Je tombe, une fois de plus par hasard, en fouillant parmi les vieux livres que recèle ma bibliothèque, sur un ouvrage acheté il y a fort longtemps sur les bords de la Seine à un vieux bouquiniste qui semblait s’être spécialisé dans la revente de livres anciens d’une époque littéraire dont on se détourne, à tort, aujourd’hui.
Car qui, aujourd’hui s’intéresse aux écrits de Mauras, de Déroulède, ou de Renan ??? Et pourtant….Ernest Renan a connu une immense gloire au XIXe siècle, principalement pour sa critique du christianisme .
Mais il serait profondément injuste de réduire l’oeuvre de Renan aux pages critiques qu’il a écrite sur le Christianisme .
Les combats qu’il a pu mener tout comme les débats qu’il a soulevés nous paraissent si lointains aujourd’hui….Et pourtant ….
En feuilletant l’ouvrage exhumé des rayons de ma bibliothèque, qu’à vrai dire je n’avais jamais ouvert, je découvre des pages entières consacrées à une réflexion dont l’actualité m’a paru tellement évidente que je ne résiste pas au plaisir d’en partager les meilleurs morceaux sur ce blog !!!

Cette édition comporte une préface qui rehausse l’intérêt de ce livre. Sous le titre prometteur des « Origines de la France Contemporaine », Jean-François Revel, qui fut dans les années 70/80 un éditorialiste de talent ( même si je n’ai pas toujours partagé ses points de vue ) nous livre une réflexion dont la hauteur distanciée tranche sur les propos médiocres de ceux qui ne supportent plus que des Français puissent encore s’interroger sur leur « identité »……
Pour Jean-François Revel » . « La France est le sel de la Terre » -, la déchéance où elle s’abîme est de toutes la plus profonde lorsqu’elle vient à s’en écarter. » Et plus loin : « N’est pas médiocre qui veut. L’homme qui prostitue un grand nom, qui manque à une mission écrite dans sa nature, ne peut se permettre sans conséquence une foule de choses que l’on pardonne à l’homme ordinaire, qui n’a ni passé à continuer, ni grand devoir à remplir. »
Intéressant, non ???
Pour J-F Revel, Renan oppose déjà la médiocrité des Français à la grandeur de la France, et citant Renan, il stigmatise ces « politiciens médiocres et jaloux, naturellement peu respectés de la foule, qui sait par quel charlatanisme on a surpris son suffrage »…..Pour J-F Revel, Renan est un libéral réactionnaire qui se situe entre Montesquieu et de Gaulle.
L’Histoire n’est, en définitive, qu’un éternel recommencement….
Mais revenons à l’ouvrage de Renan, objet de ce billet. En somme, si on se réfère à Revel, ce qui inspire Renan, c’est le sentiment de la médiocrité foncière de notre peuple, sentiment difficile à concilier – comme ce sera aussi le cas chez de Gaulle – avec l’affirmation que ce même peuple est « le sel de la terre ».
Dès les premières pages Renan cadre son propos sur la France : « Énervée par la démocratie, démoralisée par sa prospérité même, la France a expié de la manière la plus cruelle ses années d’égarement. La raison de ce fait est dans l’importance même de la France et dans la noblesse de son passé. Il y a une justice pour elle ; il ne lui est pas loisible de s’abandonner, de négliger sa vocation ; il est évident que la Providence l’aime ; car elle la châtie.
« Un pays qui a joué un rôle de premier ordre n’a pas le droit de se réduire au matérialisme bourgeois qui ne demande qu’à jouir tranquillement de ses richesses acquises. N’est pas médiocre qui veut. L’homme qui prostitue un grand nom, qui manque à une mission écrite dans sa nature, ne peut se permettre sans conséquence une foule de choses que l’on pardonne a l’homme ordinaire, qui n’a ni passé à continuer, ni grand devoir à remplir. » Il en est de même pour la France.
Ce vieux pays ne peut se permettre de se complaire dans la médiocrité. Or, selon le Renan de l’époque » pour voir en ces dernières années que l’état moral de la France était gravement atteint, il fallait quelque pénétration d’esprit, une certaine habitude des raisonnements politiques et historiques. Pour voir le mal aujourd’hui, il ne faut, hélas ! que des yeux. L’édifice de nos chimères s’est effondre comme les châteaux féériques qu’on bâtit en rêve. Présomption, vanité puérile, indiscipline, manque de sérieux, d’application, d’honnêteté, faiblesse de tête, incapacité de tenir à la fois beaucoup d’idées sous le regard, absence d’esprit scientifique, naïve. et grossière ignorance, voilà depuis un an l’abrégé de notre histoire « .
N’en déplaise à ceux qui continuent de faire naître la France au lendemain de la Révolution française, Renan assène ce douloureux constat, dont on mesure encore aujourd’hui les effets dévastateurs ; « Le jour où la France coupa la tête à son roi, elle commit un suicide. « . Rien que cela !!!
Plus loin, Renan évoque le vieux rêve que les décennies qui viennent de s’écouler ont transformé en fantasme, tant le rêve européen a perdu de sa capacité à nourir les espoirs des générations futures : « Nous crûmes un moment que notre rêve allait se réaliser, c’est-à-dire l’union politique et intellectuelle de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France, constituant à elles trois une force directrice de l’humanité et de la civilisation »….
Et ce saisissant paragraphe dans lequel Renan décrit le processus de déclin qui conduira la France à de cruelles défaites, et qui mériterait d’être médité par ceux qui ont aujourd’hui entre leurs mains, le destin de la France :
« Toujours légère et inconsidérée, la France avait à la lettre oublié qu’elle avait insulté il y a un demi-siècle la plupart des nations de l’Europe, et en particulier la race qui offre en tout le contraire de nos qualités et de nos défauts. La conscience française est courte et vive ; la conscience allemande est longue, tenace et profonde. Le Français est bon, étourdi ; il oublie vite le mal qu’il a fait et celui qu’on lui a fait ; l’Allemand est rancunier, peu généreux ; il comprend médiocrement la gloire, le point d’honneur ; il ne connaît pas le pardon. »
« Les revanches de 1814 et de 1815 n’avaient pas satisfait l’énorme haine que les guerres funestes de l’Empire avaient allumée dans le cœur de l’Allemagne. Lentement, savamment, elle préparait la vengeance d’injures qui pour nous étaient des faits d’un autre âge, avec lequel nous ne nous sentions aucun lien et dont nous ne croyions nullement porter la responsabilité. »
« Pendant que nous descendions insouciants la pente d’un matérialisme inintelligent ou d’une philosophie trop généreuse, laissant presque se perdre tout souvenir d’esprit national (sans songer que notre état social était si peu solide qu’il suffisait pour tout perdre du caprice de quelques hommes imprudents), un tout autre esprit, le vieil esprit de ce que nous appelons l’ancien régime, vivait en Prusse, et à beaucoup d’égards en Russie. L’Angleterre et le reste de l’Europe, ces deux pays exceptés, étaient engagés dans la même voie que nous, voie de paix, d’industrie, de commerce, présentée par l’école des économistes et par la plupart des hommes d’État comme la voie même de la civilisation. »
« Mais il y avait deux pays où l’ambition dans le sens d’autrefois, l’envie de s’agrandir, la foi nationale, l’orgueil de race duraient encore. La Russie, par ses instincts profonds, par son fanatisme à la fois religieux et politique, conservait le feu sacré des temps anciens, ce qu’on trouve bien peu chez un peuple usé comme le nôtre par l’égoïsme, c’est-à-dire la prompte disposition à se faire tuer pour une cause à laquelle ne se rattache aucun intérêt personnel. »
« En Prusse, une noblesse privilégiée, des paysans soumis à un régime quasi-féodal, un esprit militaire et national poussé jusqu’à la rudesse, une vie dure, une certaine pauvreté générale, avec un peu de jalousie contre les peuples qui mènent une vie plus douce, maintenaient les conditions qui ont été jusqu’ici la force des nations. »
« Là, l’état militaire, chez nous déprécié ou considéré comme synonyme d’oisiveté et de vie désœuvrée, était le principal titre d’honneur, une sorte de carrière savante. L’esprit allemand avait appliqué à l’art de tuer la puissance de ses méthodes. Tandis que, de ce côte du Rhin, tous nos efforts consistaient à extirper les souvenirs selon nous néfastes du premier empire, le vieil esprit des Blücher, des Scharnhorst vivait là encore. »
« Chez nous, le patriotisme se rapportant aux souvenirs militaires était ridiculise sous le nom de chauvinisme, là-bas, tous sont ce que nous appelons des chauvins, et s’en font gloire. »
« La tendance du libéralisme français était de diminuer l’État au profit de la liberté individuelle ; l’État en Prusse était bien plus tyrannique qu’il ne le fut jamais chez nous ; le Prussien, élevé, dressé, moralisé, instruit, enrégimenté, toujours surveillé par l’État, était bien plus gouverné (mieux gouverné aussi sans doute) que nous ne le fûmes jamais, et ne se plaignait pas. Ce peuple est essentiellement monarchique ; il n’a nul besoin d’égalité ; il a des vertus, mais des vertus de classes.
« Tandis que parmi nous un même type d’honneur est l’idéal de tous, en Allemagne, le noble, le bourgeois, le professeur, le paysan, l’ouvrier, ont leur formule particulière du devoir ; les devoirs de l’homme, les droits de l’homme sont peu compris ; et c’est là une grande force, car l’égalité est la plus grande cause d’affaiblissement politique et militaire qu’il y ait. Joignez-y la science, la critique, l’étendue et la précision de l’esprit, toutes qualités que développe au plus haut degré l’éducation prussienne, et que notre éducation française oblitère ou ne développe pas ; joignez-y surtout les qualités morales et en particulier la qualité qui donne toujours la victoire à une race sur les peuples qui l’ont moins, la chasteté et vous comprendrez que, pour quiconque a un peu de philosophie de l’histoire et a compris ce que c’est que la vertu des nations, pour quiconque a lu les deux beaux traités de Plutarque : « De la vertu et de la fortune d’Alexandre. De la vertu et de la fortune des Romains », il ne pouvait y avoir de doute sur ce qui se préparait.
« Il était facile de voir que la révolution française, faiblement arrêtée un moment par les événements de 1814 et de 1815, allait une seconde fois voir se dresser devant elle son éternelle ennemie, la race germanique ou plutôt slavo-germanique du Nord, en d’autres termes, la Prusse, demeurée pays d’ancien régime, et ainsi préservée du matérialisme industriel, économique, socialiste, révolutionnaire, qui a dompté la virilité de tous les autres peuples. La résolution fixe de l’aristocratie prussienne de vaincre la révolution française a eu ainsi deux phases distinctes, l’une de 1792 à 1815, l’autre de 1848 à 1871, toutes deux victorieuses, et il en sera probablement encore ainsi à l’avenir, à moins que la révolution ne s’empare de son ennemi lui-même, ce à quoi l’annexion de l’Allemagne à la Prusse fournira de grandes facilites, mais non encore pour un avenir immédiat. »
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » affirmait Winston Churchill. Or, c’est précisément ce que nous vivons.
Relisez Ernest Renan, et méditez sur ces pages qui, sans concession, décrivent les menaces qui, en de nombreuses circonstances historiques, réveillent les vieux démons qui hantent ce vieux pays.
« Pour n’avoir pas suffisamment médité les leçons tirées des épreuves traversées par notre pays au cours des précédents siècles, nous subissons de plein fouet les conséquences d’une légèreté à laquelle la tragédie du 13 novembre semble avoir mis fin, nous rappelant tristement à une réalité que nous voulions ignorer.
Notre légèreté a consisté à avoir cru que nous pouvions offrir une vie harmonieuse à une jeunesse désœuvrée, sans l’enraciner dans les profondeurs de l’âme française. « Un pays qui a joué un rôle de premier ordre n’a pas le droit de se réduire au matérialisme bourgeois qui ne demande qu’à jouir tranquillement de ses richesses acquises »
Ernest Renan dans La Réforme intellectuelle et morale, au sortir du traumatisme de la guerre de 1870 décrivait déjà le processus du déclin d’une France qui s’abandonne à ses chimères.
Si vous n’avez pas le courage de vous plonger dans Ernest Renan, alors faites un détour par le livre de Barbara Lefebvre qui dépasse largement ce constat. A travers Génération « j’ai le droit » (Albin Michel). Cette essayiste et professeure dans le secondaire aborde des enjeux tels que la démission des familles, la dérive multiculturaliste de notre modèle d’assimilation ou encore l’instrumentalisation politique de l’histoire. Et livre une réflexion puissante sur la crise de l’autorité qui mine notre société ultra-individualiste.Autant de symptômes de ce déclin d’une France qui s’abandonne à ses démons qu’Ernest Renan décrivait si justement….
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