Lorsque j’étais élève, en classe de Première au Lycée Bugeaud d’Alger, nous avions un professeur « d’Histoire-Géographie », Monsieur Frémont, qui avait été un élève de Fernand Braudel et en était devenu l’assistant puis le disciple .
Cet homme du Nord, ( je crois me souvenir que c’était un Picard ) nous parlait de la Méditerranée avec une passion qui ne nous laissait pas indifférents. Car à l’âge qui était le nôtre, à cette époque, nous n’avions pas réellement conscience de notre singularité méditerranéenne.
Il appuyait son cours sur l’enseignement qu’il avait lui-même reçu, dans sa jeunesse : Fernand Braudel avait profité de son long séjour en Algérie, d’abord au Lycée de Constantine, puis au Grand Lycée d’Alger pour approfondir sa connaissance du monde méditerranéen dont il était devenu, à cette époque, un éminent spécialiste.
Il en avait tiré un ouvrage intitulé « La Méditerranée » dans lequel il nous fait partager sa connaissance du monde méditerranéen et à l’élaboration duquel notre professeur avait participé.
Cet enseignement a contribué à me convaincre du fait qu’ il existe réellement un monde méditerranéen, – auquel notre époque a tourné le dos, un peu légèrement, selon moi -, en raison de la fascination qu’exerce désormais l’Europe du Nord, depuis que cette « construction européenne » dont on ne discerne plus clairement, ni les objectifs, ni les limites territoriales, mobilise toutes les énergies et toutes les attentions, et enferme les peuples de l’Europe méditerranéenne dans l’image peu valorisante de « peuples du Clubmed »….
Dès l’Introduction de cet ouvrage dont je possède une belle édition illustrée, Fernand Braudel énonce , comme une sorte de synthèse de ce que ses travaux lui ont révélé.
Pour Fernand Braudel , ( je cite ) : » Qu’est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres.
Voyager en Méditerranée, c’est trouver le monde romain au Liban, la préhistoire en Sardaigne, les villes grecques en Sicile, la présence arabe en Espagne, l’Islam turc en Yougoslavie. C’est plonger au plus profond des siècles, jusqu’aux constructions mégalithiques de Malte ou jusqu’aux pyramides d’Égypte. C’est rencontrer de très vieilles choses, encore vivantes, qui côtoient l’ultra-moderne: à côté de Venise, faussement immobile, la lourde agglomération industrielle de Mestre; à côté de la barque du pêcheur, qui est encore la même que celle d’Ulysse, le chalutier dévastateur des fonds marins ou les énormes pétrolièrs.
C’est tout à la fois, s’immerger dans l’archaïsme des mondes insulaires et s’étonner devant l’extrême jeunesse de très vieilles villes ouvertes à tous les vents de la culture et des profits qui depuis des siècles, surveillent et mangent la mer. » ( fin de citation ). La Méditerranée, Fernand Braudel, éd. Arts et métiers graphiques, 1977, p. 8
Celui qui, comme moi, a longtemps vécu en Algérie, a travaillé au Maroc, en Tunisie, au Liban, a voyagé en Italie, en Grèce, en Syrie, et termine ses jours en Espagne, ne peut qu’être convaincu du fait que l’identité méditerranéenne existe. Elle existe tout autant que l’identité nordique ou germanique, l’identité balkanique, ou l’identité maghrébine. Elle s’exprime par l’assemblage des cercles croisés de nos appartenances culturelles et sociales.
Les uns et les autres, pays des deux rives, sommes méditerranéens. Nous ne sommes pas que cela, mais nous le sommes.
L’identité méditerranéenne est d’abord culturelle. Cette identité méditerranéenne nous appartient, à nous européens du Sud, et elle traverse nos autres appartenances, notre appartenance à l’Europe, à la chrétienté ou, sur l’autre rive, à l’islam, au monde développé, ou au monde sous développé qui subsiste en Afrique.
L’aventure européenne ne doit pas nous faire oublier que nous sommes avant tout méditerranéens.
Il y a entre nous, une parenté de culture et de mode de vie, fondée sur la lumière du soleil, la gastronomie, la vigne, l’olivier, l’amandier, le verbe, le geste, les couleurs de la vie que tant de peintres ont célébrées et qui sont l’antithèse du clair obscur de Rembrandt.
Elle est fondée sur le goût du dialogue, voire de la controverse, l’hospitalité, l’humour, ainsi que la sensibilité, l’affectif qui trop souvent prend le pas sur le rationnel, et surtout, le culte de la mémoire : la plupart des monuments que nous a légué l’antiquité méditerranéenne sont dédiés à la mémoire, cette mémoire greco-latine que les temps modernes cherchent à occulter au profit du culte voué à une prétendue « modernité » qui confond le progrès de la technologie avec celui de la civilisation ….
Gabriel Audisio, un auteur méditerranéen digne des Pagnol et des Giono, dans un ouvrage intitulé « Jeunesse de la Méditerranée » écrivait, ( je cite ) : « ma patrie, c’est la mer, la Méditerranée, de bout en bout. ». Et il ajoute, quelques pages plus loin, « « Et je spécifie que, pour les peuples de cette mer, il n’y a qu’une seule mer elle-même, la Méditerranée. » ( Page 15 ).
On a le droit d’en penser ce que l’on veut .
Surtout à une époque où les problèmes d’identité sont devenus épidermiques, sauf pour ceux qui ont renoncé à toute identité pour se fondre dans le nouveau peuple des apatrides qui hypocritement se déclarent « citoyens du monde », sans trop s’attarder à préciser de quel monde !!!
Ce soir, je m’attarderai à écouter le murumre de la vague qui vient mourir sur le sable doré de la plage. Le regard fixé sur l’horizon, et, songeant au poême de du Bellay, je m’exclamerai « in petto » :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
@Elisanne : nous partageons la même passion pour cette Mer mère de nos civilisations….
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Il la chante et la fait aimer encore davantage…
je suis une éternelle amoureuse de la Méditerranée
autre auteur que j’aime Jean Grenier et qui en parle si bien:
« Il existe pour chaque homme des lieux prédestinés au bonheur,
des paysages où il peut s’épanouir et connaître,
au-delà du simple plaisir de vivre, une joie qui ressemble à un ravissement.
La méditerranée peut inspirer un tel état d’âme…
Par les lignes et les formes qu’elle impose elle rend la vérité inséparable du bonheur; l’ivresse même de la lumière n’y fait qu’exalter l’esprit de contemplation…
dans » Inspirations Méditerranéennes »
à bientôt !
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@Elisanne: alors ??? Qu’en avez-vous pensé ??? Pour moi, c’est un petit chef d’œuvre !!!
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vous m’aviez conseillé la lecture de ce livre, je l’ai lu…
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Bonjour Berdepas,
Chaque méditerranéen se coule dans vos mots, votre pensée.
Est-ce la lumière si particulière et si difficile à rendre sur une toile, où tous les lointains se teintent de mauve et de violet profond ?
Est-ce l’or du soleil à la surface des flots, ou le sable brûlant qui pique la plante des pieds ici, et fendille la terre, là, en attisant tous les parfums musqués ?
Je ne saurais le dire, mais, oui, tout cela nous cisèle, certainement. On n’agit pas au soleil de la même manière que dans le froid.
Merci pour ces pages qui ravissent la méditerranéenne que je suis, incontestablement, quel que soit le lieu où je suis contrainte d’habiter.
Amicalement,
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bien très bien ,heureux de vous lire ,
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