Une voix s’est éteinte….


philippe Seguin

Une voix s’est éteinte et son silence est assourdissant.

C’est le troisième mail que je reçois émanant des abonnés qui suivent mon blog depuis plusieurs années, et qui s’interrogent sur mes orientations politiques.

Le dernier d’entre eux me fait,- à juste titre -, observer que certains de mes billets ont été, successivement critiques à l’égard de Chirac au quel je reprochais d’avoir été un leurre pour la Droite, puis à l’égard de Sarkozy dont j’ai toujours considéré qu’il n’avait de pire ennemi que lui même, puis à l’égard de Hollande, cet apparatchik sans envergure dont les ambiguïtés et l’inaptitude à revêtir le costume du Président qu’il est devenu, presque par hasard, ont été ridiculisés partout où il a promené sa bedaine, et enfin, à l’égard de Macron, ce brillant énarque issu de la bobocratie financière,- un monde que je connais bien pour l’avoir côtoyé pendant près de 35 ans -, fou de morgue et d’orgueil, et ivre de la puissance que lui confère une élection inattendue, obtenue en raison de la médiocrité de ceux qui lui étaient opposés.

Mais alors, m’interroge-t-il, où vous situez-vous, politiquement ???

La question est pertinente et mérite que j’y apporte une réponse claire.

J’ai bientôt 85 ans, et une mémoire redoutable.

Au cours de cette longue vie, j’ai vécu toutes sortes de situations qui ont affermi mon caractère et peu à peu, mes convictions. Cela ferait sans doute sourire bien des jeunes aujourd’hui, mais je fais partie des survivants, de plus en plus rares, qui ont connu l’époque de René Coty et la fin de la IVème République, qui ont sacrifié trois ans de leur jeunesse à une Guerre fratricide et cruelle en Algérie, qui ont vécu Mai 58 et l’arrivée au pouvoir de de Gaulle et son célèbre « Je vous ai compris », puis l’avènement de la Vème République, qui ont vu se succéder à la tête de l’Etat, Pompidou et Mai 1968 avec sa génération de « révolutionnaires » en peau lapin qui n’ont à leur actif qu’une « révolution sexuelle » qu’accompagne l’abaissement du niveau de la morale individuelle , puis Giscard, puis Mitterrand porté au pouvoir par Chirac qui a ainsi traîtreusement assouvi sa haine de Giscard. 

J’ai connu l’époque du Monarque Républicain en la personne de Mitterrand, puis les « coups de mentons » de Chirac qui faisaient croire au peuple de Droite que ce radical-socialiste était des leurs, j’ai connu les gesticulations d’un Sarkozy dont je pense qu’il faisait une bonne analyse de l’état de la société française mais qu’il n’a jamais été en capacité de la transformer, et enfin Hollande sur le cas duquel je ne m’étendrai pas tant sa médiocrité a pu déchaîner les sarcasmes au point qu’il fut le seul Président de la Vème République qui décida, de lui-même ( ??? ) de ne pas se présenter pour le renouvellement de son mandat.

Je suis de ceux, – j’ai découvert ensuite que nous étions majoritaires dans le pays – qui, refusant d’apporter leur voix à Marine Le Pen ( qui à mes yeux n’aura jamais l’envergure d’un Chef d’État ), mais refusant de voter pour Macron qui,  pour moi représente le prototype de ces hauts fonctionnaires « pantouflards » passés par Sciences Po et par l’ENA, tous construits sur le même modèle, arrivistes, prétentieux, qui ont des idées superficielles sur tout, et qui peuvent vous démontrer une chose et son contraire dans le même discours, et « en même temps »…. tant leur prétendue pensée est « complexe » !!!!

Une catégorie de personnages pour lesquels j’ai accumulé, – durant ma longue carrière au cours de laquelle j’ai dû les côtoyer, et parfois les affronter – de fortes préventions. Car je les crois capables de dire et de faire le contraire de ce qu’ils pensent, juste pour arriver à leurs fins….

Le programme de Macron, censé être « du juste milieu », ni de droite ni de gauche n’est rien d’autre, à peine actualisé, que le grand programme du parti radical, sorte de juste milieu décrit en son temps par Daniel Halévy dans La République des comités (1934) et qui entend éviter les « valeurs clivantes »: «Autant d’expressions interdites. France, le moins possible, et vidées de sens et d’amour. Ainsi se prépare en eux ce désert, cette brousse de croyances arrachées qui composera leur âme défaite, et d’où menace de s’élever un jour, pour d’étranges revanches, un feu messianique.» (Daniel Halévy).

Alors, me direz-vous, y-a-t-il dans le paysage politique qui émerge de ces propos désabusés, un personnage qui trouve grâce à vos yeux ???

Il en est un, et un seul aux idées duquel j’ai tout de suite adhéré, et aux quelles je suis resté fidèle. Ce personnage politique, c’est Philippe Séguin, dont je me sens orphelin !!!

Philippe Séguin avait dix ans de moins que moi, à quelques jours près. Très vite, lorsque ce personnage a émergé dans le paysage politique, j’ai éprouvé de l’intérêt pour le parcours de ce Pied Noir de Tunisie, issu d’une famille fort modeste, qui n’a pas connu son père mort à la guerre, élevé par sa mère, – une Institutrice de la « colonisation » -.

« La France était mon père de remplacement », disait-il et j’éprouvais naturellement de la sympathie pour ce parcours et cette profession de foi.

Certes, il était un Gaulliste convaincu, alors que pour moi, le personnage de de Gaulle, – dont je reconnais volontiers la dimension historique, et l’œuvre de redressement spectaculaire de la France – , porte la tache indélébile du mépris avec lequel il a traité les Pieds Noirs auxquels j’associe les harkis, pour mettre fin à la Guerre d’Algérie.

Il n’empêche que la haute idée que de Gaulle avait de son pays m’a toujours impressionné et séduit. Donc, ce point-là n’était pas pour m’éloigner de Philippe Séguin.

Et, cerise sur le gâteau de la sympathie que m’inspirait le personnage, il était, comme je le suis, un grand amateur de foot ….

Philippe Séguin est devenu mon « maître à penser » à partir de son discours fleuve prononcé à l’Assemblée Nationale pour combattre le projet de traité de Maastricht. J’ai suivi ce discours télévisé de plus de deux heures au cours duquel il expose sa conception d’une Europe des Nations et combat  » l’abandon majeur de souveraineté que constituent l’extension très large du principe de la majorité qualifiée (en lieu et place de l’unanimité des États) et la perspective affichée d’une monnaie unique pour 1999 lui paraissent une remise en cause radicale de l’héritage de 1789 et du pacte passé entre le citoyen français et la République. »

« Pendant près de deux heures et demi, «jusqu’à l’aube», en un combat ressemblant étrangement à celui de la chèvre de la fable, Philippe Séguin lutta pied à pied pour convaincre les députés des risques politiques, sociaux et économiques découlant des transferts de souveraineté massifs (notamment la monnaie) au profit d’une Europe proto-fédérale via l’adoption du traité de Maastricht. »

Avant de rendre les armes, au petit matin, non pas devant la cruauté d’un vieux loup de passage mais devant le suffrage référendaire acquis d’extrême justesse (51% pour la ratification du traité en septembre 1992) sur la base de convictions parfois sincères mais aussi de peurs et fantasmes agités comme aujourd’hui dès lors qu’est évoqué le sujet européen…..J’en ai eu les larmes aux yeux !!!

https://www.cvce.eu/obj/discours_de_philippe_seguin_paris_5_mai_1992-fr-208cafc7-f175-4e91-af4f-da4769440e83.html

Tout comme moi, Séguin n’avait rien d’anti-européen, il était au contraire profondément attaché à l’unité européenne et en particulier à l’accueil dans l’Union des pays de l’Est rescapés du communisme soviétique. En revanche, il voyait avec une lucidité hors du commun le danger de fonder la construction européenne sur la logique d’une gigantesque usine à gaz bureaucratique. Sa crainte majeure tenait à la destruction de la démocratie nationale.

J’ai toujours considéré, fidèle à sa conception de l’Europe que je partage toujours, que l’Europe que l’on nous propose, sous l’influence de puissantes oligarchies apatrides, n’a été rien d’autre, jusqu’ici,  qu’une fuite en avant dans une course à un élargissement qui ne correspondait qu’à une logique d’extension des marchés de consommation, servie par la logique d’une volonté de puissance échappant au contrôle des peuples, affirmée par une Commission européenne composée d’une élite de seigneurs de la haute bureaucratie européenne….

Il n’y a chez ces gens aucune volonté de rapprocher les peuples européens par ce qu’ils ont de plus précieux à partager : leurs savoirs-faire, leur culture, leur art de vivre, et leur besoin d’une réelle protection commune face aux dangers qui menacent la Patrie européenne.

Séguin n’aurait pas sa place dans le concert de ceux qui aujourd’hui « sautent comme des cabris sur leur chaise en criant l’Europe, l’Europe, l’Europe », car comme l’aurait prophétisé de Gaulle,  » le diable est désormais dans le confessionnal . Il ne faut surtout pas faire venir l’exorciste.» !!!

On comprend mieux aujourd’hui, les raisons qui ont conduit Jacques Chirac à vouloir depuis l’origine écarter Philippe Séguin du pouvoir : on trouve, bien entendu parmi ces raisons, et comme en 1995, la méfiance instinctive des années 1990 envers le lutteur de Maastricht, et le pourfendeur du «Munich social». Mais, pardessus tout, la méfiance de Chirac était motivée par l’extraordinaire force de caractère de Séguin, et le respect qu’il imposait en raison de sa stature, de son franc parler et de la haute idée qu’il avait des vertus républicaines, qui en faisaient un éventuel concurrent redoutable….

Car Chirac élu grâce à un programme inspiré par Séguin, celui de la « fracture sociale », aussitôt élu, s’est empressé de trahir ses engagement électoraux en leur tournant le dos, et en nommant Juppé pour faire une autre politique, ce que Séguin n’a jamais digéré.

Cette « fracture sociale » n’a pas été réduite depuis. Elle s’est même aggravée. Il y a deux France qui vivent côte à côte et qui s’ignorent : la « France d’en-haut », et la France périphérique si bien décrite par le géographe Christophe Guilluy. La bourgeoisie triomphante du XIXème  se fond dans un magma qui, dans une bienveillance affectée, célèbre « la mixité sociale », « le multiculturalisme », « le respect de l’Autre » et « le vivre ensemble »…

Bénéficiaire des bienfaits de la mondialisation, cette nouvelle bourgeoisie en oublie jusqu’à l’existence d’une « France d’en-bas », exclue des citadelles que sont devenues les grands métropoles.

Pendant ce temps, dans « la France périphérique », les classes populaires coupent les ponts avec la classe politique, les syndicats et les médias. Leurs cris de détresse ne sont plus entendus. Chassées des banlieues où elles ne se sentent plus protégées par la montée d’un communautarisme de plus en plus agressif, elles se réfugient à la périphérie des grands ensembles urbains, loin des centre-villes dont les logements ne sont plus accessibles qu’à une classe de privilégiés.

La voix forte de Philippe Séguin nous manque pour dénoncer l’hypocrisie d’une époque, et d’une classe politique qui se sert de la légitimité des Institutions pour confisquer le pouvoir et, avec la complicité des médias, réduire le peuple au silence, sous la menace de le renvoyer avec mépris, à son « populisme »….

Elle nous manque pour dénoncer les pitreries d’un pouvoir ivre de lui-même dont le triomphe n’est dû qu’à la médiocrité de ceux qui ont tenté de s’opposer à lui.

Et pourtant, faut-il souhaiter l’échec de la camarilla qui gouverne aujourd’hui le pays ??? Sans doute pas, car cet échec aurait de lourdes conséquences, tant ce pouvoir est en train, par aveuglement, de faire le lit des extrêmes…..Car un dangereux engrenage est enclenché, celui du mépris des grands et du dégoût populaire : une fracture qui ne peut que conduire au pire.

Alors, attendons de voir la suite…..Mais ce sera très dur car on ne fait pas disparaître près d’un demi-siècle de dépenses fiscales incontrôlées et d’addiction aux taxes et impôts d’un coup de baguette magique.

PS : si à un certain moment j’ai pu écrire quelques billets de soutien à un François Fillon au cours de la dernière campagne présidentielle, c’est moins par attirance pour le personnage que j’ai toujours trouvé un brin « faux-cul », que parce qu’il se prévalait de sa « proximité » avec Philippe Séguin, et que je retrouvais dans ce programme, sur certains points, les accents courageux de celui qui fut son mentor. Je me suis trompé.