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Pendant mes jeunes années, alors que j’étais encore élève du Lycée Bugeaud d’Alger, il m’est arrivé plus d’une fois, d’être celui qui, en classe d’Histoire, était le « vilain petit canard », « stigmatisé »(!), pour avoir, en de nombreuses circonstances exprimé son désaccord, voir sa révolte, à propos de certains épisodes de la Révolution Française.
J’exprimais, à ma manière, mon scepticisme sur la façon dont on nous racontait alors le « roman national », en réécrivant les pages de la période « révolutionnaire », et en leur conférant les caractères d’une « Légende glorieuse », qui ne souffrait aucune contestation possible, alors que sur le fond, elle ne pouvait être exonérée de graves critiques, ne serait-ce qu’en raison du gâchis humain qui l’a accompagnée, et surtout, des aventures belliqueuses dans lesquelles elle a été entraînée, qui portaient en germe l’affaiblissement de la grande puissance qu’était la France.
Certes, je ne remettais pas en question les acquis de la Révolution, en termes de « Liberté, d’Egalité et de Fraternité », ainsi que l’héritage de valeurs que nous ont légué « les Lumières ».
Mais je prétendais que d’autres pays, en Europe, et aux Amériques, avaient pu accéder aux mêmes résultats, sans avoir à faire couler autant de sang, pour accéder à un peu plus de justice et d’égalité devant les Lois.
Mon point de vue de modeste lycéen n’était manifestement pas dans l’air du temps.
Il heurtait sans aucun doute, les convictions de mes professeurs qui étaient pourtant,- j’en conviens aujourd’hui-, de valeureux hussards de la République, mais qui étaient imprégnés de la pensée marxiste qui dominait alors les milieux intellectuels de l’après-guerre. C’est bien plus tard que j’ai appris que les marxistes manipulaient l’Histoire pour l’instrumentaliser à des fins idéologiques qui à cette époque de ma vie, m’échappaient.
A part les profs de Mathématiques et de Physique-Chimie, la plupart des autres profs affichaient leurs opinions communistes, et parmi eux, les profs de Littérature et d’Histoire-Géographie.
J’ai raconté, il y a déjà quelques temps, dans un de mes billets, la « mésaventure » que m’avait valu, en classe de Littérature, la défense dans une dissertation, de Voltaire face à Jean-Jacques Rousseau.
(https://berdepas.wordpress.com/2008/05/04/voltairien/)
Toutes ces prises de position m’ont valu bien des sarcasmes qui ont contribué à forger mon caractère, et à faire de moi le « réactionnaire impénitent » que je suis, par la suite, devenu…
J’ai affronté le sectarisme de ceux pour qui les « idées reçues »ne souffraient aucune contestation, ainsi que l’ironie de ceux de mes camarades que je considérais comme des « fayots »et qui se croyaient obligés « d’en rajouter » chaque fois que le prof me tançait et me reléguait au rang des crétins incapables de se hisser au niveau de ceux pour qui la « révolution française » avait contribué à la gloire de notre pays.
Mon « exclusion » atteignit des sommets, à l’occasion de l’évocation de l’exécution de Louis XVI, que personnellement je considérais comme un acte abominable, parmi tant d’autres commis sous l’empire de la Terreur.
Pour couronner (si j’ose dire !!! ) le tout, il se trouve que je porte un nom à particule, comme beaucoup de ceux dont les racines sont latines ou méditerranéennes.
Le « de » en Italie, en Sicile, en Sardaigne, en Corse et à Malte n’a aucune connotation nobiliaire. Il indique simplement une origine, un évènement ou un lieu où le patronyme a pris racine. Mais dans les déchaînements de sarcasmes et de stupidités aux quels je m’exposais par mes prises de position, le « de » devenait le point faible de ma « cuirasse » vers lequel convergeaient toutes les plaisanteries.
J’ai conservé longtemps les traces de ces épisodes de ma vie scolaire.
Jusqu’au jour où, – bien plus tard -, découvrant l’oeuvre littéraire de Camus je tombe sur un passage de « L’Homme Révolté« , qui , dans le style propre à cet auteur longtemps méprisé par les « marxistes », évoque ce terrifiant moment de notre Histoire qu’a été l’exécution de Louis XVI, et me rassure sur le bien-fondé de mes sentiments.
Je le cite:
« Le 21 janvier, avec le meurtre du Roi-prêtre, s’achève ce qu’on a appelé significativement la passion de Louis XVI. Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. Il reste au moins que, par ses attendus et ses conséquences, le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation de cette histoire et la désincarnation du Dieu Chrétien. Dieu, jusqu’ici, se mêlait à l’histoire par les Rois. Mais on tue son représentant historique, il n’y a plus de roi. Il n’y a donc plus qu’une apparence de Dieu relégué dans le ciel des principes.
Les révolutionnaires peuvent se réclamer de l’Evangile. En fait, ils portent au Christianisme un coup terrible, dont il ne s’est pas encore relevé. Il semble vraiment que l’exécution du Roi, suivie, on le sait, de scènes convulsives, de suicides ou de folie, s’est déroulée tout entière dans la conscience de ce qui s’accomplissait. Louis XVI semble avoir, parfois, douté de son droit divin, quoiqu’il ait refusé systématiquement tous les projets de loi qui portaient atteinte à sa foi. Mais à partir du moment où il soupçonne ou connaît son sort, il semble s’identifier, son langage le montre, à sa mission divine, pour qu’il soit bien dit que l’attentat contre sa personne vise le Roi-Christ, l’incarnation divine, et non la chair effrayée de l’homme. Son livre de chevet, au Temple, est l’Imitation de Jésus-Christ. La douceur, la perfection que cet homme, de sensibilité pourtant moyenne, apporte à ses derniers moments, ses remarques indifférentes sur tout ce qui est du monde extérieur et, pour finir, sa brève défaillance sur l’échafaud solitaire, devant ce terrible tambour qui couvrait sa voix, si loin de ce peuple dont il espérait se faire entendre, tout cela laisse imaginer que ce n’est pas Capet qui meurt mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la Chrétienté temporelle. Pour mieux affirmer encore ce lien sacré, son confesseur le soutient dans sa défaillance, en lui rappelant sa « ressemblance » avec le Dieu de douleur. Et Louis XVI alors se reprend, en reprenant le langage de ce Dieu : « Je boirai, dit-il, le calice jusqu’à la lie ». Puis il se laisse aller, frémissant, aux mains ignoblesdu bourreau. » (Fin de citation).
(Albert Camus, L’homme révolté.)
La beauté de ce texte, indépendamment de sa qualité littéraire, réside dans la profondeur de l’analyse d’un mal dont la France ne s’est jamais remise.
Les sentiments qu’exprime alors Camus, sont ceux qu’en toute naïveté je ressentais d’instinct, en classe d’Histoire.
Comment avait-on pu « couper la tête » à un Roi, qui était le contraire d’un tyran, que l’on accusait à tort d’avoir rempli la Bastille à coups de lettres de cachet, alors que les Historiens ont établi qu’au moment de « sa prise », la Bastille ne contenait que six ou sept prisonniers, tous (sauf un, je crois ) étaient des délinquants ou des faussaires ???
Si on en croit Wikipedia, ( je cite) : « Le règne de Louis XVI est marqué par des réformes importantes concernant le droit des personnes : abolition de la torture en 1781 et 1788, abolition du servage dans le domaine royal en 1779, abolition du péage corporel des juifs d’Alsace en 1784, édit de tolérance des protestants en 1787. Il est aussi marqué par quatre tentatives de réformes profondes du royaume (1774–1776, 1781, 1787 par deux fois) passant par l’instauration d’un impôt direct égalitaire (en remplacement de la taille inégalitaire) et d’assemblées provinciales élues destinées à contrôler cet impôt. Ces dernières réformes butèrent sur l’hostilité des privilégiés, en particulier celle de la noblesse de robe, celle du Parlement de Paris et celle de la Cour de Versailles. Louis XVI tenta alors de passer outre leur opposition en présentant ses réformes devant une assemblée des notables (1787) puis devant les états généraux (1789). » (Fin de citation).
Drôle de parcours, pour un tyran….Et tant d’horreurs, tant de sang versé pour la conquête de quelques symboles…..
Hélas pour moi, « L’Homme Révolté » est une oeuvre postérieure à mes années de lycéen….Je n’aurais donc pas pu m’appuyer sur les arguments d’Albert Camus que je n’ai découvert que bien plus tard, à l’âge adulte.
Tout comme Camus, le jeune homme que j’étais sentait confusément, que dés l’instant où la tête de Louis XVI tomba dans le panier de l’échafaud, au moment où résonna le grondement furieux des tambours, le France venait de se couper de ses racines, et de perdre une partie de son âme.
La République, après bien de vicissitudes, a finit par lui procurer une âme de rechange.
S’y raccrochent aujourd’hui, ceux qui sentent que les valeurs républicaines sont attaquées de toutes parts : à la religion du Christ à laquelle se référait le Roi face à ses bourreaux, la République a substitué celle de « L’Etre Suprême », et celle de l’Egalité des citoyens, toujours contestée aujourd’hui encore, celle de la Liberté, toujours menacée, et celle de la Fraternité meurtrie sous les coups de l’individualisme et des égoïsmes ordinaires.
Quand à la Laïcité, devenue « religion d’Etat », elle subit, à son tour, les mêmes attaques que celles que ses défenseurs ont fait subir, dans le passé, à l’Eglise et à son message…
Le Républicain « pur et dur » qu’avec le temps je suis devenu, constate années après années que les Français sont restés vaguement nostalgiques d’une monarchie qui, à distance des courants politiques qui divisent le pays, constituerait le repère, l’entité institutionnelle à travers laquelle la France s’identifie, comme chaque Anglais reconnaît la spécificité du peuple au quel il appartient dans l’Institution monarchique britannique.
Cette nostalgie refait périodiquement surface à l’occasion des grands évènements de la vie monarchique de nos voisins. Nos médias ne manquent jamais de la souligner….
– A l’heure où la France donne le sentiment d’être devenue un coque de noix dans la tempête que traverse le monde, sous l’effet d’une irrésistible mondialisation,
– A l’heure où elle doit se contenter d’un rôle de leader déclinant en Europe,
– A l’heure où les fondements de la République se lézardent sous les effets d’une « diversité dans la citoyenneté » dont il va falloir, par la lâcheté des « élites », s’accommoder,
– A l’heure où la France, de ce fait, est confrontée à une grave crise identitaire dont elle refuse de débattre, sous la pression de ceux qui régentent les domaines qu’il est politiquement incorrect d’aborder,
– A l’heure où un sursaut vital serait nécessaire à ce pays, il n’est plus un seul personnage de la vie politique française qui ait la légitimité nécessaire pour montrer aux Français le chemin de la Révolte contre les « idées reçues » de notre époque, et encore moins leur indiquer le chemin de l’Honneur…..
Mais l’Honneur, fait-il encore partie des « valeurs » de notre époque ???
Habitués à se contenter de peu, dans les périodes où la République tremble sur ses bases, les Français, moroses, se consolent alors, en contemplant les vaines gesticulations du Président Normal que démocratiquement ils se sont offert..
Un « Grand Président »….dont on se demande parfois si, lui, a encore « toute sa tête »….
Mais même avec la tête coupée, il continuerait encore à gesticuler dans tous les sens, car le moteur de l’idéologie, est un moteur simple mais robuste !!!