Après avoir lu, dans « Causeur », l’article d’Elisabeth Lévy concernant la sortie de son « Journal », je décidais, hier soir, de me replonger dans la lecture de Philippe Muray.
J’étais en train de m’assoupir devant les « blablabla » d’une émission télévisée qui n’est pourtant pas la plus stupide du PAF: « C’est dans l’air »débattait sur « comment réussir l’intégration de l’Islam dans la République ».
Autour de Calvi, « l’animateur », toujours les mêmes invités, ou à peu près, venus là, comme le sémillant Christophe Barbier, de l’Express, arborant son foulard rouge emblématique, pour faire leur numéro, dans un mélange étrange d’angélisme prétentieux, de méconnaissance absolue de l’Islam et de la complexité du monde arabe, sauf pour l’un d’entre eux, dont je ne citerai pas le nom, qui est là , comme « Arabe de service », pour servir de caution à ce débat débile, et qui, intérieurement, devait bien se marrer, en entendant autant d’idées simplistes, proférées avec la certitude des ignares, et inspirées par le « prêt-à-penser »dégoulinant qui est devenu le discours officiel de nos médias….
Un de ces »débats » destinés à « endormir » leur public…
Incontestablement, ce soir là, et en ce qui me concerne, le but de l’émission était atteint…pour éviter de sombrer dans l’assoupissement j’ai voulu me rabattre sur la lecture de « l’Express ».
Mal m’en a pris !!!
Je tombe alors sur un article délirant , qui illustre parfaitement l’état des préoccupations des « bobos » parisiens, à l’avant garde de tout, y compris de ce qui a trait au domaine de l’intime de chaque individu, celui de la sexualité. Je cite un extrait : «
Godes ceinture et bisounours
» On ne risque donc pas de voir des barres d’écartement et des godes ceinture en rayon pour fêter 50 shades et la Saint Valentin. « Quoique les godes ceinture, on en vend sur le site internet, parce que des gens venaient y taper ce mot-clé. » Pour pouvoir continuer à vendre des sex-toys dans cet environnement bien plus bisounours que les sex-shops porno opaques qui bordent les gares (une spécialité française issue des législations françaises successives), le Passage du Désir fait profil bas. « Quand on a créé la boutique rue du Pont Neuf, on a quand même eu un huissier le jour de l’ouverture… Maintenant on a ouvert un magasin dans un centre commercial à Marseille, entre un Armand Thiery et un Afflelou, qui sont ravis de notre présence. Mais on a toujours du mal à trouver de nouveaux emplacements. »
Bref, petit à petit, le sex-toy fera peut-être son nid, mais il faudra beaucoup plus que 50 nuances, qui a suscité une envie de sex-toys à seulement 14% de ceux qui en ont entendu parler. Quant à l’influence de l’enquête BVA, j’ai pu poser la question à leurs deux sondeurs qui ont piloté cette étude : avez-vous des sex-toys? « Non, pas personnellement, on est plutôt dans la catégorie des ‘pourquoi pas’. D’ailleurs grâce à cette étude, on a eu accès au site du Passage du désir depuis le bureau, qui le censurait jusque là ». » ( Fin de citation ).
Pour lire l’intégrale de ce morceau d’anthologie emblématique de l’état de nos sociétés « modernes »:http://blogs.lexpress.fr/sexpress/2015/01/31/sex-toys-50-nuances-de-grey-ce-qui-se-vend-le-plus-cest-la-cravate/
Pour sauver ma soirée, il ne me restait plus qu’à trouver refuge dans l’écriture de Muray.
Ceux qui suivent ce blog s’en souviennent peut-être : j’ai à plusieurs reprises commis des articles sur cet auteur contemporain, hélas trop tôt disparu, dont le style, l’humour, la causticité me ravissent depuis que je l’ai découvert :
https://berdepas.wordpress.com/2010/10/03/festivus/
https://berdepas.wordpress.com/2012/01/31/lire-muray-pour-ne-pas-mourir-triste/
J’ai donc relu, quelques pages du « Céline »que Muray consacre à une interrogation, la seule qui vaille en littérature, car l’oeuvre de l’écrivain, une fois livrée aux exégèses de la critique et à celle, plus spontanée, des lecteurs, dépasse très souvent l’homme et ses misérables petits travers.
» Ou finissait le génie et où commençait le salaud ??? », telle est l’interrogation de Muray, s’agissant de Céline.
Tant il est vrai que notre époque, épouvantée par l’horreur de la « shoah », condamne, sans recours, l’oeuvre de Céline, faisant de cet écrivain une sorte de « damné » de la littérature, comme l’ont été si injustement Mauras, Drieu et Brasillach…
Dès la Préface de son « Céline », Muray s’en prend, une fois de plus, à la « bobocratie » bien-pensante, à cette population de « belles âmes », ignominieuse et innocente que l’on peut voir filer sur ses patins à roulettes dans les villes, éternellement « jeunes », et livrées à l’intellectualisme d’un environnement musical, qui diffuse une « pensée confuse », sous laquelle toute velléité de pensée critique est écrasée dans l’oeuf »….( C’est du Muray !!!).
Le « bobo » parisien est reconnaissable grâce à quelques signes « identitaires »: Il est élégant, mais d’une « élégance négligée », ne porte pas de cravate, mais laisse entrevoir par sa chemise ouverte quelques poils, signes extérieurs de sa virilité. Il porte également une barbe mal taillée, façon baroudeur de salon. En semaine, il roule en 4X4 dans l’ascension des Champs Elysées, qu’il redescend le dimanche, quand il fait beau, en patins à roulettes. Par gros temps, il porte un « cheich » saharien autour du cou. Parfois il pousse l’élégance, dans le détail, jusqu’à porter une pierre précieuse à l’oreille. Abonné à « l’Obs », il suit avec un intérêt amusé les « petites annonces coquines », aujourd’hui dépassées par les réseaux sociaux sur internet….
J’ai relu, avec une jubilation quasi juvénile le passage où il nous rappelle que « trois ou quatre mois avant la parution de ce livre, en mai 1981, le funèbre Mitterrand était entré à l’Elysée; et ce Mitterrand n’était autre que le cheval de Troie à l’intérieur du quel était montée la génération de 1968, qui n’avait fait sa révolution que pour prendre le pouvoir (elle le conserve encore aujourd’hui) au nom de valeurs plus destructrices que celles qu’elle disait avoir abattues alors qu’elles n’étaient déjà plus que des épouvantails. »
« Faute d’exercer encore le contrôle de tout, cette génération ne devait cesser de lancer des appels à la liberté et à la tolérance; et l’on sait que ces sortes d’appels ne sont adressés par les faibles aux plus forts que jusqu’à ce que les faibles se retrouvent en position de force; après quoi, il imposent leur lois scélérates, organisent leur police (de la pensée) et font régner leurs dieux ( celui de la laïcité)…. »(Page 12).
Et plus loin, » Nul n’avait encore eu l’occasion de découvrir l’air infernal sérieux avec lequel la consultante de conseil en stratégie, le vice-président de start-up, la chargée de communication, le sociologue des mutations urbaines, le responsables des emplois et compétences, la thérapeute spécialisée en réinvestissement libidinal et l’agent de citoyenneté flaqué de son agente de vigilance, tous deux en suivi psychiatrique se déplacent sur leur trottinettes; tandis que tintinnabulent leurs piercings, que gazouillent leurs portables, que protubèrent leurs implants en titane, et que la plupart se demandent avec anxiété si, à la faveur des trente cinq heures, ils vont choisir l’option sport, ou l’option enfant ». ( Page 13 ).
Un peu plus loin encore: » l’humanité de ce temps-là ne faisait pas régner la terreur victimophile. Elle n’avait pas encore cette assurance de qui a le vent de la modernité dans les voiles quand il s’indigne que le partage des tâches domestiques est encore si monstrueusement inégalitaire, ou quand il donne vaillamment l’alerte sur le réseau parce qu’une esquisse de dérive pédophile, l’ébauche d’un dérapage machiste, homophobe ou xénophobe, font mine de se profiler à l’horizon. Et la terreur de passer pour ringard n’était pas devenue l’unique grande peur de l’an 2000. » (Page 13).
J’ai relu ainsi, une bonne trentaine de pages, dont certaines ont déclenché mon hilarité, ce qui m’a permis d’aller me coucher dans la bonne humeur, et d’échapper à la triste banalité du monde des « racailles vertueuses qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé et des aigres pétitionnaires qui ne règnent que pour imposer leurs condamnations morales tempérées d’un ricanement libertin bénin. »( Page 16 ).
Et, bien entendu, je n’ai pas manqué de lancer, dans le silence de la nuit, avant de m’endormir, le fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir !!! » de feu Maurice Clavel.