J’ai bien connu Ghardaia, cité du M’zab, célèbre pour son architecture saharienne et surtout pour la silhouette de son minaret qui domine la ville aux couleurs de sable et de blanc éclatant.
J’ai bien connu les rues étroites de cette cité, conçues pour que les rayons du soleil brûlant et aveuglant, n’y pénètrent pas.
J’ai gardé en mémoire l’originalité de ce peuple mozabite, réputé pour son habileté commerciale, et je revois encore le grand marché, sur la place située au pied de la ville où une foule grouillante se pressait, bruyante et colorée, parmi les étals des commerçants hélant la foule de ceux, venus des régions les plus reculées du sud pour s’approvisionner en dattes, en farine, en semoule, en fruits et en légumes, en marmites, plats en terre cuite, bidons, cuvettes en plastique, et en toutes sortes d’objets nécessaires à une vie simple et frugale, celle, en particulier, des nomades sahariens.
Dans une poussière que le moindre souffle du vent chaud soulève en tourbillons, se mélangent M’Zabites, Touaregs, Arabes venu du Nord, et au brouhaha des harangues de commerçants, se mélangent les cris d’animaux, moutons, chèvres, ânes, chameaux, mais aussi, des poules enfermées dans des cages ou suspendues par les pattes,qui protestent de l’inconfort de leur situation…
A l’ombre des souks installés sous la fraîcheur des arcades qui donnent à cette ville sa silhouette singulière, toute une vie, bruyante, parfumée et colorée, s’anime, dès le lever du jour, et j’ai flâné quelques fois, une branche de menthe offerte par un marchand, coincée derrière l’oreille….
Les M’Zabites avaient la réputation de gens économes, un peu comme les « Auvergnats » d’autrefois : les hommes du M’Zab avaient coutume de quitter leur village pour tenir, à Alger, où ils vivaient seuls, des épiceries, ouvertes sept jour sur sept, jusqu’à tard dans la nuit. Ils laissaient leurs femmes au bled où ils retournaient à tour de rôle, sans doute pour leur faire des enfants….
Adolescent, j’accompagnais parfois mon père dans se « tournées », en Kabylie ou dans le Sud algérien. A cette époque, mon père avait développé, pour permettre à sa mère de travailler, un atelier de conditionnement de figues sèches et de dattes, destinées à l’exportation, situé rue d’Amourah, à Alger, à deux pas du Jardin d’Essai… J’ai évoqué cette page de souvenirs sur ce blog, à l’adresse : https://berdepas.wordpress.com/2012/10/28/femmes-dalger/
Levés à trois heures du matin nous partions pour un parcours d’environ 600 kilomètres, à bord de la petite Peugeot 202 de mon père. Une longue route fastidieuse, mais dont la variété des paysages compensait heureusement l’ennui du parcours. Mon père était un « taiseux »et nos échanges se limitaient à quelques mots sur les régions traversées. Ce voyage avait toujours lieu au mois de Septembre, qui devait correspondre à la période de maturité des dattes. Nous faisions une halte à Djelfa, puis une seconde à Laghouat, pour arriver à la tombée du jour à Ghardaia: j’ai en mémoire d’inoubliables couchers de soleil sur la palmeraie….
Nous dormions dans une petite auberge, aux abords de la ville où mon père avait ses habitudes. Il connaissait le patron, un vieux maltais, qui acceptait, malgré l’heure tardive, de nous préparer une salade de tomates et une omelette. Je me souviens encore de la chambre au confort minimum : un lavabo dans un coin de la chambre et une cuvette pour des ablutions rafraîchissantes. Mais je me souviens surtout de la gargoulette d’eau fraîche, enveloppée d’un chiffon mouillé, sur le bord d’une fenêtre étroite par où passait un rayon de clair de lune…
Au lever du jour, mon père me réveillait, et après une rapide toilette, et une tasse de thé à la menthe, nous partions dans la palmeraie où mon père retrouvait ses fournisseurs, qui l’attendaient déjà. Un accueil chaleureux fait d’un mélange de salamalecs et de poignées de main énergiques ponctuées d’un geste de la main sur le coeur….
J’assistais à la visite de la palmeraie où régnait une atmosphère ombragée et de chaleur humide, accompagnée de la douce musique de l’eau qui coule dans des canalisations à ciel ouvert qui sont là, creusées depuis des temps immémoriaux, et qui alimentent ici un potager, là un verger nichés entre les palmiers dispensateurs d’une ombre bienfaisante. Et, ici où là, un parfum voluptueux de menthe sauvage ou de jasmin profitant de l’humidité du sol…
Je me souviens d’un hutte de roseaux, où avaient lieu, après la visite, les longs palabres de la négociation entrecoupés d’éclats de rire et de fausses disputes dont je ne comprenais pas toujours le sens et les raisons.
La matinée se terminait au logis du propriétaire de la palmeraie, autour d’un couscous qui n’avait rien de commun avec ceux que j’avais l’habitude de savourer à Alger. Assis à même le sol, sur un vieux tapis, nous buvions du lait parfumé au miel, pour accompagner le repas, servi dans un grand plat, où chacun formait, de sa main droite, une boule de semoule délicieusement épicées, qu’il portait à sa bouche…..
Toutes ces images, ces bruits, ces parfums, ces ambiances ont marqué ma jeunesse.
Plus tard, devenu adulte, je suis revenu à Ghardaia, dans le cadre de mes activités professionnelles. J’ai connu le luxe paresseux d’un Hôtel climatisé et sa piscine, mais je conservais la nostalgie de la vieille auberge où, avec mon père, nous passions la nuit. Hélas, vingt ans plus tard, cette auberge avait disparu….
Pourquoi vous raconter ces souvenirs, aujourd’hui ??? Parce que la lecture de la Presse algérienne m’a fait prendre la mesure de ce qui se passe aujourd’hui au M’Zab.
Les M’Zabites sont considérés, du point de vue religieux, et depuis toujours, comme appartenant à un courant séculaire de l’Islam proche des chiites, et ne sont pas ethniquement des Arabes, mais appartiennent à une branche de la mouvance berbère.
Or ce que personne n’ose évoquer, en France, pour ne pas « désespérer »nos musulmans d’origine algérienne, c’est le mouvement profond de résistance à « l’arabisation » du peuple berbère, qui dans certaines régions, et notamment en Kabylie, tend à devenir un mouvement de révolte, sur lequel vient se greffer l’action souterraine des islamistes à l’affût de tout ce qui peut contribuer à déstabiliser l’Algérie, suspendue aux incertitudes de la succession d’un Bouteflika au bord de la tombe….
http://www.lematindz.net/news/17964-la-tragedie-du-mzab-et-le-silence-criminel-dalger.html
http://www.lematindz.net/news/17965-urgent-au-secours-au-mzab-cest-le-genocide.html
http://www.lematindz.net/news/17985-le-spectre-du-fis-bis-est-mis-en-avant-a-ghardaia.html
et surtout :
Ces nouvelles, qui ne rencontrent aucun écho en France, m’attristent. Car j’ai conservé du M’Zab, le souvenir lointain, certes, mais bien vivant, d’une terre de tolérance et de paix, même sous « la botte du colonisateur français »…….
De quoi faire réfléchir, – mais en sont-ils capables ??? – ces Arabes d’origine algérienne aboyeurs professionnels, qui, intarissables, dès lors qu’il s’agit d’évoquer les méfaits de la colonisation française, semblent ignorer qu’ils sont eux aussi, des colonisateurs impitoyables, et que l’islamisation d’un pays autrefois patrie des berbères s’est faite dans le sang…..