Philosophes auto-proclamés.


Il faut se méfier de l’arrogance des « philosophes » auto-proclamés.

 Autrefois, on enseignait la Morale en classe terminale de Philosophie.

Mais chez les « nouveaux philosophes » la Morale ne fait pas toujours bon ménage avec la Philosophie.

Barbara Spinelli, journaliste au quotidien italien « La Republica », inflige à Bernard Henry-Lévy qui se mêle de tout avec un culôt qui enchante la « médiacratie », une cinglante leçon de morale, à propos de la décision de l’ex-Président du Brésil, Lulla, de ne pas extrader en Italie le pseudo- révolutionnaire anarchiste Battisti, afin qu’il réponde de ses crimes devant la Justice italienne.

Dans un article reproduit par « Courrier International », elle brosse un portrait cruel, mais hélas ressemblant, d’une certaine « intelligentsia » française, ivre d’auto-suffisance et convaincue de détenir une parcelle de légitimité intellectuelle héritée de la Révolution Française et de ses ambitions universalistes.

http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/07/l-ignorance-crasse-des-intellectuels-francais

Je cite: 

 » Pour ceux qui le soutiennent, Battisti n’est pas même un terroriste. Bernard-Henri Lévy le qualifie d' »ancien enragé devenu écrivain ». Les « enragés » avaient été, au temps de la Révolution française, les plus extrémistes. Philippe Sollers le baptise « héros révolutionnaire ». Le seul fait d’être devenu écrivain le transfigure, l’absout, fait de lui un « intello », comme si ce titre suffisait à le hisser au niveau d’un Zola et de ceux qui, entre 1895 et 1906, prirent la défense du capitaine Dreyfus. Le fait est – si ce sont bien, ici, les faits qui comptent – que Cesare Battisti n’est pas seulement un « intello ». Il fut un criminel de droit commun jusqu’à ce que, par commodité, il prenne le masque du révolutionnaire en adhérant aux PAC (Prolétaires armés pour le communisme). Il a été condamné par contumace pour avoir tué trois hommes et participé à un quatrième  meurtre en 1978 et 1979, et il fuit pour échapper à la prison. 

Ces intellectuels français se voient en héritiers des dreyfusards et même des moralistes français des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Mais les moralistes ne faisaient pas la morale. Ils décrivaient la nature retorse des hommes – à commencer par la leur – avec une ironie impitoyable. Je pense à Montaigne, à La Rochefoucauld, à Pascal, à Vauvenargues, à Chamfort. Leurs prétendus héritiers eurent eux aussi ce regard impitoyable et anticonformiste quand ils fustigèrent leurs propres convictions communistes.

Certes, ces « nouveaux philosophes » ont compris Soljenitsyne bien avant les Italiens ou les Allemands. Mais, dès qu’ils manient le concept de révolutionnaire ou d’intellectuel, ils sont affligés d’un strabisme étrange, leur acuité s’émousse. Le fait d’avoir guillotiné un roi leur donne un motif d’orgueil immuable, les rend prétendument supérieurs à tout Européen.

 Même l’universalisme, dont les Français se font volontiers les chantres, les rend aveugles à leurs propres limites. Leur contribution à l’Union européenne est un mélange d’universalisme décoratif et de nationalisme effectif. Certains principes sont sacralisés à tel point qu’ils se sont ossifiés et en sont morts, comme ces étoiles qui pour nous continuent à briller bien qu’elles soient mortes depuis longtemps. De nombreuses polémiques intellectuelles agitent les Français les uns contre les autres, mais ils ne s’adressent ni à l’Europe, ni au monde, vis-à-vis desquels leur ignorance est souvent abyssale, une ignorance militante.

Les intellectuels français cultivent leur ignorance du fonctionnement de la justice italienne, de son indépendance, bien plus solide qu’en France, oublient la lutte que les magistrats mènent contre la mafia, contre la corruption, contre une politique réduite à des intérêts privés. Bernard-Henri Lévy nous invite à « tourner la page des années de plomb », du moins à les penser « sans passion, avec équité et en évitant la terrible logique du bouc émissaire ». C’est une rengaine que les Italiens connaissent bien : mieux vaut tourner les pages du fascisme, des massacres, de l’opération « Mains propres », de l’assassinat des juges Falcone et Borsellino ainsi que de leurs escortes héroïques. Mais on tourne les pages en se remémorant et en faisant justice (la clémence vient après les verdicts), faute de quoi elles restent là et propagent leur infection mortelle. Ou bien on tourne la page et on oublie, comme le font les imbéciles ou les petits soldats de l’Ignorance, deux catégories si proches.

Même Jésus avait du mal avec les imbéciles. Il admettait : « Les boiteux, je les ai guéris, les aveugles aussi. Mais, pour les imbéciles, je n’ai rien pu faire. »

 Nous n’avons pas besoin de l’ignorance militante et ahurie qui vient d’ailleurs : nous en avons largement notre dose chez nous. L’amalgame qu’on a fait entre terrorisme, mafia, corruption et mépris de la magistrature n’est pas une page obsolète qu’il s’agit de tourner. C’est le présent dans lequel nous sommes embourbés. Toutes ces choses, les Français ne les comprennent pas. Ils ont beau avoir fait la révolution et appeler chaque homme par le même nom – citoyen –, l’esprit de caste est tenace. Si vous êtes un intellectuel, vous jouissez d’une immunité particulière, même si vous avez tué votre femme, comme le philosophe Louis Althusser. Tocqueville, déjà, trouvait intolérable le flirt tellement français entre hommes politiques et gens de lettres.
 Considérer les terroristes d’hier comme des vaincus, comme les perdants de l’Histoire, relève de l’abstraction littéraire la plus ignominieuse, peut-être. Le vaincu est celui qui sort battu d’un conflit dans lequel il a été un combattant régulier, un guérillero ou un véritable enragé. On lui doit le respect : un nouvel ordre va se reconstruire, où il aura sa place. Les années de plomb n’ont pas été une guerre civile. Elles ont été une histoire criminelle, comme l’a été une grande partie de l’histoire italienne. »( Fin de citation).

Cela s’apparente à une belle volée de bois vert !!!!

 Je me suis élevé, dans le passé, sur ce blog, contre l’indulgence complaisante dont bénéficiait, en France, César Battesti, auprès de la Gauche et de certains de ses « intellectuels » emblématiques. Cet homme qui a du sang sur les mains a passé sa vie à se dérober devant la Justice de son pays, aux motifs que cette Justice serait celle d’un système politique qu’il conteste et qu’il combat.

 Il faut sans doute moins de courage à ce genre de « révolutionnaires à deux balles » pour « exécuter » un homme, que pour affronter ses Juges. Une lâcheté d’autant plus méprisable qu’ils « luttent » pour l’émergence de régimes politiques dans lesquels les opposants méritent au mieux, douze balles au peloton d’exécution…..

PS: à lire également, dans la même veine, l’article de Pierre Assouline sur son blog:

http://passouline.blog.lemonde.fr/2005/11/25/2005_11_cesare_battisti/