C’est une banalité que de prétendre que l’Histoire ne peut se jauger et s’apprécier qu’à travers le miroir du temps long.
Notre époque le démontre, jour après jour : le jugement porté par les « Historiens » sur les faits, et les évènements historiques est éminemment fluctuant, et ses fluctuations dépendent essentiellement des variations du climat idéologique ambiant.
Nous traversons une époque caractérisée par l’affaissement des idéologies. Le phénomène est particulièrement ressenti s’agissant des idéologies marxisantes qui ont dominé la pensée française au cours des années écoulées.
Ces idéologies ont alimenté un certain nombre de contre-vérités, autour de la dénonciation du fait colonial, dont découle un irrépressible besoin de repentance, et s’agissant de la France, qui a vécu le processus de décolonisation comme un tragique psychodrame, un désir frénétique de se faire pardonner ses fautes passées en manifestant l’angélique volonté de réévaluer sa relation avec l’Islam.
Une faiblesse qu’exploitent trop de Musulmans, à la recherche de justifications de leur incapacité à s’inscrire dans un monde moderne dont ils sont devenus soit les spectateurs de leur propre déclin, soit les rivaux jaloux et inquiétants quand il ne sont pas entraînés dans des pulsions criminelles et destructrices…
Les chroniqueurs de notre époque, trop souvent enclins à une forme insidieuse de soumission à l’Islam par haine de la civilisation chrétienne dont ils sont issus, ont rivalisé d’inventivité pour réécrire l’Histoire en tentant d’effacer les pages sombres de notre relation avec une religion qui, de tout temps, a été conflictuelle tant elle s’est montrée agressive et conquérante.
Parmi les idées répandues par une « sous-intelligentsia » marxisante occupant le haut du pavé de notre vie intellectuelle, il y a celle qui consiste à réécrire l’Histoire de la période au cours de laquelle le pourtour de la Méditerranée était sous domination arabe.
Des historiens de pacotille tentent de nous faire oublier ce qu’a été, en réalité, l’occupation musulmane du Sud de l’Europe.
Pour « faire simple », je dirai que les idées répandues, – non sans arrière-pensées obscures -, consistent à décrire les Croisades – dont le but était de délivrer d’un envahissement musulman des terres que les Chrétiens d’Orient occupaient depuis des siècles – comme des expéditions ravageuses et quasi criminelles, alors que l’envahissement par des hordes de cavaliers arabes réputés pour leur cruauté, du Sud de l’Europe se seraient traduites par un progrès pour notre civilisation.
De là découle une autre escroquerie intellectuelle qu’un Historien espagnol dénonce dans un ouvrage intitulé « El Andalus, l’invention d’un mythe ».
Dans cet ouvrage récent traduit de l’Espagnol par Nicolas Klein, Serafin Franjul , qui est à la fois philologue et professeur de littérature arabe, dénonce le mythe romantique d’un Islam éclairé qui, dans une démarche « missionnaire » et « civilisatrice » aurait enfanté, notamment en Andalousie, une sorte de »Paradis perdu » au cœur d’un Moyen Age européen, où Musulmans ; Juifs et Chrétiens cohabitent pacifiquement et s’enrichissent mutuellement dans une mixité culturelle, à l’ombre de la Grande Mosquée de Cordoue.
Ce mythe, scrupuleusement entretenu par certains de nos historiens contemporains, correspond à une volonté « politiquement correcte » de nous faire croire que cet « Islam des Lumières » a réellement existé et qu’il pourrait redevenir un modèle de société répondant aux besoins de notre époque et à la nécessité de cohabiter pacifiquement, en Europe, avec un monde musulman.
En 700 pages d’une cruelle précision, Fanjul, docteur en philologie sémitique, professeur de littérature arabe et ancien directeur du Centre culturel hispanique du Caire, broie la légende d’un multiculturalisme précoce et éclairé. Il défait un mythe qui doit beaucoup au romantisme et à un exotisme de pacotille entretenu par de écrivains qui étaient bien plus des poètes que des historiens, et illustré par une multitude d’images véhiculées par des peintres orientalistes fascinés par le « mirage oriental ».
Anti-franquiste, Serafin Fanjul n’est pas un « militant » de l’Espagne catholique, pas plus qu’un contempteur de l’Islam . Mais, armé d’une immense érudition, il a décortiqué les chroniques de l’époque, souvent écrites en langue arabe, une langue peu connue par nos historiens, ce qui explique souvent de graves malentendus dans l’interprétation de cette religion.
Ces chroniques ,dans la langue du Coran, il les a confrontées aux clichés ambiants, du type de ce savoureux point de vue de l’historien arabisant Garcia Gomez : « La cohabitation de toutes les races et de toutes les religions avait créé une atmosphère morale, pure et exquise…. La même que celle qui existait dans la Bagdad des Mille et Une Nuits mais dépourvue de tout ce que l’Orient a pour nous d’obscur et de monstrueux : l’air subtil et rafraîchissant de la Sierra Morena l’avait occidentalisée « !!!
Une forme indépassable de l’angélisme culturel …
À propos de la « cohabitation », Fanjul nous rappelle la longue et fastidieuse liste des tueries de chrétiens sans oublier les pogroms qui ont ensanglanté cette époque. Il nous décrit dans le détail du quotidien, en quoi consistait le statut de dhimmi pour un non-musulman: par exemple, ne pas parler à voix haute à un musulman ou ne pas construire une maison plus haute que la sienne.
Al-Andalus, paradis sensuel, comme se complut à l’imaginer Théophile Gautier?
Fanjul nous remémore qu’elles étaient les prescriptions d’un islam devenu très rigoriste sous l’influence des Almohades. Interdiction de tous les jeux, notamment les dames et les échecs, prohibition de la musique et relégation des femmes.
Les islamistes n’ont rien inventé.
Dans un esprit voltairien qui n’est pas pour me déplaire, Fanjul conclut: «Ce que l’islam a perdu n’est en rien un paradis originel (…). Que les musulmans réfléchissent donc et ne nous impliquent pas dans leurs frustrations et leurs échecs: ce sont les leurs avant toute chose.»
Car la tendance est ancrée dans l’esprit de nombreux musulmans, à considérer que les retards, l’incapacité du monde musulman à entrer dans la modernité sont imputables à l’Occident et à la « colonisation » alors que les causes de ses échecs, le monde musulman doit les rechercher dans sa propre Histoire et dans le modèles de société que lui imposent les prescriptions du Coran.
«Al Andalus l’inventiond’un mythe», de Serafin Fanjul, traduit de l’espagnol par Nicolas Klein, L’Artilleur, 708 p., 28 €.