L’ Automne


Vignes rousses

Il pointe son nez.

Je l’ai senti arriver, sur la pointe des pieds. Car je le connais bien ce sentiment qui m’envahit lorsque arrive l’Automne.

Lorsque j’étais enfant, déjà, l’apparition des premiers signes de l’Automne signifiait, avec la fin de la belle saison, la fin des vacances, des grasses matinées, des longues journées à la plage, des parties de pêche, de la belle vie, quoi !!!

Jeune homme à l’âge des « états d’âme » romantiques j’étais déjà hanté par Verlaine :

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.

Un peu plus tard j’improviserai au piano, sur « Autumn Leaves », un thème universel, et fredonnerai: « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi….. « .

Mais à l’âge où je suis parvenu, l’Automne annonce encore et toujours, la fin de quelque chose.

Une fin qui peut être lente, lorsque Septembre se pare des habits lumineux de l’été indien.

Une fin qui peut être brutale, lorsque, aux grosses chaleurs des journées ensoleillées succède une grisaille cotonneuse, une atmosphère humide et chaude, une sensation de moiteur qui enveloppe les corps encore vêtus des toiles légères de l’été.

Une fin qui peut être hésitante, lorsque les premières pluies, attendues ici pour leur bienfaisance, car la terre se meurt sans eau, s’accompagnent d’une succession de ciels gris puis de belles journées ensoleillées. Comme si l’été, bénéficiant d’une sorte de « rémission », se résignait à livrer une dernière bataille, avant de rendre l’âme.

Cet automne-ci, je l’ai senti arriver, sournoisement, trahi par ses premiers signes, qui ne trompent pas le vieil homme rompu à la fuite du temps et aux caprices des saisons.

En bord de la Méditerranée, il est des signes qui parlent.

Lorsque la vigne rousse, du côté de Jalon, annonce la vendange prochaine,

Lorsque le soleil est plus bas, sur l’horizon bleu de la mer, et dans sa trajectoire quotidienne. Il éblouit alors, celui qui ose l’affronter, de face, sur une route située dans l’axe de ses rayons….

Lorsque le soleil du soir retrouve ses fulgurances hivernales qui, dans un ciel d’aquarelle, colore les nuages chargés de l’humidité des vapeurs de l’été de dégradés de rouge, de roses et de violets,

Lorsque la ligne d’horizon, sur la mer est plus nette, et lorsque la méditerranée devient grise et se couvre de plus en plus souvent de moutons blancs, lorsque la plage recule et se laisse envahir par les algues mortes, alors, on peut se dire que c’est l’Automne qui est là, et qui frappe à nos portes,

Lorsque les mouches qui sentent leur fin prochaine deviennent de plus en plus « collantes », lorsque les guêpes deviennent plus agressives, et lorsque les premiers nuages de grives et d’étourneaux traversent le ciel avant de s’abattre dans un gazouillis confus, dans les oliviers et les pins.

Alors le vieil homme sait que c’est l’Automne qui envoie ses signaux….

Les hibiscus , et les lauriers roses se débarrassent de leurs feuilles et de leurs fleurs séchées par le soleil brûlant de l’été, les herbes sauvages finissent de jaunir dans les champs.

Bientôt, il sera temps de cueillir les amandes et les olives dans l’arrière-pays, où raisonneront les détonations des coups de fusil tirés par les premiers chasseurs: grives, perdreaux, lièvres et lapins de garenne savent depuis toujours que pour les malchanceux, la fin est proche….

L’Automne n’est pas une bonne saison pour tout ce qui vit, dans la nature.

Car l’Automne, ce n’est peut-être pas la fin, mais c’est un signe de la fin, tout comme le soleil couchant signe la fin du jour, en attendant un « recommencement ».

Il me vient en mémoire le beau poème de Victor Hugo, tiré des « Feuilles d’Automne »:

Voici que la saison décline,
L’ombre grandit, l’azur décroît,
Le vent fraîchit sur la colline,
L’oiseau frissonne, l’herbe a froid.

Août contre septembre lutte ;
L’océan n’a plus d’alcyon ;
Chaque jour perd une minute,
Chaque aurore pleure un rayon.

La mouche, comme prise au piège,
Est immobile à mon plafond ;
Et comme un blanc flocon de neige,
Petit à petit, l’été fond.

Victor Hugo, Dernière gerbe

Le Temps s’enfuit, et avec Lui les saisons qui passent….

Restons lucides et humbles: car c’est Lui qui aura le dernier mot.

En attendant sachons nous contenter de la beauté des matins clairs.