Quand soudain, les « Valeurs » se sont inversées…..


Riches à Gauche

Issu d’une famille modeste, – je n’ai jamais eu honte de l’assumer – ayant grandi dans un des quartiers les plus « populaires » d’Alger, – à deux pas de la rue où Albert Camus a grandi -, je suis de ceux qui ne supportent pas que l’on puisse mépriser « le petit peuple ».

Fort de l’éducation reçue dans ma famille, fondée sur le travail, la rigueur et les sacrifices personnels,  puis pourvu d’une capacité d’adaptation intellectuelle que je dois à des Enseignants d’une espèce disparue, que je n’ai jamais cessé de vénérer, j’ai pu, après un exode familial forcé, faire une longue carrière professionnelle.

Une carrière qui m’a permis de pénétrer les milieux sociaux les plus divers, et notamment, d’apprendre à connaître, dans ses profondeurs, puis à apprécier cette France rurale, enracinée, qui aujourd’hui se sent méprisée, et enfin à découvrir, au sein de l’Etat-Major d’une grande institution financière, le microcosme que constitue « l’élite » arrogante, venue des Cabinets Ministériels, issue des promotions des meilleures écoles de la République, dont j’ai appris à apprécier l’agilité intellectuelle, mais aussi, à observer les codes, les pratiques, les comportements de meutes, et les postures de « petits Marquis » de la République.

Pardonnez-moi cette longue introduction, destinée à amener mon sujet.

J’ai, durant ma longue vie, rencontré, fréquenté, observé, estimé ou affronté parfois, des gens de tous milieux sociaux. L’éducation que j’ai reçue, a fait que je me suis toujours senti « à l’aise » dans tous ces milieux.

Et j’ai, plus d’une fois été hanté par une question , (je le suis encore aujourd’hui) : comment peut-on « être de Gauche », quand on appartient à l’élite bourgeoise friquée, qui ne voyage qu’en « Classe Affaires », ne fréquente que les Restaurants gastronomiques, ne s’habille que chez les meilleurs tailleurs de Paris, ou à défaut qu’avec des vêtements de marque, et ne conçoit de rouler que dans certaines marques de voitures  ???

La réponse à cette question, je ne l’ai jamais trouvée, même en lisant assidûment « le Monde » ou « le NouvelObs », ou les « Inrockuptibles »… qui sont, selon mes observations, les véhicules de toute pensée au sein de la « Gauche Caviar « !!!

https://berdepas.com/2017/02/12/terra-nova-bien-plus-quun-think-tank/

https://berdepas.com/2008/10/31/la-pedaledans-le-caviar/

Or, je viens de refermer un livre qui m’apporte, enfin, un éclairage lumineux.

Le livre de l’Américain Thomas Frank « Pourquoi les riches votent à gauche » permet de comprendre ce qu’est devenue la gauche, au fil des années, par une lente transformation de ses valeurs traditionnelles, au point de trahir les aspirations du « Peuple de Gauche »qu’elle a toujours fait mine de défendre ….

Cet auteur nous montre que le phénomène n’est pas propre à la France. Il a pris naissance depuis plusieurs années, aux États Unis, comme la plupart des courants de pensée qui aujourd’hui, traversent les sociétés européennes, dont, parmi d’autres, le courant « Politiquement correct » qui est le plus souvent mis en avant.

Dans « Pourquoi les riches votent à gauche », Thomas Frank répond, enfin, à la question que je me pose depuis toujours : comment des Partis qui prétendaient défendre les intérêts des catégories populaires et des classes moyennes sont-ils devenus, à partir des années 80, les porte-parole des catégories sinon privilégiées, du moins fort éloignées de la sociologie du Peuple qu’ils prétendent défendre ?

Car ce que dit Thomas Frank du Parti Démocrate américain pourrait être généralisé à tous les partis sociaux-démocrates européens, et notamment au PS français. À compter des années 90, les catégories populaires ont commencé à déserter ces formations.

Thomas Frank nous décrit les causes politiques de cette mutation.

Si, aux États-Unis, le Parti Démocrate avait toujours attiré les intellectuels, il va, au début des années 90, devenir le porte-parole de la «classe professionnelle». Comme le PS français, le Parti Démocrate va se muer en parti des « zélites », avec un fort pourcentage de cadres et d’adhérents issus des grandes universités. Ces nouveaux bataillons du parti partagent un postulat: les études supérieures qu’ils ont accomplies leur confèrent le droit d’imposer à la société américaine leur vision du monde et leurs choix !!!

Évoluant dans les secteurs de la nouvelle économie ou dans des secteurs protégés de la concurrence mondiale, les élites progressistes considèrent, dès cette époque, qu’il y a d’un côté le « Vieux Monde « ( industrie d’extraction, agriculture ) et de l’autre le « Nouveau Monde », celui des nouvelles technologies, de la Finance et des avancées sociétales. D’un côté, un monde rétrograde et fermé car peuplé de « ringards » non-diplômés, condamné à tomber dans les oubliettes de l’Histoire ; de l’autre, le monde ouvert et branché des diplômés.

D’un côté, ceux qui croient détenir les clés de l’intelligence parce que  » Diplômés » et de l’autre, …. les autres….

Ce type de comportement a été lumineusement illustré par Hillary Clinton lorsqu’elle traita les électeurs de Trump de «ramassis de minables» lors de la campagne présidentielle américaine : elle ne faisait qu’exprimer cette vision clivante et élitiste du monde. Cela lui a probablement coûté très cher, lors de cette élection.

De même, le mépris à peine voilé des élites socialistes envers la France périphérique, peuplée de «beaufs et de racistes» ne doit pas étonner, il est la conséquence de cette représentation de la société.

Pour ces « zélites », le vieux monde est aussi celui des vieilles lunes auxquelles sont rattachées les religions. Ainsi, le catholicisme, qui cumule l’ancienneté et une morale jugée «outdated», est devenu la cible de ces nouvelles élites.

Très souvent, s’agissant de spiritualité, – à en croire les articles que diffuse la Presse « progressiste » – une certaine élite adhère à une sorte de « New Age » héritage nostalgique des « post-soixante-huitards ». Une sorte de bouddhisme bricolé, parfois mâtiné de véganisme ou de « droit-de-l’hommisme », et peu exigeant au plan de la « morale »sexuelle est devenu la religion de substitution pour nombre de dirigeants de la nouvelle économie : le cas de Steve Jobs en témoigne.

Thomas Frank développe également un point très intéressant : selon lui, la fusion, au début des années 2000, des élites intellectuelles et économiques a été un tournant dominant dans l’évolution des sociétés occidentales.

Aux Etats Unis, désormais, les nouveaux capitalistes, à de rares exceptions près, soutiennent en masse le Parti Démocrate. Si nos « journaleux » avaient une once de curiosité, ils feraient, en France, les mêmes constats. Or, le progressisme de certains essayistes à la mode est très proche de celui des élites progressistes américaines.

Note : Il suffit, pour le vérifier de s’informer les Grandes Entreprises qui financent le « Think tank » préféré du Parti Socialiste, « Terra Nova » à l’origine d’une préconisation incitant le Parti Socialiste à se détourner de la Classe Ouvrière et à reporter son attention sur les « minorités », ethniques, sexuelles, les féministes, les Cadres, etc…. J’ai dans le passé abondamment traité ce sujet sur ce blog :

https://berdepas.com/2017/02/12/terra-nova-bien-plus-quun-think-tank/

Cette vision d’un monde nomade où le salut de chacun dépend de sa faculté à s’adapter et à capter, mieux que les autres, les opportunités disponibles est au cœur de l’idéologie progressiste.

Dans cette vision, il n’y a plus de place pour la quiétude et l’enracinement. La valeur de l’individu est mesurée à l’aune de sa propension à bouger et à changer de métier. Le nouveau monde est un monde de gens qui gagnent, en avançant au rythme des « Premiers de Cordée ». Un monde qui méprise les « identitaires »de tous bords….

C’est ce qui explique, aujourd’hui, la cassure entre la société des « somewhere« , c’est-à-dure de ceux qui sont enracinés quelque part, dans un lieu ou une culture et les « anywhere«  aptes à se mouvoir et à tirer opportunément parti de tous les environnements.

Le statut du « perdant » dans la vision progressiste du monde est celui d’un individu qui n’a pas su saisir sa chance et qui a résisté à l’injonction du changement. Ou de l’individu cramponné à ses racines, à sa culture, à ses traditions, à « son identité » !!!

Son « identité !!! Ce mot que les progressistes détestent !!! Et pourtant, les progressistes vont devoir regarder dans les yeux cet autre Européen, qui ne veut pas l’être selon les termes posés par Bruxelles, qui refuse l’altérité, qui ignore Erasmus et qui se dit prêt à mourir pour son pays. Car cet européen là, existe et n’est pas prêt à rendre les armes !!!

Cela explique le paradoxe qui veut que les gouvernements de gauche – pour qui l’identité est un concept creux et ont les culte de « l’altérité » – soient souvent plus impitoyables avec les perdants identitaires de la mondialisation que ceux de droite.

Pour Frank Thomas, le «yes we can» tant loué d’Obama n’est pas, comme on l’a cru souvent, seulement injonction volontariste visant à fixer une nouvelle frontière mais une obligation qui ne se discute pas.

Si vous ne pouvez pas, c’est que vous êtes un incapable, donc un perdant, et que vous ne méritez pas de faire partie du nouveau monde.

La montée en puissance des partis populistes découle largement de cette mutation de la gauche et le succès de Trump résulte indéniablement de la prise en compte de cette réalité. Et dans tout l’Occident, irrigué par les idées américaines, la montée en puissance des partis populistes découle largement de cette mutation de la gauche. 

À contre-courant  de l’élite du Parti Républicain qui pensait que tout se joue dans le domaine du combat culturel, et autour de la « morale chrétienne »,Trump avait compris qu’il fallait aussi réinvestir le domaine économique avec des propositions susceptibles d’intéresser les «rétros», telles que la réindustrialisation des États-Unis. D’où son discours en direction des agriculteurs, mais aussi des mineurs, ou des ouvriers de l’industrie automobile américaine, sinistrée par la « mondialisation ». D’où son succès auprès des bataillons de « laissés pour compte » de l »Amérique profonde, qui suscite l’incompréhension des classes privilégiées.

Thomas Frank nous explique aussi que les éléments-clefs mis en avant par les Démocrates centristes qui représentent l’élite d’aujourd’hui sont la méritocratie, l’expertise, le consensus, le multilatéralisme.

Ce genre de discours délaisse complètement les thèmes démocrates traditionnels qui s’adressaient aux travailleurs, aux syndicats, aux habitants des zones rurales, qui promettaient de défendre les Américains moyens contre les intérêts monopolistiques ; en bref, défendre le « petit peuple ».

Selon Thomas Frank, c’est ce changement chez les Démocrates qui pousse l’électorat populaire dans les bras des Républicains. Ce changement a commencé avec Bill Clinton, dont le mandat a été marqué par la signature de l’ALENA, le plus grand accord de libre-échange de l’histoire des États-Unis. Il aura un effet destructeur sur l’industrie du Midwest.

Selon Thomas Frank, c’est aussi sous Bill Clinton que la loi Glass-Steagall, qui régulait Wall Street depuis 1933, a été abrogée. Cette politique, à l’opposé de ce que défendaient les Démocrates depuis Franklin D. Roosevelt, était justifiée par des arguments rationnels : c’est-à-dire sur l’avis d’économistes et de banquiers, de techniciens de la politique et de l’économie.

Ainsi, le secrétaire du Trésor de 1995 à 1999, Robert Rubin, était un ancien membre du conseil d’administration de Goldman Sachs. Avoir un diplôme d’une université de l’Ivy League est une condition sine qua non pour être accepté au sein de cette élite, de même que croire dur comme fer à la loi du marché, à la dérégulation et au libre-échange. Et ce n’est pas un hasard si bon nombre de politiciens sociaus-démocrates ont fait leurs classes dans la Banque d’Affaires internationale.

La présidence de Barack Obama n’échappa pas à cette tendance. Les Démocrates se trouvaient, en 2008, dans une situation parfaite pour réformer l’économie en profondeur : ils contrôlaient le Congrès et la crise financière appelait à punir les responsables.

Mais plutôt que d’appliquer les lois anti-trusts et d’imposer des politiques de régulation à Wall Street, ils n’ont mis en place que de timides réformes. Selon Thomas Frank, cela s’explique par le fait que l’agenda démocrate était fixé par la « classe professionnelle » qu’il décrit, qui voit les régulations d’un mauvais œil et préfère appliquer les recommandations d’économistes : la présidence Obama a marqué l’avènement de la technocratie aux États-Unis et du pouvoir des Banques d’Affaires.

Pour les élites démocrates, les banquiers de Wall Street sont des personnes tout à fait recommandables : elles possèdent un diplôme prestigieux, donc elles savent ce qu’elles font, et se comportent de manière rationnelle. Ils constituent « l’oligarchie des sachants »…..

On comprend, à la lecture de Thomas Frank, que bien avant l’élection de Trump, tous les éléments étaient donc déjà présents pour sa victoire. De fait, c’est bien l’Amérique qui a cru en Obama qui a élu Trump.

L’Iowa, État agricole du Midwest, avait été gagné par Obama en 2008 avec neuf points d’avance ; en 2016, Trump l’a remporté avec une marge de dix points. Difficile d’accuser des personnes qui ont voté deux fois pour Obama d’avoir voté Trump par racisme ; et ce sont précisément ces électeurs qui ont voté pour Obama puis pour Trump qui lui ont permis de remporter l’élection, en gagnant des États qui n’avaient pas été remportés par les Républicains depuis 1988 comme le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie.

Mais plutôt que de remettre en question leur stratégie, dont ils sont persuadés qu’elle est la seule rationnelle, les élites Démocrates, comme le montre Thomas Frank, préfèrent analyser ce backlash comme une expression bêtement raciste.

Quand Hillary Clinton se vante d’avoir gagné des districts représentant les deux-tiers du PIB étasunien avant de qualifier ses électeurs d’« optimistes, divers, dynamiques, allant vers l’avant », en opposition à ceux de Trump décrits comme simplement « racistes et misogynes », elle représente parfaitement la vision qu’a l’élite démocrate de la situation électorale du moment.

Incapables de remettre en question leur vision technocratique de la politique, ils préfèrent analyser en termes manichéens tout ce qui ne va pas dans leur sens : les électeurs de Trump doivent être racistes et l’élection n’a pu qu’être truquée par la Russie !!!

A la lecture de Thomas Frank, on comprend tout !!!

On comprend qu’à la fin des années 1960, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche ( rooseveltien, conquérant, égalitaire ) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d’ouvriers et d’employés d’être rattrapés par plus déshérités qu’eux.Les « déshérités » étant de plus en plus ceux que l’immigration massive a jeté en pâture aux exploiteurs de la misère.

« C’est alors que la question de l’insécurité liée à l’immigration surgit. Elle va « caractériser l’identité de la gauche, perçue comme laxiste, soumise, efféminée, « intellectuelle, et prolétariser celle de la droite, jugée plus déterminée, plus virile, « moins « naïve ».

« Cette métamorphose s’accomplit à mesure que l’inflation resurgit, que les usines « ferment et que l' »élite », jadis associée aux grandes familles de l’industrie et de la « banque, devient identifiée à la « nouvelle gauche » surdiplômée, friande « d’innovations sociales, et à une grande tolérance au plan sexuel et racial.

« Les médias conservateurs n’ont donc plus qu’à se déchaîner contre une oligarchie « radical-chic » protégée d’une insécurité qu’elle conteste avec l’insouciance de ceux « que cette violence épargne. Au reste, n’est-elle pas entretenue dans ses « aveuglements par une ménagerie de juges laxistes, de « journaleux », d’intellectuels « jargonnants et autres boucs émissaires rêvés du ressentiment populaire ? « Progressistes en limousine » là-bas ; « gauche caviar » chez nous.( 1 )

C’est à ces bouleversements sociologiques que la jeune Droite Républicaine, en France, doit réfléchir en approfondissant sa réflexion sur un monde en perte de repères et qui, – je l’ai souvent dénoncé sur ce blog -, n’a jamais compris pourquoi ceux qui étaient élus sur un programme de gauche, en France, faisaient ensuite une politique libérale, et ceux qui avaient été élus sur un programme de droite, s’empressaient une fois élus, de faire une politique de clins d’œils à la gauche !!!

Au mépris de leur électorat et des citoyens de bon sens qui les avaient élus !!!

Les racines du populisme qui monte, en Occident, s’alimentent de ce mépris. Il est inutile d’aller les chercher ailleurs !!!

Dans le bouillonnement intellectuel contemporain, la droite Républicaine française a tous les ingrédients pour élaborer une vision alternative qui réveillerait l’esprit de conquête de notre économie tout en préservant les trésors de notre civilisation, de notre culture, de nos traditions, en régénérant son discours politique à la lumière des évolutions évoquées dans ce billet !!!!

( 1 ) – . Extrait de la préface au second livre de Thomas Frank:  » Pourquoi les pauvres votent à droite ».