Au début des années 70, un certain René-Victor Pilhes sortait un livre, intitulé » L’Imprécateur », qui eut un spectaculaire retentissement dans le Landerneau littéraire, et provoqua quelques remous dans le monde des Entreprises, dont certaines se sont senties concernées par le sujet évoqué dans ce livre.
Je crois même me souvenir qu’il avait obtenu le « Prix Fémina »….
J’ai, par hasard, exhumé ce livre, enfoui derrière une rangée de livres plus récents dans ma bibliothèque et je l’ai feuilleté, retrouvant avec surprise et émotion, – plus de 40 ans plus tard -, les commentaires et annotations que j’ai coutume d’inscrire pendant mes lectures, en marge, sur les pages ayant retenu mon attention.
A cette époque, j’étais en activité et occupais de lourdes fonctions dans un groupe bancaire de premier plan, et le sujet de ce livre ne pouvait pas me laisser indifférent…
L’auteur évoque, en effet, le cas d’une entreprise fictive, la « Rosserys & Mitchell », parmi les plus grandes entreprises du monde .
De mystérieux événements surviennent dans sa filiale française… Rapidement, la simple perturbation laisse place à la panique dans l’esprit des dirigeants, des principaux cadres et du personnel, car un « imprécateur » rôde, et dénonce le mépris glacial des dirigeants de la multinationale pour son personnel et par la même occasion met en lumière les mille petits travers, faiblesses, et magouilles des acteurs de cette entreprise, jusque là dissimulés par ce que les dirigeants avaient mis en place : une sorte d’Omerta, sous couvert de « protection de l’image de marque » de la maison, et d’une forme de « patriotisme « , véhiculés par la « culture d’Entreprise », qui imposait que l’on s’en tienne à un discours « politiquement correct », sous peine de passer pour un « traître à l’Entreprise »qui pouvait coûter cher, en termes de carrière.
En refermant ce livre, j’ai éprouvé un sentiment bizarre : rien n’a changé, car dans les sociétés actuelles, dont la « Roserys & Mitchell »serait une sorte de microcosme, il n’est pas facile d’être un imprécateur et d’évoquer des sujets qui, – sous la pression des forces « politiquement correctes », agissent notamment à travers des médias « aux ordres » – sont considérés comme des « Tabous »dangereux .
J’en ai, personnellement fait plus d’une fois l’expérience.
Ainsi, dans le monde où nous vivons, alors même que l’on n’éprouve aucune sympathie pour le personnage de Poutine, il n’est pas facile de faire partager l’idée que Poutine a hérité d’un empire soviétique en pleine décomposition, et qu’il a redonné à la Russie, asservie et éprouvée par plus d’un demi-siècle d’un Communisme criminel, une place – que pourtant on lui conteste – dans le concert des nations. Et que Poutine aura sa place dans l’Histoire de la Russie, et que nous avons tort de traiter par le mépris ce grand peuple qui possède tant d’affinités culturelles avec notre Europe, bien plus que n’en ont bien des peuples auxquels nous ouvrons largement nos portes, notamment lorsqu’ils fuient des dirigeants que nous traitons avec une soumission et des égards qu’ils ne méritent pas, et dont les méthodes de gouvernement sont infiniment plus critiquables que celles de Poutine…..
J’observe que ceux qui tiennent sur Poutine les propos les plus féroces, – sur le personnage lui-même, comme sur ses méthodes -, sont souvent ceux qui furent les plus discrets sur la période stalinienne, ses goulags et les menaces qu’elle fit peser sur l’Occident ….et qui ne seraient pas loin d’adopter des méthodes comparables, en « version soft »….
J’ai bien conscience du fait que ce que j’écris là, est loin d’être « politiquement correct » et peut s’assimiler chez certains, à une sorte « d’imprécation » !!!
De même, lorsque j’évoque le cas de Trump et de ses rapports à l’Occident.
J’ai parfaitement conscience du fait que le personnage de Trump n’inspire aucune sympathie. Mais il est le Président démocratiquement élu d’une grande nation à laquelle nous sommes loin d’être en mesure de donner des leçons de Démocratie.
Ce qui dérange notre petit monde « politiquement correct » qui baigne dans son autosatisfaction, c’est que Trump avec ses méthodes de gardien de vaches texan, renverse une table où les convives européens se bâfrent, selon lui, sur le dos de l’Amérique. Trump est convaincu de ce que ses alliés profitent de la générosité américaine pour se comporter en « passagers clandestins » et financer leurs systèmes sociaux sous couvert du parapluie militaire américain. Ils achètent, en quelque sorte, selon lui, leur « paix sociale » avec le fric des américains….
L’exemple le plus flagrant est celui de l’Allemagne dont la prospérité n’est pas due seulement à sa rigueur et à ses grandes aptitudes économiques : son refus des sacrifices budgétaires nécessaires à l’entretien d’une armée compétitive participe largement à son « respect des équilibres budgétaires » exigé par Bruxelles !!!
Trump ne peut pas être plus clair : « D’un point de vue commercial, ils profitent vraiment de nous », a-t-il répété, s’en prenant plus particulièrement à l’Allemagne, comme il l’a déjà fait auparavant. « Comme l’Allemagne a un accord sur un gazoduc avec la Russie, ils vont payer des milliards et des milliards de dollars par an pour l’énergie, et je dis que ce n’est pas bien, ce n’est pas juste. » « Vous êtes supposés vous battre pour quelqu’un et cette personne donne des milliards de dollars à une autre dont vous devez, en fait, vous prémunir, je pense que c’est ridicule ».( Cité par « le Point.fr » ).
A-t-il vraiment tort ???
En outre, j’ajoute que Trump est fidèle à une ligne « isolationniste » qui est celle qui a toujours inspiré le Parti Républicain. Il rejette la conception démocrate selon laquelle les relations internationales devraient reposer sur un « multilatéralisme » qui permet au petites nations de parler d’égal à égal avec les grandes.
Ceux qui l’ignorent ne se sont jamais beaucoup intéressés à l’Histoire des États-Unis….
Trump, lui, ne croit qu’aux « rapports de forces »et entend bien s’en servir pour défendre les « intérêts du Peuple américain ». Ce dont son électorat lui est reconnaissant.
Le fait d’énoncer cela est, en soi, une imprécation !!!
Ceux qui me trouvent complaisant à l’égard de Trump devraient se poser une question : Donald Trump est-il un accident de l’histoire, élu sur un concours de circonstances, ou est-il la manifestation de forces plus profondes qui traversent l’Amérique, et qui, d’ailleurs, ont leur équivalent en Europe ???
La vulgarité et la personnalité brutale de Trump, choque dans une Europe en voie de « dévirilisation » !!! Son parcours d’homme d’affaires enrichi, passé par la télé réalité, ainsi que son inexpérience gouvernementale, lui permettent de jeter un regard neuf et sans complaisance sur les « zélites » de Washington, et en font à coup sûr un animal politique sans précédent dans l’histoire américaine. Une sorte de »corps étranger » au sein de la camarilla de « gens bien élevés » du G7, qui avait déjà éliminé Poutine de ses agapes et ses bavardages.
Mais son impopularité orchestrée comme savent le faire les médias inféodés aux « zélites » doit être relativisée. Car le soutien fidèle de sa base électorale lui reste acquis malgré les tombereaux de critiques et d’attaques qui se déversent sur lui, y compris en Europe, où « l’intelligentsia »habituée à manier la « diabolisation »de tous ceux qui se trouvent en travers de sa route, et ne partagent pas ses « hautes convictions », n’est toujours pas guérie de son « Obamania » puis, de la défaite d’Hillary Clinton.
Une défaite qui est, en fait, la défaite par procuration de l’impressionnant complexe militaro-industriel qui vit depuis plus d’un demi-siècle, de la rente que constitue l’OTAN qui entretient une menace qui n’existe plus que dans l’imaginaire de quelques crétins, qui n’ont pas encore compris que, pour l’Occident, la menace ne vient plus de l’Est mais du Sud….
Traiter Donald Trump comme une aberration historique qui serait suivie bientôt par un retour à « la normale » serait une erreur majeure de la part des Européens, qui n’ont pas encore compris que le nouvel état du monde nécessite la mise à jour de leur logiciel diplomatique, et qu’un début d’accord entre Trump et Poutine le rendrait complètement obsolète.
Cet « optimisme » serait aggravé par la nouvelle donne politique aux États Unis, où le Parti Démocrate, profondément divisé et durablement décrédibilisé peine à faire émerger de nouvelles personnalités. Concentré sur la diabolisation de Trump, le message politique de ce Parti n’est plus audible .
Car, sous Trump, l’économie américaine se porte bien, et le Dow Jones n’a jamais été aussi haut, alors que le chômage n’a jamais été aussi bas. De nombreux États américains, qui se considéraient comme sacrifiés sous Obama, reprennent confiance en leur avenir.
La réélection de Trump en 2020 n’est donc pas du tout à exclure ; mais l’enjeu va bien au-delà.
Tout d’abord, l’Amérique traverse une période de questionnement profond sur son leadership international et les objectifs de sa politique étrangère, conséquence tardive de la fin de la Guerre Froide qui l’a privée d’adversaire clair et donc de continuité stratégique.
Ce questionnement n’épargne pas l’OTAN, ce qui explique les récents « échanges musclés » avec les Européens sur ce sujet.
Ce qui surprend, c’est la « surprise » des européens qui auraient dû s’attendre, depuis longtemps, à une telle remise en question : Obama l’avait déjà clairement laissé entendre quand il était au pouvoir : l’avenir de l’Amérique, c’est de se tourner vers l’Asie et ses immenses potentialités, et non vers une Europe sur le déclin, dont le navire prend l’eau de toute part….
Les Européens doivent donc se préparer, durablement, à une Amérique distante voire hostile. L’Europe doit admettre que son modèle de multilatéralisme et de coopération internationale a du plomb dans l’aile !!! Il n’y a que les européens qui n’ont jamais voyagé dans le monde, pour croire que « les Valeurs » qu’ils revendiquent sont « Universelles » !!! La montée des « populismes » en Occident devrait inciter à la réflexion, bien plus qu’à l’invective …..
Cette remise en question implique un retour à un ordre mondial plus cohérent, en cessant de faire semblant de croire que l’ONU puisse continuer à jouer le rôle d’un « arbitre impartial » des différents entre Nations et veiller au respect de nos sacro-saints « Droits de l’Homme », surtout quand on sait que la Commission en charge de ces questions sensibles, majoritairement représentée par des Africains dont on sait l’immense respect pour ces « valeurs », a été longtemps présidée par un Prince du Golfe…..
Cette remise en question implique également la nécessité de réviser, à l’échelle européenne, nos politiques de Défense, de protection de nos frontières, et de la sécurité de nos concitoyens menacée durablement par un terrorisme devenu endémique : la crise syrienne, avec ses conséquences sur l’Union Européenne confrontée à une arrivée massive de réfugiés, et l’émergence d’un islamisme conquérant, aurait dû servir de réveil stratégique. Or, la posture européenne s’est essentiellement limitée, jusqu’ici, à espérer, par le déni, échapper aux nouveaux dangers qui menacent nos sociétés et à compter sur la protection américaine hors des frontières de l’Europe.
La France, et plus encore l’Union européenne, restent attachées à une vision irénique du monde, celle des fameux « dividendes de la paix », qui a anesthésié les esprits depuis 1989. L’Union européenne, par construction, est incapable de penser la conflictualité. Son ADN est celui du commerce, du droit, des rapports internationaux de coopération. L’Union européenne n’a pas d’ennemis : elle n’a que des partenaires commerciaux – du moins le croit-elle.
L’Union européenne a pour ambition d’être au monde ce que le Liban est à la méditerranée : un docile continent de commerçants qui ne menace personne, mais qui sera sans cesse menacé. Elle ne conçoit pas qu’elle puisse devenir une proie, dont les richesses et le passé conquérant suscitent des désirs de conquête, voire de revanches…
Elle le découvrira bientôt, à son détriment.
Dans ce contexte, l’attitude de Donald Trump est salutaire, car elle a le mérite de secouer les consciences endormies par un demi-siècle de discours lénifiants.
L’Europe est au pied du mur ; et Trump n’hésitera pas à exploiter les faiblesses et les divisions européennes. Tout cela est « choquant » pour les chroniqueurs « bisounours », et surtout pour ceux qui ont en main les destinées de ce Continent.
Ils trouveront , une fois de plus, que mon propos éloigné des discours « mean stream » est un propos « d’imprécateur. »
Au risque de « faire de la peine » aux « angélistes »….
Mais j’assume !!!
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