( Suite)Retour chez ma grand mère.
Car après quatre années passées à l’Internat du Lycée de Ben Aknoun, j’ai obtenu mon BEPC ( le Brevet d’Etudes du Premier Cycle), ce qui m’ouvre les portes de la Classe de seconde du « Grand Lycée », le Lycée Bugeaud.
Or, il se trouve que ma grand mère, habite Rue Géricault, en face du Square Nelson, et à quelques centaines de mètres du Lycée, aux portes de Bab El Oued.
Je vivrai là, auprès d’elle, pendant quatre ans, le temps de mes classes de Seconde C, de Première C, puis de Mathématiques Elémentaires, puis ma première année de Fac et de SupdeCo. Pour la suite, j’obtiendrai une chambre de boursier à la Cité Universitaire de Ben Aknoun.
Quatre années d’études pendant les quelles je bénéficie de la sollicitude affectueuse de ma grand mère et de l’appui bienveillant, en Mathématiques, de mon Oncle l’Instituteur Baldenweg qui est aussi mon parrain, qui chaque Jeudi, donne dans la salle à manger de ma grand mère, des cours particuliers de Maths.
Mes trois années d’études au Lycée Bugeaud vont me permettre, à l’âge où, au sortir de l’enfance l’esprit s’éveille, de découvrir un environnement intellectuel nouveau, de nouer de nouvelles amitiés, et de bénéficier de l’enseignement de Professeurs d’exception, doués d’un charisme et d’un rare talent pédagogique. Ils ont formé et marqué profondément des générations d’élèves dont certains, même dans l’exil futur qui les attend, feront grâce à eux, des carrières brillantes.
Des Professeurs de Maths tels que Messieurs Fredj, Tutenuit, de Physique tels que Lhermitte, ou Turquini, des professeurs de lettres tels que Poupon, ou de Philo tels qu’Alavoine, ( je ne peux pas ici les citer tous ) ont à leur actif la réussite des très nombreux élèves du Grand Lycée, dont les classes préparatoires aux grandes écoles, notamment, étaient réputées dans toute la France.
On trouvera sur ces sites d’une qualité exceptionnelle, d’où j’extrais ces photos, une somme considérable de propos, d’images, de souvenirs relatifs à ce Lycée ainsi qu’au Lycée de Ben Aknoun, à ses élèves, et à ses enseignants, dignes héritiers des « Hussards de la République »:
http://lycee-bugeaud.fr/index.htm
http://alger-roi.fr/sommaire/sommaire.htm
Le matin, je pars au Lycée vers 7h45 et en moins d’un quart d’heure, je suis dans la grande cour du Lycée.
Parfois je passe sous les arcades de la rue Eugène Robe où se trouve, à cette époque, un marchand de beignets tunisiens, et avec les 25 centimes que me donne ma grand mère, qui n’est pas riche, je m’offre un beignet tout chaud. Lorsque j’ai quelques minutes d’avance, je musarde en traversant le square Nelson pour respirer, en automne, l’odeur de la terre mouillée et au printemps le parfum des roses et du jasmin.
Le soir je rentre vers 18heures chez ma grand mère qui d’un air soupçonneux, car elle sait que les cours se terminent à 17 heures, me demande ce que j’ai fait entre temps….
Entre temps, j’ai retrouvé mes copains dans un petit bar voisin du Lycée pour une partie de « ping-foot ». Il y a là, entre autres, M’sellati, N’Kaoua, Carraz, Fuchs, Tailland, Nakache et Zemirli. Quelques fois, pour se débarrasser de nous, à cause du chahut que nous faisons dans le bar, qui énèrve les clients, le patron nous offre un café, à condition que nous allions « nous amuser ailleurs »….
Ce qui me frappe encore aujourd’hui, en regardant les photos de classe de l’époque ( que l’on peut voir sur le site ci-dessus ), c’est le nombre d’élèves Juifs et Arabes qu’il y avait dans ma classe.
Les Levy, Lellouche, Hachach, Nakache, M’sellati sont des élèves brillants. J’en parle quelques fois à ma grand mère pour lui dire que j’aimerais pouvoir briller autant qu’eux.
Sa réponse est toujours la même : « tu n’as qu’à travailler plus…. ». Pour ma grand mère, il n’est point de salut en dehors du travail.
Car elle a grandi, dans le modeste quartier de la Marine, où beaucoup de familles juives étaient établies , bien avant la conquête française. Elle avait de grandes amies juives, comme sa voisine, Madame Raffi, qui ( paradoxe ?) avaient appris, avec elle, la couture « chez les religieuses », et avec qui elle est restée en relation toute sa vie, dont les enfants avaient été, dans les années quarante, sous Vichy, exclus de l’école républicaine.
Ma grand mère évoquait souvent, sans doute pour me stimuler, la volonté de réussite scolaire qui animait les enfants de familles juives.
Sous Vichy, c’est, selon ma grand mère, le Consistoire Israélite qui avait pris le relais et avait organisé pour « les exclus », des classes de substitution. Elle évoquait les sacrifices que les familles juives les plus modestes étaient prêtes à consentir pour permettre à leurs enfants de « s’élever », grâce aux « études »….
Elle me parlait souvent de ce sujet qui semblait lui tenir à coeur.
Contrairement à ce qui se passait dans beaucoup de familles arabes qui refusaient d’envoyer leurs enfants à l’école française, et lui préféraient l’école coranique, les familles juives avaient clairement fait un choix, dès le lendemain de l’application du Décret Crémieux qui leur conférait d’office la nationalité française, celui de s’intégrer à la nation française.
La France les a ainsi libérés de la condition de Dhimis dont ils avaient hérité de l’Empire Ottoman.
Ma grand mère me racontait que dans sa jeunesse, il y avait eu, des mouvements anti-sémites, sous l’impulsion d’un certain Max-Régis, élu Maire d’Alger. Elle se souvenait des exactions dont avaient été victimes certains commerçants juifs de son quartier, dont certains avaient dû se réfugier chez ses parents pour échapper à des actes de violence.
Mais elle évoquait aussi, l’anti-sémitisme plus sévère, parce que plus sournois, qu’ était celui des Arabes, qui n’ont jamais digéré la faveur faite, en 1870, par la France de Crémieux aux Juifs, en leur accordant sans condition la nationalité française. Certes, la même possibilité était offerte aux Arabes, mais elle était conditionnée par leur renoncement au « Statut des Musulmans » qui préservait les particularismes liés à leur religion et à leurs traditions, tels que la polygamie, ou la possibilité d’envoyer leurs enfants étudier dans les écoles coraniques et dans les Médersas….
Rares sont les Arabes qui avaient fait le choix de la nationalité française, contrairement aux Juifs, ce qui explique la différence de statut entre les Arabes et le reste d’une population de Français de fraîche date.
C’est un sujet que les « historiens » n’évoquent que très discrètement quand ils abordent le sujet des inégalités entre les communautés, à l’époque coloniale….
Toutes ces conversations avec ma grand mère se sont ancrées dans ma mémoire, et j’aurai l’occasion, plus tard, à l’occasion de mes lectures, de donner un cadre historique aux évènements qu’elle me racontait avec une sorte de naïveté dûe à son inculture politique.
Elle voyait d’un très bon oeil que j’aille de temps à autres chez mon copain Lellouche, fils du pharmacien de l’Avenue de la Marne pour « réviser » nos cours avant l’épreuve des « compositions ». Léon Lellouche était, pour ma grand mère, un garçon « bien élevé »et « fréquentable ».
Par contre elle était plus réservée sur l’amitié que j’entretenais avec mon copain Zemirli, qu’elle prenait, à tort pour un Arabe.
El-Hadi Zemirli devient assez vite un de mes grands copains de jeunesse. Le hasard nous a placés côte à côte sur les bancs de la classe.
Nous partageons le même humour frondeur et caustique, la même passion pour le foot, la même attirance pour les filles, et le goût des discussions sans fin…Et surtout, lorsqu’il découvrira que j’étudie la musique, de vraies affinités partagées pour le Jazz, qui montre le bout de son nez à Alger, depuis la fin de la guerre.
En fait, Zemirli n’est pas, contrairement à ses apparences, un Arabe. Comme son nom ne l’indique pas à tout le monde, il est d’origine turque ottomane, d’une famille de la bourgeoisie algérienne venue d’Izmir, avant la colonisation française : je le mets très souvent « en boîte » à ce sujet, mais il proteste, car il se sent profondément « algérien ».
Cela l’entraînera plus tard sur les chemins de la révolte, après le déclenchement de ce que l’on appellera plus tard, bien plus tard, « la Guerre d’Algérie »: après avoir longtemps hésité, c’est la mort de son petit frère Salim, étudiant en médecine, tué par les parachutistes alors qu’il avait créé un hôpital clandestin pour soigner des blessés du FLN, qui le fera « basculer » dans la « rébellion ». Mais cela, c’est une autre histoire…..
A l’époque où nous partageons le même banc au Lycée Bugeaud, la perspective d’un tel fossé, d’une telle rupture entre nous est inenvisageable.
Ensemble nous avons vécu de grands moments de notre jeunesse de lycéens. Au Lycée, après quelques mois de scolarité, j’ai acquis, par « le bouche à oreilles », une petite notoriété de « musicien » qui fera que je serai designé pour être le représentant des « Jeunesses Musicales de France ». L’année d’après j’entrerai au Comité Directeur de cette Association , et avec Zemirli, je ferai venir à Alger, dans le cadre des tournées qu’ils faisaient en Europe, quelques grands noms du Jazz, comme Dizzy Gilespie, Count Basie ou Art Tatum, qui donneront de mémorables concerts à la Salle Pierre Bordes.
Zemirli vient quelques fois chez ma grand mère qui, à tort selon moi, ne l’apprécie guère, à la sortie du Lycée, pour préparer ensemble, un devoir de Mathématiques. Je vais quelques fois chez lui, dans une maison bourgeoise, Impasse Montfleury, près du Stade Municipal où nous jouons au foot.
Je l’ai déjà raconté dans d’autres billets sur ce blog, mais je ne résiste pas au plaisir de raconter à nouveau que lorsque nous arrivions devant la grille du jardin, Zemirli sonnait une petite cloche avant d’ouvrir, et quand nous arrivions dans l’escalier de la maison, il criait « yemma !!! » ( Maman !!!), et j’entendais sa mère qui frappait dans ses mains, pendant que, en montant l’escalier, j’entendais les jeunes soeurs de Zemirli qui regagnaient leur chambre en poussant des gloussements de poulettes excitées… Car je n’avais pas le droit de croiser le regard de ses soeurs, moi, « le mécréant »….
Sa mère me recevait comme un prince: thé à la menthe, petites pâtisseries au miel et aux amandes. Souvent, elle me demandait ce qu’elle appelait « une faveur », celle de lui jouer un morceau de piano sur le « Steinway »d’études qui était dans le salon, dont personne ne jouait dans la famille, semble-t-il. Je leur jouais « On the Sunny Side of the Street » sans savoir, alors, quelle valeur symbolique avait ce titre….
Puis nous montions encore un étage pour aller travailler dans « le bureau », doté d’une bibliothèque tapissée de livres, où Jean-Paul Sartre occupait tout un rayon. Je pénétrais ainsi dans une famille cultivée: le frère aîné de mon copain deviendra un médecin réputé à Alger et dirigera, après l’indépendance, le grand hôpital de Mustapha, un autre frère était chimiste à l’hopital d’El Kettar, et le plus jeune frère, Salim tristement évoqué ci-dessus, sera étudiant en médecine. Les soeurs, elles, n’allaient pas à l’école…..
Dans ce bureau il y avait un tableau noir sur lequel nous développions nos équations.
Et surtout, il y avait…un électrophone « Tepazz » et quelques disques de Jazz, les premiers que j’aie écoutés dans ma vie, car pour moi, à cette époque, cet électrophone et ces disques c’était le summum du luxe.(à suivre).
Ily a certaines vérités qu’il est bon de connaître,décidement il était impossible de rester dans ce pays,nous nous apercevons quand même qu’il y a certaines similitudes en France.
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Tiens, tiens, amusant !
J’ai moi-même été aux « Jeunesses Musicales de France », à Paris.
jf
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