Eloge des Livres et de la Lecture.


LivresNotre époque, placée sous le signe du fugitif, du jetable, et de l’éphémère, fait planer une sourde menace sur le Livre. L’apparition des « tablettes »de lecture promues par de puissants intérêts, bouleverse le destin du livre et inquiète les libraires. A juste titre car les générations nouvelles grandissent dans un environnement où le « presse-bouton » devient un geste familier et dispense de bien des efforts.

Et pourtant, le livre continue à avoir ses fidèles. Mais les libraires, les vrais, ceux qui ne se contentent pas de disposer des livres sur des rayons et dans des vitrines, ceux dont la curiosité intellectuelle les incite à lire eux-mêmes, à s’informer sur les bons auteurs, à mettre leur culture au service de leur clientèle, sont devenus rares. Car être « libraire », c’est un vrai métier.

Depuis que le livre est en vente dans les supermarchés, il est devenu un « produit » comme un autre, un « objet de marketing »dont la vente est soumise à des règles qui conditionnent son succès. En « tête de gondole » une oeuvre aura bien plus de chance de rencontrer ses lecteurs , au détriment de telle autre, de qualité littéraire supérieure, mais moins bien exposée à la vente.

Cette évolution m’attriste.

Le livre a été un compagnon fidèle tout  au long de ma vie. J’ai toujours vécu entouré de livres, et aujourd’hui encore, j’ai du mal à trouver une place pour chaque livre que je referme après l’avoir lu, tant les rayons de mes étagères sont encombrées… Et pourtant, j’ai bien du mal à me séparer de mes vieux livres. J’ai même du mal à les prêter à mes amis. Le livre que je referme, après l’avoir lu, devient un objet personnel, précieux, car je lis un stylo-mine à la main, pour mieux me concentrer et souligner certains passages ou annoter certaines pages de remarques personnelles, ou de signes tels que !!! ou ???, qui fixent pour toujours mes réactions, mes acquiescements, ou mes réfutations. Je suis souvent étonné, en rouvrant plusieurs années après, un livre lu il y a très longtemps, par le contenu de mes propres annotations…..

Je crois pouvoir dire que je me suis « construit » intellectuellement en partie grâce aux livres. Enfant, déjà, mon goût de la lecture me poussait à des excès qui suscitaient la réprobation de mes parents: je lisais, après avoir « fait mes devoirs » scolaires, tard dans la nuit. J’en ai conservé l’habitude aujourd’hui. Je me souviens de ma mère, se levant dans la nuit, pour venir à mon chevet et m’enjoindre de dormir après avoir éteint la lumière de ma chambre. Mais, passionné par le sujet de mon livre, j’en poursuivais la lecture en cachette, sous la couverture à l’aide d’une lampe électrique….

Le Général Dourakine, un petit chef d’oeuvre de littérature pour enfants m’a servi d’entrée dans l’oeuvre romanesque de la Comtesse de Ségur. Puis ce fut la Bibliothèque Verte et les oeuvres de Jack London :  » L’Appel de la Forêt » et « Croc Blanc » ont éveillé ma curiosité pour les destinations lointaines, et enrichi mon imaginaire en permettant au petit algérois de Belcourt que j’étais, d’affronter dans de merveilleuses aventures, les froids et la glace du Grand Nord. Pierre Loti m’a fait frissonner de terreur en partageant les dangers affrontés par les « Pêcheurs d’Islande ». Avec lui, j’ai voyagé, au Sénégal, et en Turquie. J’ai ainsi fait la découverte d’une « niche littéraire », celle des écrivains voyageurs que je n’ai plus quittée, pendant de longues années.

Avec Jules Verne, Joseph Conrad, Blaise Cendrars, Joseph Kessel, et bien d’autres encore, j’ai parcouru le monde à une époque où je n’avais pas encore les moyens de voyager. Avec Kessel j’ai su bien des choses sur les moeurs de l’Afghanistan et sur le bouzkachi, avant l’heure des Talibans, de même que j’ai connu Hong-Kong et Macao avant que la Chine n’y installe de nouveau sa souveraineté…Je connaissais Valparaiso et Montevideo, avant même d’y avoir mis les pieds….

J’ai passé des heures passionnantes au côté de Henri de Montfried : ensemble, avec « Abdi, l’Homme à la main coupée », avec « L’enfant Sauvage », nous avons écumé les rivages et percé « Les Secrets de la Mer Rouge », en affrontant pirates et trafiquants en tous genres.

Mais les grands moments de lecture, qui ont plus tard inspiré mon tropisme envers le désert saharien, je les dois à Roger Frison-Roche dont j’ai relu bien des fois « Le Rendez-vous d’Essendilène »,  » La Piste Oubliée », ou « L’Esclave de Dieu ». Plus tard, parcourant le Sahara, de la Mauritanie à la Jordanie, en passant par l’Algérie, bien sûr, mais aussi par la Lybie, je plongerai dans les oeuvres de Théodore Monod dont les récits m’ont appris à aimer les grandes étendues de silence et de solitude….

Devenu adulte mes passions ont évolué et m’ont orienté vers des lectures plus sérieuses: la Philosophie, l’Histoire, la Politique, la Géopolitique ont excité ma curiosité. Les « Vies des Hommes Illustres » de Plutarque, « l’Histoire de l’Empire »de Thiers, « l’Histoire de France » de Jules Michelet, les oeuvres Braudel m’ont fait adorer la France, et ont fait de moi un « zemmourien », avant même que Zemmour ne soit né…

Aujourd’hui encore, je reconnais être assez peu attiré par les oeuvres romanesques, même si j’ai pu consacrer, de temps à autres des heures de loisir à la lecture de Romain Gary ou de Milan Kundera. Et pourtant, comment omettre la passion que m’ont inspiré Chateaubriand et son « Voyage de Paris à Jerusalem », de même que partie de l’oeuvre monumentale de Victor Hugo, de Balzac et de Flaubert et d’Ernest Renan.

Mais, parvenu au soir de ma vie j’essaie, avant de disparaître, de comprendre le monde surprenant dans lequel nous vivons, et d’apercevoir celui dans lequel vivront nos enfants et petits enfants.

La Presse que je parcours chaque jour, avec beaucoup de recul et une certaine défiance, car je la crois beaucoup plus préoccupée de « conditionner » l’opinion, que d’informer, ne suffit pas à satisfaire ma curiosité. Que sont devenues les belles plumes que furent Raymond Aron, François Mauriac, et même dans les années 50, Albert Camus: leurs analyses, leur point de vue sur la société dont ils étaient les contemporains n’ont plus d’équivalent aujourd’hui.

Il m’arrive, entre deux ouvrages récents, de me replonger dans Camus, pour la beauté du style, et pour ses fulgurances dès lors qu’il parle des rivages méditerranéens, de la vie de l’enfant de Belcourt que j’ai été comme lui, de ses professeurs du Lycée Bugeaud, de « L’été à Alger »….

J’aurais pu allonger encore ce billet en citant tant d’autres auteurs qui m’ont procuré le bonheur de lire….

Mais mon but était seulement de dire à tous ceux, et j’en connais autour de moi, qui n’ont presque jamais ouvert un livre dans leur vie, qu’ils se privent, à tort, d’un immense bonheur, pourtant à la portée de tous, qui ne nécessite aucun mérite si ce n’est celui d’avoir des réserves de curiosité, de patience, et le goût de l’évasion.

C’est à eux que je dédie ce billet.