Je viens de terminer le « pavé »(plus de 500 pages) de Michel Onfray consacrées à Albert Camus.
Dans « L’Ordre Libertaire, La vie philosophique d’Albert Camus »édité chez Flammarion, Michel Onfray nous propose une nouvelle biographie de l’un de nos rares Prix Nobel de Littérature.
Une de plus . Car rien de ce qui est paru « de » et « sur » Camus ne m’est étranger. Cet ouvrage a donc trouvé sa place dans mes rayons de bibliothèque aux côtés des biographies antérieures, celle de Herbert Lottman ( à mon avis la plus fouillée ), celle d’Olivier Todd, celle de Virgile Tanase ( la meilleure parce que la plus objective).
J’ai glissé ce gros livre entre le stupide « Camus, philosophe pour classes terminales » de J-J. Brochier, le « Camus, frère de soleil » d’Emmanuel Roblès( Seuil), et l’essai de Fréderic Musso « Albert Camus ou la fatalité des natures » (Gallimard), juste sous les oeuvres complètes de Camus dans la Pléïade, et une collection d’éditions originales de ses oeuvres parmi les quelles le livre qui ne m’a jamais quitté depuis sa découverte, en 1950, en classe de terminale au Lycée Bugeaud d’Alger: « Noces » et « l’Eté »…..
Le livre de Michel Onfray m’a inspiré des sentiments divers.
Je n’ai apprécié que moyennement la tentative de l’auteur de faire d’Albert Camus une sorte d’intellectuel libertin, apôtre d’un anarchisme universel inspiré par Proudhon, alors qu’à mes yeux, c’est surtout le Nietzsche du « Gai Savoir » qui imprègne son oeuvre….
Par contre, j’ai apprécié le courage de Michel Onfray que je classe parmi les auteurs « de Gauche, tendance anar », qui, dans la relation de l’épisode de la vie parisienne de Camus qui l’a opposé à Jean-Paul Sartre, démonte les mécanismes du machiavélisme littéraire de l’auteur des « Mains sales »qui détestait Camus qu’il poursuivit d’une haine sectaire jusqu’à la veille de sa mort….
Nul doute que pour les générations d’étudiants à venir, l’opposition intellectuelle entre Sartre et Camus, rejoindra, en littérature, l’opposition classique entre Corneille et Racine ou entre Voltaire et Rousseau.
J’ai déjà évoqué, dans un billet antérieur mon aversion pour Jean-Paul Sartre.
https://berdepas.wordpress.com/2010/07/20/paris-est-une-jungle-et-les-fauves-sont-miteux/
Pour moi, Sartre s’est disqualifié le jour où j’ai découvert sa préface du petit livre de Franz Fanon « les Damnés de la terre« , dans lequel il écrit, à propos de la Guerre d’Algérie:
« Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. »
(Pour lire l’intégralité de cette ignoble préface) :
http://1libertaire.free.fr/Sartre1961Fanon.html .
Ce jour là, j’ai pris la mesure de ce que un certain sectarisme idéologique pouvait générer chez un intellectuel de Gauche: la perte de tout sentiment de solidarité nationale au nom d’un universalisme puéril, et la tentation de la trahison. Tentation illustrée par le « passage à l’acte »de quelques communistes, pendant la sale guerre d’Algérie.
Ce jour là, j’ai pensé que Sartre ne valait pas mieux que Brasillach, le talent en moins….
Le machiavélisme littéraire de Sartre, que Onfray démonte avec précision s’appuie sur les méthodes chères à la Gauche intellectuelle française de l’époque.
Je cite:
« la criminalisation de l’adversaire, le refus de prendre en considération ce qu’il écrit ou ce qu’il dit réellement, l’insinuation malveillante, le procès d’intention, la condamnation avant l’examen du dossier, le recours à l’insulte, la déformation des thèses, la lecture binaire du monde où le bien et le mal se séparent comme deux motiés d’orange, l’attaque ad hominem. Cette méthode fut celle de Sartre – elle reste celle de ses thuriféraires, souvent aguerris au Parti Communiste des années 1950, un parti soviétophile dont ils furent les idiots utiles pendant des années » (Chapitre IV. « La Guerre civile d’un Africain », page 394).
Les méthodes de la Gauche n’ont pas beaucoup changé depuis…
Un peu plus loin, page 395 à propos d’Actuelles III, Chroniques algériennes (1939-1958):
« Camus venait de recevoir le Prix Nobel quand parut l’ouvrage. On imagine mal quelle haine s’en est suivie chez les envieux, les jaloux, les ratés, les gens de ressentiment, une importante corporation à Paris. La distinction suédoise, la renommée du philosophe et la gravité du sujet algérien justifiaient un traitement intellectuel digne de ce nom avec couverture de presse, pages débat, articles substantiels,sollicitations de plumes capables de débattre sans mépriser. Au lieu de cela, le livre est oublié, négligé, sinon traité avec légerté. »( ibid. 395-396).
On est vivement tenté de faire le parallèle avec le comportement intellectuel de tant de « journaleux » actuels….
Le monde intellectuel parisien a-t-il vraiment changé depuis l’époque évoquée par Onfray ??? Je le cite:
» Le XIXème et le XXème siècle ont vécu sous la férule du socialisme marxiste: toute critique socialiste de ce socialisme-là a été étiquetée non pas critique socialiste ou critique de gauche, mais critique bourgeoise et petite bourgeoise, critique réactionnaire et conservatrice, critique fasciste voire nazie, parfois même hitlérotrotskyste (!), critique de droite toujours. »(ibid. page 156).
Cette médiocrité intellectuelle, doublée d’une arrogance puérile, Camus l’a affrontée. Il l’a subie, lui qui avait » pour tout bagage, une passion folle pour la justice, la liberté, la vertu et le sens de l’honneur, la grandeur et la fidélité- autant de qualités fustigées avec cynisme par ce petit monde jouissant de l’éternel retour des prospérités du vice et des malheurs de la vertu ».( ibid.page 218).
Onfray dénonce tout cela avec un courage et une lucidité qui ont ébranlé l’opinion, superficielle sans doute, que j’avais de ce « philosophe »engagé que je classais dans la catégorie des « philosophes autoproclamés ».
J’ai apprécié les pages où, comme les biographes antérieurs de cet Algérois hors-normes, il évoque la souffrance physique de l’ homme malade, issu de la plus grande pauvreté, celle que j’ai cotoyée dans ma jeunesse, car je suis comme lui, un enfant du quartier populaire de Belcourt.
J’ai aimé l’évocation par Onfray du « jeune homme qui aime la beauté du corps des femmes, leurs peaux bronzées, la brûlure du soleil méditerranéen, le caractère intempestif des plages, la fonction lustrale de l’eau de mer, les parfums de Tipaza, les rues d’Alger, et n’a aucune raison de trouver normale cette maladie qui le prive de tout cela ».(ibid.185).
J’ai apprécié que Michel Onfray ait le courage , à l’occasion de l’évocation du rejet viscéral de Camus de toute barbarie, d’écrire ce que je n’avais encore jamais lu sous la plume d’un écrivain de gauche, à propos de la Guerre d’Algérie et de la « justice » terroriste.(Je cite):
« Sartre affirme dans un entretien avec un journaliste d’Actuel (1972) « la révolution implique la violence et l’existence d’un parti plus radical qui s’impose au détriment d’autres groupes plus conciliants. Conçoit-il l’indépendance de l’Algérie sans l’élimination du MNA par le FLN ? Et comment reprocher sa violence au FLN, quotidiennement confronté pendant des années à la répression de l’armée française, à ses torures et à ses massacres ? Il est inévitable que le parti révolutionnaire en vienne à frapper également certains de ses membres ».
Onfray y voit la « justification » du massacre de Melouza où un village entier a été l’objet d’un massacre barbare de populations algériennes suspectées par le FLN d’appartenir au MNA.
Et il publie, au coeur de son ouvrage des photos atroces, jamais publiées, de cadavres égorgés, émasculés, de jeunes femmes éventrées, massacrées, de victimes civiles d’attentats aveugles, ce que jamais, jusqu’ici un auteur de gauche n’a eu le courage de faire, la plupart se contentant d’évoquer les actes commis par certains élements de l’Armée française, en occultant les atrocités commises par le FLN considérées comme « justes ».
Or pour Albert Camus, aucune barbarie ne saurait se justifier, quels qu’en soient les motifs.
Ces considérations font partie, – il y en aurait beaucoup d’autres à évoquer -, de l’intérêt que j’ai porté à l’ouvrage de Michel Onfray.
Ceci dit, l’oeuvre de Camus a toujours été pour moi,- même dans la période pendant laquelle je n’ai pas partagé sa perception des destins possibles de l’Algérie en guerre- , une profonde protestation métaphysique face à l’absurdité du monde.
J’ai toujours été ému par le respect et la fidélité qu’il a toujours démontré à l’égard de ses maîtres. Qu’il s’agisse de Mr Germain, cet instituteur de l’école de la rue Aumerat ( où j’ai été élève ), ou de Mr Grenier ce professeur de lettres du Lycée Bugeaud( où j’ai également passé mon bac), il a entretenu les braises de l’affection qu’il leur portait.
Dans son allocution, lors de la remise de son Prix Nobel, il rend hommage à celui qui a été son Instituteur, et qui lui a ouvert la voie d’un parcours scolaire et universitaire qui rehausse le prestige et la qualité du corps enseignant dont nous avons bénéficié en Algérie.
Je suis reconnaissant envers Albert Camus, de n’avoir jamais renié, ni trahi, le petit peuple de Belcourt dont, tous deux, nous sommes issus, ainsi que les valeurs de ce peuple auquel Michel Onfray a été sensible, à travers l’oeuvre de Camus, je cite: « l’honneur, la dignité, la simplicité,le dépouillement, la fraternité, l’austérité, et le talent de savoir vivre la vie qui constitue leur seule propriété ».
Je ne me suis jamais séparé,-même lorsque j’étais militaire, au fond du Djebel, dans un poste isolé-, du petit ouvrage qui a été pour moi, la « porte d’entrée » dans l’oeuvre de Camus: Noces, que j’ai toujours considéré comme un petit chef d’oeuvre d’écriture, est sans doute à l’origine de l’agnostique que je suis devenu, d’une certaine façon d’être nietzschéen et nourri d’un paganisme qui avoisine le panthéisme.
La phrase « A Tipaza , je vois équivaut à je crois » (I.109)ressemble pour moi, à une déclaration d’amour à la vie.
Tipaza où je suis souvent retourné, avant de quitter l’Algérie, pour me promener dans les ruines, plonger dans la Méditerranée, offrir mon corps à la caresse de l’onde, puis en sortant de l’eau m’allonger sur une vieille pierre romaine brûlante sous le soleil, et respirer à pleins poumons en me laissant griser par une orgie de parfums où se mêlent les effluves de romarin, de sariette, et de lavande sauvages.
Tipaza, ce petit port situé à une soixantaine de kilomètres d’Alger, a acquis, grâce à Camus, une renommée mondiale. Car Camus reste l’un des écrivains français les plus publiés, les plus lus et les plus étudiés dans le monde. Alors que Sartre sombre peu à peu dans l’oubli….Car qui lit encore aujourd’hui « Les Mains sales », « Les Mots » ou pire encore sa « Critique de la raison dialectique », dont on a pu dire que lors de sa première parution, l’éditeur a omis de publier un livret entier, ce dont aucun lecteur, ni aucun critique ne s’est rendu compte. C’est dire avec quelle attention passionnée cet ouvrage a été accueilli !!!
Tipaza où je me rendais en autobus, entouré d’Arabes en burnous, avec qui je faisais un brin de conversation, avant d’atteindre cette ancienne colonie romaine datant du IIème siècle avant Jésus Christ, et qui fut, avant la conquête islamique, un fervent foyer de christianisme dont la patronne fut Sainte Salsa, ce que la plupart des Arabes qui faisaient le voyage avec moi, ignoraient….
Pas d’amalgame, je vous prie.
C’est pour vous seul que Le Monde est un quotidien « de révérence », pas pour moi !
Pour moi, il reste bel et bien un quotidien de référence.
La preuve par ces articles sur Camus que je vous ai signalé.
C’est d’ailleurs mon plaisir de vous les faire parvenir par courriel puisque vous n’avez pu les lire.
jf.
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Je ne lis que « lemonde.fr », et je n’ai pas accès aux suppléments.
Ceci dit, je n’oublie pas que « Le Monde » fut sous Beuve Mery, un des quotidiens qui servirent de support aux idées de l’intelligentsia dominante de l’époque où vivait Camus, et a toujours pris le parti de Jean-Paul Sartre, ce traître, à l’époque où il se fourvoyait dans le maoisme (Ah! ces mots en « isme » que je déteste ) et se réjouissait de l’entrée de Pol Poth à Pnom Penn…
Votre quotidien de révérence a ceci de singulier: le meilleur peut voisiner le pire….
Quand aux « devoirs du journalisme » tels que les concevait Camus, j’y fais souvent référence quand j’épingle des journaleux, marchands de papiers, sans morale et sans déontologie. Combien de fois, dans mes billets, ai-je écrit « que sont les Mauriac, les Kessel, les Desgraupes, les….les Camus devenus » ???
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Mais non, voyons.
C’est de vous que je rêve la nuit et même le jour !!!!!
Mais revenons à Camus.
Je vous signale, au cas où cela vous aurait échappé, que votre quotidien abhorré, votre « quotidien de révérence », a consacré quasiment DEUX pages pleines à Albert Camus dans son Supplément « Culture & Idées » daté du 17 mars.
Page de Une de ce Supplément:
« Le manifeste censuré de Camus »;
Page 2. Excellent article de Mme Macha Séry, intitulé « Les devoirs du journaliste selon Albert Camus ».
Un quotidien qui fait une telle place à Camus ne peut pas être mauvais.
jf.
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Dites-moi, Sarkozy, vous en rêvez la nuit ????
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Vous avez raison !
Ce n’est pas moi qui fait tourner la tête de M. Sarkozy un jour vers l’extrême-droite, un jour vers l’extrême gauche.
Il le fait très bien tout seul.
jf.
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La vôtre, sans doute, mais pas faire tourner celle des autres.
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Sauf que même à supposer que je n’aurais qu’un oeil, je peux encore tourner la tête !
jf.
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Normal.Vous ne voyez que d’un oeil, donc d’un seul côté….
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Outrance d’un coté : M. Sarkozy à Lyon ce samedi 17 mars.
Insignifiance de l’autre : M. Sarkozy à M6 ce dimanche 18 mars dans…… « Capital ».
jf.
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C’est bien vrai: nous sommes contraints à observer, en spectateurs déçus, l’outrance d’un côté et l’insignifiance de l’autre…
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« l’absurdité fait partie de l’existence humaine.Cela n’a probablement pas échappé à Hollande. »
C’est sans doute pour cela qu’il a déclaré à propos de M. Sarkozy :
« Comme il ne peut pas présenter un projet, il présente un visage qui est celui de l’outrance »
jf.
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Je n’ai jamais pensé que Hollande était mauvais. Je pense seulement qu’il ne fait pas le poids. Mais le Camus de Sisyphe, c’est le Camus pour qui l’absurdité fait partie de l’existence humaine.Cela n’a probablement pas échappé à Hollande.
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Vous devriez être content:
« Sur le stand du Motif-Ile de France, première étape d’une visite du Salon du Livre à Paris, prévue pour durer six heures, le candidat socialiste François Hollande déclaré ‘après Hugo, c’est Camus qui m’a le plus marqué. Le Camus de Sisyphe…’ « .
Un homme marqué par Camus ne peut donc être mauvais…..
jf.
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