Il nous arrive, de plus en plus souvent, le soir, lorsque notre promenade nous conduit à l’autre bout de la plage, de faire une halte, sur un banc face à la mer. C’est un instant précieux pour moi.
C’est l’heure où, mon épouse et moi-même remplissons nos poumons de l’air frais du large, en savourant les parfums marins subtils que transportent les embruns. Nous admirons en silence le bleu profond du ciel que reflètent, ornées de leurs scintillements, au soleil couchant, les vagues de notre Méditerranée.
Je laisse alors mon esprit divaguer….
Le regard fixé sur la ligne d’horizon devenue, pour moi, au fil du temps, comme une frontière, mes pensées vont vers ceux de ma famille qui sont restés là-bas : mon père qui souhaitait rester enterré sur une terre qu’il aimait, auprès de sa mère , de ses oncles et tantes qui m’ont connu enfant.
Leur poussière appartient désormais à cette terre, qui n’est plus la mienne, mais dans laquelle plongent mes racines.
C’est à eux que je dois d’être ce que je suis: un méditerranéen, incorrigiblement .
Dans mes veines coule un sang mélangé où l’on trouverait des traces d’ADN issues du pourtour de cette Méditerranée vers laquelle j’aspire à revenir toujours, et plus encore au soir de ma vie, après avoir parcouru le monde sous toutes les latitudes et tous les Continents.
Je n’ai jamais cru aux races pures. La mienne, celle que j’assume, a de multiples visages, et son authenticité repose , comme pour toutes les «évidences», sur un amalgame d’antécédents suspects, dont la complexité échappe aux « gens du Nord ».
Il faut être un « méditerranéen »pour comprendre la culture et le langage de ceux qui ont grandi sur l’autre rive : ces « sangs mêlés » au langage fait de français, d’espagnol, d’italien et d’arabe ….
C’est cette culture qui fait que je me sens chez moi partout, en Grèce, en Italie, en Provence, en Espagne, mais aussi dans les pays Arabes où au bout de deux ou trois jours me reviennent , comme par enchantement, les mots et les bribes de conversations, en Arabe, appris dans ma jeunesse, et qui font que dans le fin fond de la Syrie , on me dit « inta, Djezaïri ??? »….. tant l’Arabe que parlent les Algérois est différent de celui des autres pays arabes….
Il se peut, pour ceux qui n’en sont point, que ces « sangs mêlés » aient quelque chose de dérangeant car ils sont porteurs inconscients de valeurs qui, dans l’Europe du Nord, se sont effritées au fil du temps : un sens aigu de la famille, le respect des traditions, celui des vieux et des ancêtres, un goût prononcé pour les grandes tablées et les discussions bruyantes autour d’un Couscous ou d’une Paella, ou pour les plaisanteries grivoises entre deux brochettes et un verre d’anisette.
Je les ai rencontrés partout.
Et pas seulement autour de la Méditerranée : alors que j’étais en mission en Uruguay, dans un petit patelin nommé « Paysandu »,à la frontière du Brésil, non loin des chutes d’Iguazu, le Directeur local de la Banque agricole auprès de laquelle j’étais en mission, me conduit auprès d’une communauté de Pieds Noirs qui, chassés d’Algérie, avaient recréé là, une superbe exploitation sur 2.000 hectares de citrus, devenue, en Uruguay, un modèle de mise en valeur de terres arides. Je me souviens de leur hospitalité chaleureuse et émouvante…. Et surtout, je n’ai pas oublié qu’en moins de quelques minutes, autour d’un verre d’anisette, ils avaient retrouvé, en évoquant leurs souvenirs d’exil, mais aussi leur aventure humaine, cet inimitable accent et ces expressions savoureuses que les Pieds Noirs utilisent dans leur langage, dès qu’ils se retrouvent entre eux….
Je suis capable de reconnaître d’un seul œil, d’une seule oreille, et au flair, dans n’importe quel coin du monde, ses plus divers représentants.
Ainsi, un soir, sortant de l’Hôtel Rex à Saîgon où j’étais encore en mission, je suis entouré d’une nuée d’ enfants qui guettent la sortie des « touristes » pour mendier quelques dollars. L’un d’entre eux, trouve le moyen de glisser sa main dans ma poche : je me retourne et dans un reflexe de colère, je lui lance, pour l’impressionner : « ça suffit !!! Tu arrêtes, ou « je t’en donne une que le mur , y t’en donne deux » !!! ». Une expression qui n’appartient qu’à nous !!!
Soudain quelqu’un frappe sur mon épaule : je me retourne et un grand gaillard me dit « vous, vous êtes un Pied Noir !!! ». Il s’agit de Gabriel Conesa, reporter à Paris-Match, qui fut le gardien de but de l’équipe de water polo d’Algérie. Inutile de dire que la soirée se terminera au bar de l’Hôtel Rex,- avec le merle célèbre qui sifflait la Marseillaise, depuis sa cage-, arrosée de Ricard, (à défaut d’Anisette), à évoquer nos souvenirs de jeunesse sportive à Alger, sous le regard amusé des autres reporters qui accompagnaient ce compatriote inattendu…
A New York, à l’issue d’une réunion qui s’était terminée tard dans la nuit, nous sortons des bureaux du Crédit Agricole, et à quelques mètres sur le trottoir une odeur sympathique nous attire dans une Pizzeria encore ouverte à une heure du matin : nous entrons avec mes collègues et je lâche un « putain !!! ça sent bon ici ». Le patron qui m’a entendu, accourt et me dit « vous, vous êtes Pied Noir » !!! A son accent , je reconnais un compatriote oranais, et nous voilà partis, sous le regard médusé de mes collègues dans une évocation colorée de nos souvenirs communs…. Vous êtes mes invités, nous dit-il !!! Nous sommes sortis de cette Pizzeria, repus, à trois heures du matin !!!.
( à suivre ).
Bonsoir Berdepas,
Oui, c’est connu le cimetière de Bône. Réellement, il ressemblait plus à un jardin avec des chapelles et tombeaux immenses (j’ai vu les mêmes à Ajaccio) ses allées bordées de cyprès bien alignés et des fleurs partout. L’été le crin-crin des cigales accompagnait les visiteurs.
Là reposent une partie des miens. Les autres dorment dans une terre aujourd’hui labourée, sur le sentier qui menait à une zaouïa à mi-pente de montagne, près de Jemappes où mon père cultivait ses vignes.
Il ne reste plus rien, et Bône dite la coquette est devenue Bône la craspouillette.
C’est comme ça, atso ! disent les Bônois.
Amicalement,
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@ Annick : Ah !!! Bône . On disait alors « le cimetière de Bône, envie de mourir il te donne » !!! Est-vrai ???
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Bonsoir Berdepas,
« Je suis capable de reconnaître d’un seul œil, d’une seule oreille, et au flair, dans n’importe quel coin du monde, ses plus divers représentants. »
Ayayaille, évidemment que moi aussi !
J’en ai rencontré des compatriotes, en Espagne, en Argentine, à La Réunion, et aussi ici, et chaque fois, l’accent ne m’a pas trompée. Ni la région qu’il évoquait.
J’ai perdu le mien. Enfin, je ne parle pas pointu, tous mes « é » continuent à avoir l’accent aigu et mes « o » restent très ouverts.
Les Bônois parlent en chantant paraît-il (et avec les mains, ce qui m’est resté) et mes cousins, Constantinois, se moquaient gentiment de moi lorsque nous étions là-bas. Évidemment, l’accent c’était eux qui l’avaient, pas moi.
Mais l’accent revient aussitôt, comme par magie, dès que je retrouve un PN.
En septembre dernier je suis allée dans le Tarn, chez un ami d’enfance que je n’avais pas revu depuis plus de 30 ans. Nous nous demandions si nous allions nous reconnaître et à la sortie de l’avion j’ai bien ajusté mes lunettes. Inutile ! On se serait reconnus, flairés, dans une foule immense. Lui, un peu plus fartasse et les cheveux plus blancs (comme moi ! ) mais toujours le même.
Arrivée dans la soirée, c’était l’heure de l’apéro – anisette bien sûr, et kémia bien de chez nous.
Le dîner a duré jusqu’à… 7 heures du matin. Infatigables tchatcharouns, on ne s’est pas rendus compte de l’heure. Son épouse nous a suivis avec bienveillance, ravie en fin de compte de tous ces détails d’enfance que nous évoquions, et pas du tout dépaysée par notre pataouète bônois revenu spontanément avec l’accent.
Comme c’était bon de ne pas avoir à tout expliquer, à tout décrire. J’ai passé une semaine qui m’a fait un bien fou et comprendre aussi combien cet « exil » nous a privé de nos racines.
Les miennes sont diverses aussi, un peu la Lombardie, un peu Malte, un peu la France de diverses régions.
Amicalement,
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bonjour Monsieur .
que de beaux souvenirs que vous partagez avec nous ..que de plaisir à vous lire .
je ne connais absolument pas les pays méditerranéens , préférant le grand nord et comme vous l’avez remarqué la haute montagne .
cependant je partagerais bien une pizza avec vous et les amis du chalet et je sais que vous serez bavard comme pas deux avec notre amie Annick pleine de souvenirs comme les vôtres , tout en dégustant ma petite mirabelle ..
amitié cher Monsieur et vivement la suite .
Chris .
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