuble du flic. Les jeunes qui traînaient dans la rue s’éloignèrent rapidement. Les ninjas ont en effet la réputation de ne pas faire de quartier. On a appelé le policier d’en bas: « El Hadj! El Hadj! » Il est descendu. On savait tout sur lui. Sa fonction comme le reste. « Le commissaire a besoin de la clé de l’armurerie. D’accord, je viens ». Il nous a suivis en toute confiance.
On lui proposa de monter à l’arrière pour éviter que tout le quartier ne sache qu’il fréquentait des ninjas. Cette marque d’attention le mit encore plus à l’aise. On roula un moment, puis il remarqua que le fourgon ne prenait pas le chemin de sa caserne. « Par là, c’est dangereux! C’est plein de terroristes », dit-il. -Tais-toi. Les terroristes, c’est nous! » Il resta bouche bée. Je le bloquai avec ma kalach. « Si tu bouges, tu es un homme mort ». Il était cuit.
Mais il pensait encore qu’il pourrait négocier. Mais nous, on ne négocie pas…Il tentât de parlementer. « Pourquoi moi? Je n’ai rien fait. Je ne suis qu’un secrétaire de la caserne. » … L’égorgeur se pencha sur le flic. Il lui souleva le menton avec un geste sec. La lame alla si vite que j’eus à peine le temps de voir le mouvement. Durant trois secondes, la tête du policier resta immobile. Puis elle s’effondra dans un gargouillis brunâtre. Avant de laisser tomber le corps, l’égorgeur arracha brutalement la glotte du supplicié qu’il emmena dans le fourgon, pour le plaisir. Il était couvert de sang mais semblait content de lui.
Sur le retour, on se félicitait d’avoir accompli notre mission jusqu’au bout. « Si, grâce à Dieu, elles pouvaient réussir à chaque fois de la même manière, ce serait extraordinaire ». On avait agi en professionnels, au vu et au su de tout le monde. L’égorgeur acquiesçait. Benchiha, le grand émir de l’Ouest, l’avait dépêché du maquis à Oran pour nous assister. C’était un « Afghan ». Il s’était battu contre les Soviétiques avant de revenir en Algérie. Il était taciturne et agissait froidement, sans laisser paraître la moindre émotion.
Satan
Le soir suivant, il était de nouveau avec nous, pour châtier, cette fois-ci, un révolutionnaire du FLN. On gara la voiture devant sa villa à Ain Beïda. Je jetais deux pierres de l’autre côté du mur d’enceinte, au cas où il y aurait eu un chien. En aboyant, il aurait prévenu son maître et annulé notre effet de surprise. Je savais que le Taghout, le Satan, n’était pas armé. Mais je préférais prendre mes précautions.
Le chemin était libre. On sauta dans la cour et on entra dans la maison, arme au poing.
Ils poussèrent tous le même cri d’effroi. « Taisez-vous! » gueulai-je en les menaçant. Il était avec son épouse et ses deux enfants, qui devaient être âgés de vingt ans. Lui avait la soixantaine. Sa femme s’était serrée contre son épaule. On ne pouvait pas se tromper; il était gros et gras comme Mekki nous l’avait décrit. Pendant que je le braquais avec mon Uzi, les autres fouillaient partout. Il protesta en énonçant la rengaine habituelle: « Je ne comprend pas. Je n’y suis pour rien!.
– On a des preuves contre toi. Tu es un indic ». En réalité, on n’en savait rien. C’est Benchiha et Mekki qui possédaient les renseignements.
– « Sors! Suis-nous! » lui intimai-je en le poussant. À l’intérieur, la famille commençait à s’agiter. « Ne bougez pas, sinon je vous descends tous. Ne vous inquiétez pas, il va revenir », a lancé un frère. On emmena le type de l’autre côté de la rue, dans un terrain vague. « Qu’est-ce que vous voulez? » demandait-il à l’égorgeur qui lui attachait les mains derrière le dos. « Mets-toi à genoux! » Le condamné obéit. Le bourreau tira sa tête vers l’arrière et trancha sa gorge épaisse.
………. « Ça y est! » L’égorgeur était soulagé. Il saisit la tête du cadavre par les cheveux. Il la tenait à bout de bras pour éviter le sang qui dégoulinait. Je n’en voyais pas l’utilité car son pantalon et sa chemise étaient déjà trempés d’hémoglobine. Il jeta la tête grimaçante dans un fourré, cent mètres plus loin.
Attentats
L’égorgeur se lava les mains et changea de vêtements. Puis, nous partîmes, comme si rien ne s’était passé.
Le troisième soir, l’objectif était une « sorcière » connue. En Islam, c’est péché de tirer les cartes et d’abuser de la crédulité des ignorants. Seul Dieu connaît le destin des hommes et peut lire dans les curs. L’Afghan et moi avons frappé à la porte. Avant de quitter le maquis, il s’était rasé pour passer inaperçu. Moi, de toute façon, je n’avais jamais porté la barbe en ville. On ressemblait plutôt à deux Oranais paumés qu’à des moudjahidine.
La sorcière a ouvert « J’ai des problèmes avec ma femme. Je voudrais savoir ce qui se passe dans sa tête, et comprendre ce qui arrive », a demandé mon compagnon. On est entrés. « Asseyez-vous là » Ella a étalé ses cartes sur la table. Lorsqu’elle eut fini, il sortit la hache dissimulée sous son manteau. « Je te donne de l’or et de l’argent, mais laisse-moi vivre! » cria-t-elle. Elle pensait que nous étions des voleurs!
Destin
J’entendis tout à coup du bruit dans le couloir. Un inconnu arrivait d’une pièce voisine. « Bouge plus, sinon je te tue », lui dis-je en braquant mon 9 mm sur sa tempe. Les deux autres frères, qui attendaient dehors, rentrèrent à leur tour. Ils fouillèrent la chambre. Cinq minutes après, ils revenaient le sourire aux lèvres, en brandissant une carte de policier.
Le flic était l’amant de la sorcière. Elle était plus âgée que lui mais il couchait avec elle, sans doute parce qu’elle avait de l’argent. Son compte était bon.
Mais avant de le tuer, on voulait qu’il regarde l’exécution de sa » femme ». Je lui dis : « Tu vas assister à quelque chose que tu n’as encore jamais vu, sauf peut-être au cinéma. Mais là, la scène va se dérouler sous tes yeux. Tu sera aux premières loges ».
On a attaché les mains de la sorcière derrière son dos. Elle suppliait : « Je vous en prie! Je ne recommencerai plus! Les cartes, pour moi, c’est fini ! » Suppliait-elle.
– C’est trop tard. L’Afghan l’égorgea d’un coup. En même temps qu’elle poussait un râle, un jet rougeâtre gicla sur la table et sur le policier qui était en face, ligoté lui aussi. Son visage était aspergé par le sang de la cartomancienne. Il suffoquait et bougeait la tête de gauche à droite, comme pour dire : « Non, pas çà! »………
L’Afghan fit le tour de la table et lui trancha la gorge avec le même couteau.
On l’abandonna en train de se vider. La mission était terminée. On se changea dans une planque avant de se séparer. « Si tu as besoin de moi, je reste quelques jours à Oran. Je suis à ta disposition », me dit l’égorgeur en partant.
J’étais toujours le premier à me porter volontaire à condition que la mission qui m’était confiée soit justifiée. Je redoutais en particulier d’avoir à commettre un attentat à proximité d’un lieu de prière.
Je commandais pourtant le petit groupe chargé d’éliminer l’officier qui surveillait chaque vendredi une mosquée de la ville. Nous étions prêts à agir. Mais au moment où l’imam lança: Allah Akbar, l’officier posté devant l’entrée demanda à ses hommes de baisser leurs armes. « Nous sommes des croyants et pas des sauvages », ajouta-t-il. En entendant ces paroles, j’annulais l’opération. Ce militaire n’était visiblement pas un ennemi de Dieu. J’eus beau expliquer qu’il était musulman avant d’être un soldat, les moudjahidine ne comprirent pas ma décision.
Coordination
Un cas similaire se reproduisit quelque temps après. Alors que je suivais un policier d’une cinquantaine d’années pour l’abattre, il entra subitement dans une mosquée pour prier. Il ne savait pas évidemment que j’étais derrière lui à attendre le moment favorable pour lui tirer dessus. Le flic était visiblement très croyant. Je ne pouvais pas tuer un bon musulman. J’ai, là encore, annulé la mission, au grand dam des plus excités du groupe. Ils s’opposaient à ma décision, mais je leur ai tenu tête. Il y avait suffisamment de flics à Oran qui étaient des mécréants pour éviter de s’en prendre à celui-là.
Pour le GIA, personne ne devait échapper à la justice divine : les Musulmans, comme les étrangers.
Malgré l’ultimatum des Groupes Islamiques Armées, sommant les étrangers de quitter le pays au plus tard le 30 novembre 1993, nous avions décidé, à Oran, de ne pas les toucher. Les « Algérois » n’allaient pas commander, chez nous, à notre place.
Seul Abou Djiyada, le coordinateur de Benchiha, avait voulu lancer une grenade dans un bar-restaurant fréquenté par le personnel du consulat espagnol. Je l’en dissuadai : « On a besoin des étrangers. Sans eux, plus de visas ni de trafic d’arme ».
La Baignoire, c’était le nom de l’établissement, l’avait échappé belle. C’était très facile d’y jeter une bombe. La sécurité n’existe pas, mis à part une porte en bois doublée d’une autre en fer forgé.
Beaucoup des nôtres, cependant, étaient favorables à l’assassinat des étrangers, surtout des Français.
La France, pour le GIA, est mêlée à l’affaire algérienne. On était touts d’accord pour dire que c’est grâce au soutien de la France que l’Etat algérien se maintient en place. « Si le GIA perd la guerre, l’Hexagone sera la cible d’attentats », estimait-on. Ce n’était pas les volontaires qui manquaient. D’autant que rentrer en France n’est pas difficile. Certains étaient prêts à cacher une bombe sous leur veste et à exploser avec, dans un supermarché, pour rejoindre le Paradis.
Au maquis, des moudjahidine étaient volontaires pour ces missions suicides. J’avais entendu dire que Saïd Mekhloufi, l’ancien officier de la Sécurité militaire, devenu le principal chef de l’AIS, pouvait compter sur deux cents kamikazes.
Moi, j’étais de ceux qui estimaient qu’il ne fallait pas toucher les Français. Nous avions trop besoin de leur territoire car on peut facilement trouver aide et assistance parmi les centaines de milliers d’Algériens qui y vivent. Je soutenais qu’il fallait, au contraire, épargner ce pays en le considérant comme un sanctuaire où nous pouvions évoluer à notre guise. Tous ne partageaient pas la même analyse.
Ils étaient d’autant plus tentés de passer à l’action qu’il nous était facile de pénétrer en Europe en suivant la filière que nous avions mise au point, via l’Espagne. Grâce à une complicité au sein du consulat espagnol d’Oran, nous obtenions des visas de complaisance, avec de fausses attestations de pêcheurs professionnels ou de commerçants. Une quarantaine d’entre nous a bénéficié de cet arrangement qui nous rendait bien service.
Ultimatum
Cette haine de la France avait provoqué, avant l’expiration de l’ultimatum, le kidnapping de deux géomètres français. Le 20 septembre 1993, François Bertelet, trent-deux ans, et Emmanuel Didion, vingt-cinq ans, qui travaillaient pour une entreprise française chargés de la réalisation d’une ligne à haute tension, furent enlevés à Tlilat, un village carrefour, près d’Oran, où sévissait le groupe de l’émir El Aqal, qui y installait souvent des faux barrages. Il m’a avoué que c’était lui qui avait fait le coup.
El Aqal est originaire de Bou-Hanifia El Hamamat, une station thermale très connue dans l’Oranais, qui se situe à une soixantaine de kilomètres de Sidi-Bel-Abbès, l’ancien centre de la Légion étrangère, où les corps des deux Français ont été retrouvés égorgé, avec un message posé sur leur poitrine.
El Aqal est apparenté à Benchiha. Je ne peux pas croire qu’il ait pris seul la responsabilité d’enlever deux Français sans que Benchiha en ait donné l’ordre, ou, tout du moins, ait été mis au courant. El Aqal a-t-il livré ses prisonniers au grand émir de l’Ouest? Si c’est le cas, c’est Benchiha qui leur a tranché le cou.
On affirme aujourd’hui qu’il est mort, mais on dit la même chose de Mekhloufi, l’un des fondateurs de l’AIS, qui est pourtant toujours vivant. Benchiha a pu prendre une autre identité pour brouiller les pistes. Son nom de guerre était Abderrahman. Mais cet homme cruel en changeait souvent. Naji, le « fou », qui sévissait sur Oran, était à son image.
Né à Alger, dans le quartier « chaud » d’El Harrach, Naji avait commis tellement d’attentats dans la capitale que le GIA l’avait expédié à Oran où il n’était pas connu. Il avait vingt-six ans, affichait une taille normale, mais était maigrelet. Son défaut : son extrême nervosité. Je me méfiais de cet ancien voyou et évitais de lui adresser la parole, même si je le rencontrais chez Mekki, pour programmer de futures opérations.
Les premiers temps, Naji était bien. Il a commencé à déraper avec l’assassinat de l’Anglais. Il m’a raconté qu’en rentrant, près d’une station-service, dans un restaurant d’Arzew, il avait vu un étranger attablé soi-disant devant une bouteille de vin. Il a mangé lui aussi, et, avant de partir, il lui a tiré dessus!
Il n’avait aucun ordre pour exécuter ce type. Ce 7 décembre 1993, une semaine après l’expiration de l’ultimatum, Naji a cru qu’il était dans son droit. C’était par hasard qu’il avait croisé Malcolm David Vincent, un informaticien de la société Pullman-Kellogg, qui travaillait pour la Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale, fortement implantée à Azrew. Mais Naji était un psychopathe. Après l’Anglais, il a tué, toujours sans ordre, un brigadier. Alors qu’il ouvrait la porte de sa maison, à la tombée de la nuit, il remarqua un policier qui passait par hasard sur le trottoir, Naji abattit le flic, puis retourna chez lui.
Elimination
Il disait vouloir tuer le maximum de gens avant de mourir.
À partir de ce moment, on comprit que Naji n’était pas normal. Ses imprudences pouvaient nous coûter cher. Je conseillais à Mekki de l’éliminer. Personne ne voulait plus « travailler » avec lui, sauf Kadi, un nouveau, qui n’avait pas le choix car il venait d’arriver. Son engagement fut de courte durée. Naji avait prévu d’abattre un commissaire. Lorsqu’ils se sont pointés, il n’y avait pas de commissaire, mais des agents de la SM qui leur avaient tendu un piège. Kadi fut criblé de balles mais Naji s’en sortit indemne.
Il voulut ensuite que je lui donne des grenades. Un autre moudjahidine, un type que je connaissais bien puisqu’il était un de mes amis d’enfance, les lui avait demandées. Je refusais car Naji était capable de commettre un massacre en les jetant n’importe où. Depuis que sa femme Djihade était en prison, il était de plus en plus excité. Il en voulait à la terre entière. Quand il fit part de mon refus à mon ami, celui-ci lui demanda de m’abattre d’une balle dans le dos! Naji rapporta, heureusement, l’histoire à Mekki qui m’informa de la menace qui pesait sur moi.
Entre nous régnait la suspicion. Pour un mot de travers, on pouvait être éliminé. Mais je n’ai pas cherché à me venger de celui que je croyais être mon ami. Il avait réagi sous l’emprise de la jalousie. J’occupais un poste important parce que j’avais la confiance de Mekki et de Benchiha. Quelques mois après, cet ami fut condamné par le GIA pour le détournement de 120.000 francs. Naji se porta volontaire pour le tuer. C’est moi qui arrêtais ce contrat.
Je m’apercevais, une fois de plus, que dans cette guerre, les amis n’existaient pas. On pouvait être trahi par ceux en qui on avait placé toute sa confiance.
Viols
Au maquis, la sexualité était un sujet tabou.
Si les moudjahidine avaient su que le fils du pharmacien était un homosexuel, ils l’auraient probablement exécuté. Dans le cas contraire, ils lui auraient mené une vie impossible. L’homosexualité est illicite en Islam. Plusieurs sourates le stipulent. Abbas était imberbe. Il était comme une femme. C’était doublement péché d’embrasser un jeune garçon.
Je découvrais dans le maquis des hommes qui se disaient moudjahidine et qui vivaient en cachette dans la luxure. J’avais également entendu parler de viols de femmes. Le cas s’était produit dans un groupe voisin. Ahmed aimait une fille d’un village près de Tlemcen. Mais le père ne voulait pas en entendre parler, et la fille, je crois, non plus. Il s’opposait à cette union car il considérait qu’Ahmed n’avait pas d’avenir. Il n’était pas un bon parti. Surtout depuis qu’il nous avait rejoints. L’année suivante, le père donna sa fille en mariage à un autre homme. Quand il a appris la nouvelle, Ahmed est devenu comme fou. Il enrageait de perdre sa belle. Son honneur était bafoué. Le jour des noces, il fit irruption dans la maison en fête.
Il braqua les invités avec sa Kalachnikov et enleva la mariée. Il resta deux semaines avec elle dans la montagne, la violant chaque jour. Je pense que la fille ne l’aimait pas. Elle était terrorisée. Elle ne reconnaissait plus, de toute manière, le jeune homme qu’elle avait connu. Ahmed était devenu un loup, sale, barbu, qui avait du sang sur les mains. Elle savait quel sort les moudjahidine réservaient aux femmes qu’ils enlevaient.
Elle avait entendu les récits d’horreur qui circulaient dans son village sur les cadavres sans tête, les femmes enceintes éventrées et les bébés jetés contre les murs par les compagnons d’Ahmed. Peut-être que l’homme qui avait voulu l’épouser avait lui-même commis les pires atrocités. Cette idée devait lui être insupportable. Heureusement pour elle, l’émir d’Ahmed ne toléra pas longtemps cette situation. Il lui intima l’ordre de relâcher la fille.
Exécution
Il ne pouvait pas de toute façon la retenir davantage. Garder une femme prisonnière au maquis était impossible. Aucune fille ne pouvait supporter nos conditions de vie. Les autres moudjahidine auraient fini par la violer à leur tour et Ahmed l’aurait exécutée. Quel sort lui réserva sa famille lorsqu’elle retourna dans son village? Je n’en sais rien. Mais sa vie doit être finie. Non seulement elle reste traumatisée par les sévices qu’elle a subis, mais le regard des autres doit lui être insupportable.
(A suivre)
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