Je m’interroge, comme beaucoup d’autres, sur la réelle opportunité du débat ouvert par Eric Besson, Ministre de l’Immigration, de l’Identité Nationale et de je ne sais quoi encore, à propos de l’identité française.
Ce débat va permettre, à tout ceux qui n’ont à débiter que le flot habituel des banalités qui flottent dans « l’air du temps », de s’épancher sur ce qu’est, selon eux, l’Identité Française, sans que cela ne change quoi que ce soit dans la perception de ce qu’est l’identité réelle de ce pays qui, malmenée par les gesticulations superficielles de l’actualité, émerge des profondeurs de son Histoire.
Il suffit pour trouver la réponse à ces questions si souvent soulevées par ceux qui voudraient, contre le cours de notre Histoire commune, remettre en question les fondements de cette identité, de se replonger dans les trois tomes – passionnants- de l’oeuvre de Fernand Braudel intitulée « L’identité de la France ». Et de relire au passage un autre ouvrage du même auteur intitulée « Grammaire des Civilisations ».
On y constatera que cette question, ne trouve pas sa réponse sur les seuls bords de la Rive Gauche de la Seine, mais dans les innombrables villages à la silhouette si particulière d’où se détache le clocher de ces églises aujourd’hui désertées par leurs fidèles….
Paris n’est pas toute la France. Même si l’Histoire de ce pays s’est souvent écrite à Paris.
Notre époque est hantée par la difficulté d’engager un mythique « dialogue des cultures », afin d’échapper au « Choc des Civilisations » décrit par Huttington, dans un ouvrage fort décrié, que j’ai évoqué dans de précédents billets. Le refus de comprendre que pour dialoguer il faut être deux, aveugle ceux qui militent en faveur de ce dialogue.
Le Monde publiait aujourd’hui l’interview d’un éminent intellectuel, en la personne de Philippe Descola, Professeur au Collège de France, qui évoquant l’oeuvre de Levy-Strauss, nous affirme que ce dernier avait à coeur de dénoncer la récupération politique du débat sur l’identité de la France . Evoquant certains aspects de l’oeuvre de Levy-Strauss, il indique que ( extrait ):
« ………Le deuxième texte, Race et Culture, visait à préciser certains aspects du premier, mettant l’accent sur le fait que pour qu’il puisse y avoir échange et contraste entre sociétés voisines, il faut qu’elles conservent une certaine forme de permanence dans les valeurs et les institutions auxquelles elles sont attachées. Lévi-Strauss voulait souligner que l’échange n’implique pas l’uniformisation. Quand il est entré à l’Académie française, on lui a reproché d’intégrer une institution vieillotte. Or il répondait que les rites et les institutions sont fragiles et que par conséquent, il faut les faire vivre. Il portait, sur les institutions de son propre pays, un regard ethnographique, le « regard éloigné », celui que l’on porte sur des sociétés distantes.
Je retiens de ce propos l’opinion selon laquelle, une culture n’est apte au dialogue qu’à partir de l’instant ou elle prend conscience de sa singularité . Il me semble qu’un exemple remarquable de cette prise de conscience se rencontre auprès des Canadiens francophones, dont le dialogue avec les anglophones s’appuie sur l’affirmation d’une forte identité, dont la langue n’est pas le seul symbole.
L’identité française serait une sorte de mélange singulier et complexe de références à des valeurs communes, héritées des influences judéo-chrétiennes, d’un sentiment de fierté pour certains, de dénigrement pour d’autres , à l’égard de ce qu’a été l’Histoire de ce pays, avec ses moments de grandeur, et ses périodes sombres.
Histoire qui, comme certains voudraient le laisser croire, n’a pas commencé avec la Révolution de 1789.
Néanmoins les « principes républicains » font également partie de ce patrimoine de valeurs, dont les plus souvent évoquées sont celles inscrites au fronton de nos Mairies: « Liberté, Egalité, Fraternité ».Sans parler de la « laïcité » qui occupe depuis quelques décades une place centrale dans les débats sur l’identité française.
Tout cela est abondamment évoqué dans l’oeuvre de Braudel.
Certes, l’apport de l’immigration, à toutes les époques de notre Histoire, n’est pas négligeable.
Et Braudel en fait état.
L’immigration a souvent été une source d’enrichissement pour notre pays, mais cet argument fait l’objet d’un usage abusif par ceux qui par une générosité apparente ( ou par calcul ???) voudraient faire du courant d’immigration actuel, une « source de richesse ».
Ce point de vue est contestable, compte tenu de l’origine de ceux qui soit par les portes, soit par les fenêtres cherchent à pénétrer dans notre pays. Mais ce point de vue bénéficie du fait qu’il ne peut être contesté avec des données mesurables, tant il a été fait pour masquer les effets de ce phénomène en interdisant toute forme de statistiques « ethniques » sous prétexte de « lutte contre les discriminations ».
En tout état de cause, l’image généreuse de « la France terre d’accueil » fait partie de l’identité de ce pays singulier. Mais elle ne saurait résumer à elle seule toute l’identité du « cher et vieux pays »dont le rayonnement, même s’il s’est affaibli au cours du siècle dernier, puise ses sources dans la richesse de ses repères culturels.
Ceux qui craignent que l’immigration, et par une dérive possible, la xénophobie, ne dénature le sens du débat qui vient de s’engager, sont souvent ceux-là mêmes qui rêvent d’une France métissée, multicolore, ouverte à tous les vents du large….et pourquoi pas, à toute la « misère du Monde ».