Voltairien, je n’ai pas changé…


 

J’ai raconté, il y a déjà longtemps sur ce blog, la mésaventure que m’a value, alors que j’étais encore lycéen, une dissertation dans laquelle j’avais commis, aux yeux d’un professeur de lettres qui avait du mal à cacher ses opinions gauchisantes en classe, l’erreur de préférer Voltaire à Rousseau, que déjà, malgré mon absence totale de culture politique, je jugeais, instinctivement, comme un dangereux rêveur:

https://berdepas.wordpress.com/2008/05/04/voltairien/

J’avais compris dès l’âge de quinze ans que les naïfs , étaient ceux qui croient à la possible existence d’une société dans laquelle « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », une société où la solidarité prendrait définitivement le pas sur l’égoïsme, une société ou l’exigence morale interdirait d’abuser de la « solidarité » entre ceux pour qui le travail est source de dignité et de richesse, et ceux pour qui le travail n’est que contrainte et frustration… 

Ce professeur de littérature  s’était longuement attardé sur l’essai de Rousseau traitant de De l’Inégalité parmi les hommes , ce qui lui offrait l’occasion de faire passer, après d’un auditoire attentif mais non averti, ses idées personnelles, ainsi que ses convictions….

J’avais peine à croire que l’état de nature ferait le bonheur de l’humanité, et que la société était la source de toutes les  insatisfactions et les imperfections de l’Homme. »La Nouvelle Héloîse« ressemblait pour moi, à un Paradis Terrestre illusoire.

 Dans « l’Emile »,  Rousseau décrivait son « idéal », la ferme isolée vivant en autarcie sous un régime patriarcal : « ce pain bis, que vous trouvez si bon, vient du blé recueilli par ce paysan; son vin noir et grossier, mais désaltérant et sain, est du cru de sa vigne; le linge vient de son chanvre, filé l’hiver par sa femme, par ses filles, par sa servante; nulles autres mains que celles de sa famille n’ont fait les apprêts de sa table; le moulin le plus proche et le marché voisin sont les bornes de l’univers pour lui».

C’était déjà pour moi, quelque chose dont je me souviendrai plus tard avec scepticisme, en écoutant les discours d’écologistes illuminés  du Plateau du Larzac….

Et j’avais donc, très jeune, une forme de méfiance à l’égard de ceux qui ont,- comme ils disent-, « des convictions ». C’est à dire ceux qui refusent tout dialogue, considéré comme inutile, avec ceux qui ne pensent pas comme eux….

Certes j’approuvais vaguement le Contrat social  dans lequel le peuple souverain organisait la vie collective, car j’avais un début de conscience du fait que la vie démocratique reposait sur l’existence et le respect de ce Contrat Social. Mais je lui faisais le reproche d’avoir émis, en germe, les idées dont s’inspireront, plus tard les  « coupeurs de têtes » de la Révolution français. 

Mais ma méfiance à l’égard de Rousseau s’est affirmée lorsque nous avons abordé l’étude de l’ Émile, ou De l’éducation , une réflexion sur l’éducation dont la crédibilité me paraissait irrémédiablement compromise, dès lors que j’avais appris, grâce à mes lectures parrallèles à celles qui nous étaient imposées par ce professeur, que Jean-Jacques Rousseau avait abandonné ses propres enfants à l’Assistance Publique, ce qui, pour l’adolescent que j’étais, représentait la pire des infâmies. 

J’ai découvert alors l’hypocrisie et le « double langage » de ceux qui pratiquent le « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ».

Je n’aimais donc pas Jean-Jacques Rousseau. C’est clair !!! Sans doute parce que le réalisme cynique de Voltaire me convenait mieux que l’angélisme béat de Rousseau. 

En fait, le style empreint d’ironie, le regard distancié qu’il portait sur la société de son époque, ses engagements généreux en faveur de la défense de causes difficiles, tout cela me rendait Voltaire plutôt sympathique et j’avais du mal à comprendre le parti-pris critique de notre professeur de lettres à l’égard du personnage et de son oeuvre, qui contrastait avec l’indulgence admirative avec laquelle il tentait de nous convaincre de la « supériorité » de Rousseau. 

 Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, Voltaire prend, à ses risques et périls, et en se servant de sa seule notoriété et de son talent, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qu’il a rendues célèbres (Calas, Sirven, chevalier de La Barre, comte de Lally).

La lecture de ses Lettres philosophiques, considérée comme le « manifeste des Lumières », m’a permis d’entrer de plein pied dans l’Esprit des Lumières.

Son éloge de la liberté et de la tolérance, en Angleterre, perçue, à Paris, comme une attaque contre le gouvernement et la religion lui vaudra d’être condamné par le Parlement.

Son ouvrage sera brûlé symboliquement au bas du grand escalier du Palais et lui vaudra la sanction royale sous la forme d’une lettre de cachet.

Voltaire a donc payé chèrement sa liberté d’expression.

Il m’est arrivé souvent, de me replonger dans la lecture des contes et romans, où l’écrivain nous offre le meilleur de son talent, et de me régaler de la fantaisie, de la finesse du trait, de la profondeur de sa réflexion philosophique.

J’ai pris un plaisir fou à lire et relire « Zadig Histoire Orientale« , ainsi que « Memnon ou la sagesse humaine« sans oublier « Candide ou l’optimisme« , mais je n’ai jamais eu l’occasion d’exprimer, en classe, l’attrait qu’exerçait sur moi ces petits chef-d’oeuvres d’humour, car je sentais que mon admiration pour Voltaire était déplacée.

Mais ce qui, sans doute, déplaisait le plus à notre professeur de littérature, et heurtait ses penchants politiques, c’est que Voltaire fréquentait les Grands du Monde de son époque et courtisait les monarques, en manifestant ce que mon professeur considérait comme une forme de méfiance et de dédain pour le peuple.

Cela n’a pas empêché Voltaire, pourtant,  d’être en butte à la brutalité du pouvoir monarchique qui après l’avoir embastillé, le contraignit à l’exil, pour le punir de sa trop grande liberté d’esprit. 

Fort heureusement pour moi, le Lycée Bugeaud d’Alger, à cette époque, ne comportait pas que des professeurs « engagés ».

Et ma génération a eu la chance de compter sur d’excellents enseignants, tant en Mathématiques (je pense au Professeur Fredj et à Monsieur Tutenuit), en sciences physiques (je pense à Monsieur Lhermite) qu’en Philosophie ( je n’oublie jamais l’enseignement lumineux du Professeur Alavoine).

Il m’arrive souvent de penser à eux, avec émotion et reconnaissance.

Car je leur dois ce que je suis devenu, plus tard.

Ce sont des enseignants « de l’ancienne école », qui cherchaient moins à formater l’intelligence de leurs élèves qu’à leur enseigner la rigueur dans l’expression des idées, les vertus du travail, et à les doter des outils de réflexion leur permettant d’affirmer plus tard, et d’assumer, une forme d’indépendance d’esprit.

A l’heure où la Gauche s’apprête à fomenter une « refondation de l’école », une de plus, car elles n’ont pas manqué au cours du demi-siècle écoulé, peut-être est-il utile de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’enseignants débarrassée des scories intellectuelles d’un marxisme anachronique et d’un « angélisme » stérile.

Nos enfants ont besoin d’une génération d’enseignants capables d’ouvrir les yeux sur le monde tel qu’il est, et non tel qu’ils rêveraient qu’il soit, afin de préparer les générations à venir à affronter le « nouvel état du Monde ».

La jeunesse d’aujourd’hui a bien plus besoin de repères que de leçons d’un cathéchisme idéologique dépassé.