« Paris est une jungle et les fauves sont miteux ».


 

La France est un pays décidément bien singulier.

Il a suffit que Nicolas Sarkozy fasse savoir qu’il souhaitait transférer les cendres d’Albert Camus au Panthéon, pour que des « camusiens » autodésignés  prennent position en rangs serrés.

Les uns, minoritaires, approuvent .

 D’autres s’insurgent au motif que Camus, qui, rappelons-le, est mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960, aurait trouvé à l’ombre d’un cyprès du cimetière de Lourmarin « son port et sa dernière demeure » et que Nicolas Sarkozy ne partage pas les idées de l’auteur de L’Homme révolté . Enfin, qu’il s’agirait d’un énième plan de communication concocté par l’Elysée.

Edifiant de voir cet élan quasi unanime d’une certaine gauche, cette gauche « intellectuelle » dominatrice, arrogante, autoritaire ici et totalitaire là-bas, cette gauche qui le honnissait, s’opposant au transfert de ses cendres au Panthéon des Grands Hommes de la République, se faisant la « gardienne » d’une pensée qu’elle a méprisée.

Il a suffi que Sarkozy en ait eu l’idée, et cette gauche découvre soudain les mérites de Camus qu’elle n’a même pas lu.

« Le marxisme ne peut fabriquer que des esclaves », écrivait Camus. De quoi se « mettre à dos » toute l’intelligentsia parisienne !!!!

 Camus, c’était la tolérance ferme, c’est-à-dire  » l’ambiguïté » pour certains…..

Je viens de terminer la lecture d’une récente biographie ( ce n’est ni la première, ni la dernière ) de cet auteur qui occupe une place à part, dans notre littérature.

L’intérêt de cette biographie, c’est qu’elle est l’oeuvre d’un écrivain roumain.

 Prix de littérature de l’Union Latine et Prix de dramaturgie de l’Académie Roumaine, Virgile Tanase nous propose une analyse biographique distanciée, qui échappe aux regards obliques des biographes « engagés », tentés de régler, au passage, quelques comptes avec un auteur contempté par une certaine gauche. 

Cette gauche qui n’a jamais admis, à l’époque où la pensée intellectuelle française était dominée par des « compagnons de route » et des apologues d’un communisme stalinien triomphant, la popularité et la séduction exercée par cet homme qui n’était pas des leurs.( Camus. Virgil Tanase. Folio. Biographies ).

Et pour cause: Camus qui avait un sens élevé de l’honneur, a été, au sein du « monde de l’écriture » de l’après-guerre, un défenseur ardent de valeurs morales qui n’avaient déjà plus cours.

Ce n’est pas pour rien qu’en Septembre 1952, Camus note dans ces Carnets, « Polémique avec les T(emps) M(odernes). Paris est une jungle et les fauves sont miteux ».

Ainsi, lorsque sort « l’Homme Révolté », d’Alger où il s’est rendu au chevet de sa mère qui s’est cassé une jambe et a dû subir une intervention chirurgicale, Camus écrit à René Char, son ami, pour lui donner de ses nouvelles; le retour à Paris l’inquiète:  » Je suis à Alger auprès de ma mère malade ( et qui va très bien maintenant ), et je suis heureux de la regarder tous les jours. Paris, la vulgarité de ses intelligences, toutes ces lâches complaisances me donnent d’avance la nausée. Et je vais rentrer dans quelques jours ».

Il pressent, il sait que l’accueil de cet ouvrage sera dévastateur. Car pour Camus, la « révolte » est une saine réaction contre la lâcheté et l’injustice. Mais la « révolution » marxiste conduit à une impasse tragique. 

L’assaut, dont Sartre tire les ficelles, sera donné à partir d’une chronique de la Revue « Les Temps Modernes », signée par Francis Jeanson, philosophe marxiste, futur « porteur de valises » pendant la Guerre d’Algérie , totalement acquis, et sans nuance, aux arguments qui justifient la Politique du Parti Communiste, lequel exerce une influance dominante sur la vie intellectuelle de l’époque.

« Dénonçant une morale « de la Croix Rouge » déjà présente dans la Peste, le chroniqueur des Temps Modernes n’a aucun mal à prouver que Camus ne croît pas à la théorie marxiste de la lutte des classes, moteur de l’Histoire.

L’Homme Révolté n’est pas le révolutionnaire qui mène une action politique pour anéantir l’exploitation capitaliste.

 La sentance est logique et sans appel: l’ouvrage de Camus est un livre de diversion, dont le but non avoué est de détourner les masses populaires de leur vocation révolutionnaire. Le style, remarquable, n’est qu’un piège de plus: l’art littéraire occulte délibérément la vocation réactionnaire du texte. » ( Virgil Tanase ).

La condamnation littéraire restera sans appel.

 Camus tentera vainement d’argumenter pour défendre son ouvrage auprès de Sartre, dont la réponse sera d’une condescendance et d’un mépris cinglants.

Dans son sillage, une nuée de scribouillards dont la postérité s’empressera d’oublier les noms, s’engouffrent dans la brêche ouverte par ce « phare de l’intelligence » que fut Sartre, pour multiplier les attaques et les jugements indignes contre celui qu’ils considèrent comme « un Philosophe pour classes terminales »…..

Mais l’Histoire littéraire n’est pas pas l’histoire racontée par les obsédés du « Grand Soir ».

Virgil Tanase, écrivain roumain, rend justice à Camus, qui est aujourd »hui l’un des auteurs les plus lus, les plus étudiés dans le monde, au programme des plus grandes universités, un écrivain qui séduit la jeunesse par la beauté du style et par la pureté des idéaux véhiculés dans une oeuvre puissante.

Par contre, qui lit encore « Critique de la Raison dialectique », cette somme de banalités et de truismes philosophiques , dont on dit que lors de sa première publication, l’Editeur a omis, dans les exemplaires vendus, un chapitre entier, ce dont personne ne s’est aperçu,….pas même l’auteur!!!!

Qui lit encore « l’Etre et le Néant » ??? Ou « L’existentialisme est un Humanisme » ???Qui lit encore la Revue sartro-marxiste « les Temps Modernes », à part quelques intellectuels attardés, embourbés dans leurs illusions marxistes, et ce malgré les efforts de quelques journaleux du Monde pour tenter de relancer l’intérêt de cette publication…. http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/21/la-litterature-au-service-du-present_1390572_3232.html

En vérité, pour le grand public, il ne reste de Sartre et de sa compagne Simone de Beauvoir, apôtres d’une « sexualité avancée », qu’une image brouillée par le souvenir sulfureux de leurs expériences coquines, souvenir bien plus « riche » que celui de leur pensée philosophique….. 

19 réflexions au sujet de « « Paris est une jungle et les fauves sont miteux ». »

  1. Ping : Partie sans laisser d’adresse… | Tempus Fugit….

  2. Ce serait stupide et d’un sectarisme douteux. Camus ne pouvait pas s’engager étant donné son état de santé. En outre on peut être en désaccord avec quelqu’un parcequ’on ne partage pas toutes ses convictions ( ce qui fut mon cas autrefois vis a vis de Camus) mais apprécier, voire admirer son talent. La vie n’est pas un film en noir et blanc.

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  3. Or donc, votre culture n’est pas aussi grande que l’on pourrait le penser….
    Roger Curel a publié
    -« Chant haoussas » 1952,
    -« Le géant du grand fleuve » 1956,
    -« La gloire des Muller » 1961,
    -« Madrid » 1962,
    -« L’Office des Ténèbres » 1965,
    -« Brancula » 1969,
    -« La Rose d’Alger » 1989,
    -‘ »Eloge de la colonie » 1992,
    -« Une maison en Provence » 1994,
    -« Maxence de Tyr » 1998,
    -« Psy » 2000,
    -« Insoumission » 2000,
    -« Feria » 2006,
    -« Caprices et Désastres » 2009.

    J’ajoute que cet écrivain est né le 29 mai 1923 en…Algérie. Comme vous, non ???

    jf.

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  4. C’est vieille blague sur « Camus » philosophe pour classe terminale »…. Mais en littérature, comme dans la plupart des activités, c’est « le marché »qui tranche, c’est à dire les lecteurs!!!
    Je me régale de lire et de relire Camus, dont l’écriture est simple claire, dense, imagée. Ce Rosfelder, je ne sais même pas qui il est, ni quelle oeuvre il laissera à la postérité. C’est toute la différence.

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  5. Voici ce que je viens de découvrir au fil de mes propres lectures:

    L’acier bleu du regard a la francg=hise d’un coup de poing quand il dénonce les excès de la célébration camusienne. Selon lui, les jeux de promotion réciproque liant éditeurs, journalistes et politiques autour du prix Nobel de littérature 1957 interident  » le temps de la réflexion, du commentaire et de la précaution. Albert Camus était très sympathique. Burberry à la Bogart, intelligence à fleur de peau, macho, le sentiment, très tôt, qu’il était un maître à respecter. Instit force 9, un leader naturel, quoi !
    A la Libération, il rejoint Combat, propriété d’Henri Smadja. Ce « Combat » là est la suite du Combat de la clandestinité, mais celui-là, Camus n’y a jamais appartenu, même si plus tard ses thuriféraires joueront sur l’ambiguïté du titre…
    Pourquoi un tel engouement ? Des idées simples. Un style dépouillé qui autorise toutes les traductions. Une fausse bonne morale, solitaire, élitiste, sévère.
    Une sorte de résumé-philo pour passer le bac.
    Nous mangeons des oursins entre un Platon tendance foot et un Kierkegaard d’école normale.
    Sa mort l’a transformé en star de l’édition et nous sommes ainsi devenus voisins de campagne ».

    Ces lignes sont de Roger ROSFELDER, alias Roger Curel, écrivain rebelle et scénariste.
    Elles ont été publiés dans « Le journal du Luberon » N° 51 (mai-juin 2010).

    jf.

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  6. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu Jack Lang pénétrer au Panthéon aux coté de François Mitterrand !
    Vous avez du avoir la berlue.
    Je ne vois d’ailleurs pas où aurait pu se trouver une « récupération politique » de la part de Mitterrand, élu au suffrage universel quelques jours auparavant, à aller s' »incliner devant la tombe de Jaurès.
    En revanche, lorsqu’un nouveau Président, de droite, se complaisait à citer le même Jaurès, et à tout bout de champ, ça c’était bel et bien de la récup politicienne…..

    jf.

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  7. Toute initiative politique dans le domaine culturel vise à « récupérer ». La remontée de Mitterrand flanqué de Jacques Lang vers le panthéon n’en était-elle pas une ???
    Quand au label en question , ceux que j’ai cités, parmi les plus agités, sans parler de ceux dont j’ai oublié le nom, qui parlaient « au nom de Camus » de ce qu’il aurait pensé de cette initiative,ils s’autodésignaient pour parler en son nom et en celui de ses proches. Ridicules.

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  8. Parce qu’il n’y avait pas tentative de récupération politicienne ????
    Et en quoi les personnes que vous citez sont des « camusiens autodésignés ».
    Qui donc délivre le label de « camusien », vous ?

    jf.

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  9. Vous vouliez des noms ??? Alors je vous en donne quelques uns: le Parti Communiste qui « dénonce » la « récupération politicienne ». Il est bien placé sur ce terrain là. Michel Onfray, Philippe Sollers, Olivier Todd ( son biographe) et bien d’autres ainsi qu’une une quirielle d’obscurs journaleux.

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  10. Oui, vous vous souveniez mal, vu que le « tintouin » comme vous dites, provenait des enfants d’Albert Camus …….!!!!
    Et que vous ne citez aucun nom comme « camusien autodésigné »……
    C’est dire si votre mémoire sur la question est plutôt floue.

    jf.

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  11. Le fils et la fille d’Albert Camus ont le droit légitime de s’opposer au transfert de leur père au Panthéon. Et leurs arguments sont parfaitement respectables.
    Il n’en est pas de même de tout ceux qui, au sein du microcosme intellectuel parisien, se sont élevés contre ce projet. Aux arguments sincères des enfants de Camus, se mellaient les arguties de scribouillards jaloux, quelques fois hypocrites qui n’ont jamais considéré Camus comme l’un des leurs. Pour notre plus grand bonheur….

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  12. Merci pour ce commentaire ainsi que pour l’information. J’irai faire un tour sur France Culture.
    J’ai une relation affective particulière avec cet auteur.Nos origines sont identiques. Nous avons fréquenté la même école primaire, puis le même Lycée…. à 30 ans d’intervalle…
    Mais lui,….. il avait un immense talent !!!Même si je n’ai pas toujours totalement partagé son point de vue, je reconnais aujourd’hui qu’il avait raison. De toute manière, comment ne pas admirer ce talent d’écriture, si pur ????

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  13. Je viens de terminer la lecture d’une intéressante biographie de Camus. Et en refermant le livre je me suis souvenu du titouin organisé autour de l’idée de son transfert au Panthéon.
    Pour fustiger la Gauche, je n’ai qu’à rappeler des faits enveloppés de silence……

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  14. « pour que des « camusiens » autodésignés prennent position en rangs serrés. »

    Le fils d’Albert Camus refuse le transfert de son père au Panthéon.

    La fille d’Albert Camus, Catherine, est profondément déconcertée par l’idée de transférer les restes de son père au Panthéon et ne parvient pas à dire si elle s’opposera à ce transfert.

    Comme « camusiens autodésignés », il n’y a pas mieux !!!!!

    Je suis toujours épaté par vos billets qui n’ont aucun rapport avec l’actualité directe puisque cette controverse remonte à novembre 2009…..
    Quelle mouche vous a donc piqué pour…exhumer cette affaire dont plus personne ne parle, à part pour fustiger la gauche, l’un de vos sports favoris ????

    jf.

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