Touaregs (suite et fin).


……..Le lendemain, au lever du jour, j’escalade la dune au bas de laquelle j’avais « fait mon nid »pour la nuit, le temps de voir le soleil s’élever sur l’horizon, et en jetant un regard circulaire j’aperçois, au loin, un groupe de « zéribas », autour des quelles règne une agitation bruyante.

Les « youyous » déchirent le silence du désert….Un mariage peut-être, ou une naissance ???

Nous n’aurons pas le temps d’aller voir ce qui se passe. Car nous avons encore de longues heures de 4×4 à parcourir pour remonter du Tassili sur Tamanrasset.

 

De nombreux passages difficiles nous attendent, d’autant que l’un de nos véhicules bat de l’aile, et nécessite des arrêts fréquents, pour permettre au moteur de se refroidir…

La piste est rectiligne. Après quelques heures de route , après quelques franchissements où l’on frôle l’ensablement, après quelques sorties de pistes pour rouler dans le « fechfech » afin d’éviter des passages dangereux, nous parvenons au pied d’un paysage de falaises. Et au pied de l’une d’elles, une zériba, isolée, survolée par des pigeons…. Nous décidons de nous arrêter un moment, pour rendre visite aux occupants de cette hutte en roseaux.

Nous sommes accueillis par un vieil homme, allongé sur un tapis . Un brin de conversation avec lui nous apprend qu’il vit ici, avec ses deux épouses, quelques chèvres et qu’il élève des pigeons qui nichent dans la falaise.

Les chauffeurs Touaregs qui nous accompagnent lui parlent avec déférence. Le respect qu’il leur inspire n’est pas seulement dû à son grand âge: il est l’Amaran Hamdani Khali, chef des Touaregs de la zone du Tassili que nous traversons. Et de surcroît, il est « Hadj », ce qui signifie qu’il a fait le pélerinage sacré de La Mecque.

Il nous montre avec fierté un « livre d’or », sur lequel figurent « d’illustres signatures » qui sont passées par là et qui se sont arrêtées, surprises de tomber sur une trace de vie humaine dans cette partie du désert: parmi les signatures figure celle de Thierry Sabine, sans doute passé par là lorsqu’il explorait des routes sahariennes pour son Paris-Dakar, celle du chanteur  Daniel Balavoine, qui ont perdu la vie quelques années plus tard, et celle de…Johny Halliday (!!!) et de quelques autres que j’ai oubliées. 

Sur ce livre, j’ écris ces quelques lignes:

« Passant, médites sur la sagesse de ce vieil homme, qui dans sa solitude, a la bonté de distribuer un peu de bonheur, en jetant aux pigeons quelques poignées de son blé, si précieux ici ».

 Puis il nous accompagne pour rendre visite à la zériba de sa seconde épouse.La première, une vieille femme elle aussi, garde le maigre troupeau de chèves que l’on aperçoit, au loin.

 Nous apprécions l’honneur qu’il nous fait, car cela n’est pas dans les usages nous disent les guides.

L’épouse est accroupie, en train de moudre du blé. Elle se lève et nous offre une calebasse de lait de chèvre et un morceau de galette, encore chaude, qu’elle vient de cuire sous les braises.

 Après un long échange de « Salam » et de « baraka laoufick », le temps pour moi de faire deux ou trois croquis que je terminerai ce soir, à l’étape, nous reprenons la route. Avec un peu de chance, nous arriverons assez tôt à Tamanrasset, et nous gravirons le sommet où est installé l’ancien refuge du père de Foucault.

De là , les couchers de soleil sur les montagnes du Hoggar, sont magnifiques. Les deux Pères Blancs qui continuent à faire vivre ce refuge et à perpétuer le souvenir du Père de Foucault, nous offriront une hospitalité rustique, mais bien venue….

Une longue veillée, au cours de laquelle, les deux religieux nous parlent de leur vie solitaire, de leur foi, de leur proximité avec les populations de l’endroit. L’un d’eux, évoquant la foi des musulmans qui viennent leur rendre visite, pour leur apporter des dattes ou des oeufs, sort un exemplaire décousu du livre de Saint Exupéry, « Terre des Hommes », et nous lit ce texte:

 « Voici des Hommes qui n’avaient jamais vu un arbre ni une fontaine, ni une rose, et qui connaissaient, par le Coran seul, l’existence de jardins où coulent des ruisseaux, puisqu’il nomme ainsi le Paradis ».

En ayant gravi cette montagne, et au contact de ces religieux, moi qui suis un mécréant, j’ai l’impression de m’être rapproché du ciel…. Mais ce n’est qu’une illusion, car à cette altitude, les étoiles paraissent encore plus proches, alors qu’elles sont si lointaines.

Au petit matin nous repartirons, avec le sentiment d’avoir vécu des moments précieux, dans un site exceptionnel par sa beauté sauvage, un site inoubliable dont les images sont gravées dans ma mémoire.

J’y repense souvent, en me récitant ces mots que j’emprunte à Jean-Marie Le Clézio : « car c’est une chose de voyager et d’aller au-devant de nouveaux horizons, et une toute autre chose que de remonter son passé, comme une image inconnue de soi-même ».

 

Touaregs (suite).


C’était à la tombée du soir. Le grand disque du soleil se parait de teintes orangées, et le sommet des dunes encore baignées par ses derniers rayons viraient lentement au rouge, avant d’être happées par la nuit.

Je m’étais installé, pour passer une nouvelle nuit à « la belle étoile », à l’écart du campement où raisonnaient encore les mélopées de nos chauffeurs et guides, rythmées par le claquement des mains et le bruit sourd des tambours….

Soudain surgit de derrière une dune proche de celle où j’avais étalé mon sac de couchage, un vieil homme suivi d’un chameau qui boîtait, une patte arrière brisée. J’interpelle le chamelier et lui demande dans mon arabe approximatif ce qui lui est arrivé, et où il va ainsi, avec ce chameau blessé.

Avec une infinie tristesse, le vieillard me fait comprendre qu’il va jusque derrière la dune, pour égorger l’animal, car un chameau ne peut survivre dans le désert, avec une patte cassée. Et me disant cela, il caresse les naseaux de la bête qui avait appuyé sa tête sur l’épaule du vieil homme.

Je comprends alors le drame qu’est en train de vivre cet homme, qui va devoir se séparer d’un vieux compagnon.

 

 

Saisi par l’émotion l’homme se détourne. Et d’un pas lent et résigné, il s’éloigne suivi de la bête claudiquant.

Je les ai suivis du regard, jusqu’à ce qu’ils disparaissent derrière la dune.

Cette nuit-là, j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir, malgré la fatigue d’une longue journée en 4×4.

Je regardais les étoiles: au Sahara le ciel est si sombre, la nuit, que les étoiles brillent plus qu’ailleurs, et semblent si proches qu’on a parfois l’impression qu’en tendant le bras on pourrait les toucher.

La voûte céleste et ses millions de lumières, et notre petite planète si belle et si fragile, et le miracle de la vie sur cette terre où, comme ce pauvre chameau,  nous ne sommes que de passage, et le mystère du temps qui fuit et celui de la mort au bout du chemin….

Tout cela tourbillonnait dans ma tête, avant que la fatigue, que dis-je, l’épuisement me plonge dans un profond sommeil….( à suivre).