J’ai déja évoqué, dans un précédent billet, la curiosité et l’intérêt que soulève depuis peu Philippe Muray, un auteur, hélas récemment décédé, dont j’apprécie l’humour décapant qui accompagne ses analyses sur les travers de la société contemporaine.
Cet intérêt, est vraisemblablement suscité par les nombreuses réactions- élogieuses- de la critique au spectacle de Fabrice Lucchini, que je n’ai pas eu la chance de voir jusqu’ici mais que je ne manquerai pas lors de mon prochain séjour à Paris.
Muray fait partie d’une génération d’auteurs, à laquelle appartient Michel Houellebecq, qui portent sur le monde dans lequel nous sommes sensés vivre, un regard dérangeant, et qui énervent tous ceux qui se repaissent de discours creux, d’affirmations légères, et qui ne souffrent pas que l’on puisse douter de leurs certitudes.
Il fait partie de ces auteurs qui, comme le dit précisément Michel Houellebecq, offrent à la Société » à travers lui, comme peut-être à travers moi, ce petit frisson de liberté qui lui est jusqu’à présent, malgré tout, nécessaire ».
Mais cela fait du bien, de pouvoir encore, dans un monde qui n’a pas complètement sombré dans le « totalitarisme intellectuel », se ressourcer dans des propos qui font la part belle à la dérision, et qui pointent du doigt les errements d’une société qui, sous les coups de boutoirs de ceux qui se sont arrogé le droit de parler au nom de la modernité, se laisse paresseusement « formater », comme si elle n’était plus capable de faire la part entre des évidences et des contre-vérités.
« Festivus, Festivus » , ouvrage basé sur un brillant dialogue entre Philippe Muray et Elisabeth Levy, une journaliste et écrivain qui ne s’en laisse pas conter par les « ayatolahs » de la bien-pensance, c’est un « festival » de saillies décapantes échangées entre deux esprits doués pour la controverse, et qui, tout au long des 400 pages de ce livre, alternent entre désaccords et connivences intellectuelles, inspirés par le même regard oblique porté sur une société obsédée par l’appétit de jouissance, le goût pour la superficialité et l’insignifiance, le refus de l’effort et du sacrifice, la peur de la vieillesse et du vide sexuel qu’elle s’est elle même fabriqué, et dans lequel elle se précipite à la manière des bestiaux de Panurge.
Philippe Muray prend pour cible les nouvelles « ethnies » issues de la société petite-bourgeoise de notre siècle, que les médias ont affublé de qualificatifs exotiques,tels que « bourgeois bohème ( bobos) », « élites urbaines », » libéraux libertaires », « classes aisées », « néo-bourgeois », ou héritiers du « soixante-huitisme ».
Ces nouvelles élites, que l’on trouve à la pointe des combats menés par le quotidien « Libération », sont souvent « diplômées et branchées nouvelles technologies », « sourcilleuses sur les questions d’environnement », se rencontrent et « s’entretiennent physiquement sur des vélos et des rollers, veulent des « pistes cyclables et des crèches pour leurs enfants », des « espaces verts et des lieux de consommation culturelle ».
Aucun programme politique qui négligerait les aspirations vertueuses de ces nouvelles couches sociales, qui ont grandi dans des couches culottes en papier de soie, n’a de chance d’être soutenu par ces élites là.
» Ce sont des gens à portable entre les oreilles, aux yeux de qui la glisse est une idée neuve en Europe »…..Ils ont, comme on dit puisque les mots n’ont plus de sens, » fait tomber Paris à Gauche ». « Ils n’ont rien fait tomber du tout, d’abord parce qu’il n’y a presque plus rien qui tienne debout,….et aussi parce qu’il n’y a plus que les touristes qui croient que Paris existe encore ».
Ils mènent des « batailles postiches » et « sans suspense pour la défense de raves sauvages, autrement appelées encore free-parties », qui constituent avec les gay-prides le summum de la festivité pour ces êtres qui ont quitté le cours de l’Histoire puisque pour eux, nous vivons depuis quelques années, « la fin de l’Histoire ».
Cet échantillon des banderilles qu’il plante dans le corps social, donnera peut-être à quelques uns de mes lecteurs, l’envie d’aller entendre à Paris, l’acteur Fabrice Lucchini qui prête son immense talent de conteur à cet auteur méconnu, pour le moment, mais qui, à n’en pas douter restera parmi les esprits les plus décapants de ce siècle où la mièvrerie s’exprime partout, ce siècle qui n’a de respect et d’estime que pour les discours » bisou-nounours » pour adolescents suceurs de pouce attardés.
Il donnera peut-être aussi envie de lire Philippe Muray, à ceux qui préfèrent encore les bonnes lectures aux émissions de télévisions destinées à faire le vide dans leur pensée, afin que « les idées nouvelles » portées par les messages publicitaires y occupent toute leur place.
Je reviendrai, pour le plaisir, sur quelques uns des bons chapitres de cet ouvrage, pour faire partager à ceux qui ont conservé l’esprit goguenard, quelques passages désopilants et à travers eux, quelques échantillons du talent de Philippe Muray.