(Suite). Tout au long de cette série d’articles, je n’ai pas cherché à faire oeuvre autobiographique. Je n’en avais ni l’ambition, ni le talent.
Mon but était de rendre hommage à mes deux grand mères: deux femmes d’exception qui ont profondément marqué ma jeunesse. J’ai voulu, en évoquant leur mémoire, à travers des souvenirs personnels, les faire revivre, et les préserver de l’oubli qui guette ceux qui ont disparu, surtout lorsque de douloureuses circonstances nous ont éloignés de leur sépulture.
J’ai voulu également, à travers l’évocation de leur mémoire, montrer la part qu’elles ont prise, dans l’éducation de l’enfant, puis de l’adolescent que j’étais, puis du jeune homme que je suis devenu, et enfin, l’influence qu’elles ont exercé dans la construction de l’homme que je suis.
Ma grand mère paternelle était, avec ses parents, originaire de Jalon, un petit village à l’intéreur des terres, sur la Costa Blanca espagnole, ce petit village que ses parents, ouvriers agricoles, ont quitté, fuyant la misère qui avait envahi cette région d’Espagne à la suite de plusieurs années de sécheresse. Chaque fois que je vais à Jalon, devenu, grâce à son agriculture et au tourisme un village riche et coquet, pour y faire des achats de miel, d’huile d’olive, de moscatel, d’oranges, et de charcuteries, je ne manque jamais d’avoir une pensée pour cette femme fragile et courageuse.
Elle est décédée prématurément d’un cancer et elle repose auprès de mon père et des siens au cimetière de Saint Eugène, près d’Alger. Paix à son âme.
Ma grand mère maternelle a vécu plus longtemps et j’ai eu la chance de vivre auprès d’elle pendant de longues années. Cette femme forte, volontaire, était issue, elle aussi, de ces familles pauvres qui ont émigré en Algérie, non pas pour y faire fortune mais pour vivre de leur travail.
Pour ma grand mère, il n’y avait point de salut hors d’une vie de travail. Elle m’a enseigné que l’on pouvait être pauvre, sans cesser d’être digne, et je lui dois d’avoir su, toute ma vie, que « nul ne sait où il ira, s’il oublie d’où il vient ». Elle m’a fait comprendre que c’est par le travail que l’on acqièrre le droit d’avoir « la tête haute »et que pour arriver dans la vie, il n’y a qu’un chemin, « le droit chemin ».
Les circonstances de sa mort sont, pour moi, une blessure jamais refermée.
Le 23 Mars 1962 éclatent de graves incidents qui opposent certains éléments de l’OAS à des unités de l’Amée Française.
Le 23 mars est une date terrible, car c’est pour les partisans de l’Algérie Française une journée fatale: entre eux et l’Armée désormais il y a du sang.
Le pouvoir gaulliste déclenche alors une offensive militaire sans précédent dans les rues d’Alger. La riposte à la tentative d’insurrection est directement conduite par le commandant en chef, le général Ailleret assisté du général Capodanno. Tous deux sont installés à la caserne Péllissier, située en face du Lycée Bugeaud, là où j’ai étudié, et à l’entrée même du faubourg de Bab-el-Oued, à deux pas de chez ma grand mère.
Gendarmes et CRS interviennent les premiers. Ils sont reçus, comme on pouvait s’y attendre par des tirs. La troupe venue en renfort, se joint alors au mouvement précédée par des blindés qui tirent, au jugé, sur les façades des immeubles.
Ma grand mère terrorisée, se cache sous la table de sa cuisine. Heureusement pour elle: des balles de gros calibre transpercent ses persiennes pourtant fermées, et vont se loger dans les murs, pulvérisant le grand miroir qui se trouvait dans sa chambre à coucher.
Le même jour, à 17 heures, l’Armée de l’Air intervint avec des T6 et mitraille les immeubles.
Dés lors, Bab-el-Oued est soumise à un couvre-feu permanent : ses habitants ont une heure par jour pour faire leurs courses dans les rares magasins encore ouverts, et qui ont échappé au saccage, certains diront par les Arabes, d’autres par l’Armée française.. Pendant quatre journées consécutives, le faubourg subit un véritable blocus, tandis que les immeubles sont perquisitionnés et certains saccagés.
A cette époque, je suis en mission d’Inspection à Constantine. Apprenant ce qui se passe à Bab El Oued par la radio, j’appelle mon oncle pour avoir des nouvelles de ma grand mère: il m’indique qu’il a obtenu du Consulat Suisse que ma grand mère se joigne aux citoyens suisses bénéficiant d’un rapatriement dans « leur pays d’origine », organisé par la Suisse.
Ma grand mère qui possède la double nationalité « franco-suisse »par son mariage avec mon grand père, est donc « rapatriée sanitaire », seule et à 77 ans, dans un pays où elle n’a jamais mis les pieds….
Pendant son rapatriement mouvementé, car il n’est pas évident de sortir de Bab El Oued fermée par le blocus, et encore moins évident de se rendre à l’aéroport de Maison-Blanche, ma grand mère est prise de violentes douleurs au ventre.
Le 28 Septembre 1962, alors que je suis toujours à Constantine, j’apprends, par un coup de fil de ma mère, desespérée, que ma grand mère est décédée, seule, loin de tous les siens, d’une occlusion intestinale quarante huit heures après son entrée à l’hôpital de Nyons, où elle a atterri, on ne sait pourquoi ….. Nous n’avons jamais pu obtenir des explications sur les circonstances de sa mort.
Elle sera enterrée dans le petit cimetière de Nyons au bord du Lac de Genève…..Plus tard, lorsque ma situation me le permettra, je lui rendrai visite, une fois par an.
La fin de l’année 1962 sera pour toute notre famille, une période tragique: celle d’un exode qui ressemble plus à un « sauve-qui-peut », un épisode vécu par des centaines de milliers de familles, sur lequel tout et le contraire de tout a été dit ou écrit.
Je n’y ajouterai pas mon propos. Si ce n’est pour dire, qu’après avoir envoyé ma femme et mes deux enfants en France pour les mettre à l’abri d’une situation violente et anarchique, je quitte à mon tour l’Algérie, la rage au ventre.
Cette année là, il fait si froid que la glace flotte sur les eaux du Port de marseille.
Le premier journal que j’achète pour savoir ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée, m’apprend que Gaston Deferre, le Maire Socialiste maffieux de Marseille, souhaite que ces « rats pas triés » aillent s’adapter ailleurs….
La suite appartient à mon histoire personnelle. ( FIN)