L’homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
Rien de mieux, pour fuir une actualité décevante, que de se réfugier dans la Littérature dont les mots traversent le Temps, ce Temps qui fuit, et dont chaque minute devient précieuse à qui sait que la vie est courte….
La littérature nous aide à oublier les misères du quotidien.
La semaine dernière, errant une fois de plus, à travers les rayons de la grande Librairie « Filigranes » de Bruxelles, je tombe en arrêt devant un livre que j’ai dû lire une bonne dizaine de fois, à l’époque où, passionné de pêche et de chasse sous-marine, je dévorais tout ce qui, en littérature, avait trait aux choses de la Mer.
« Le vieil homme et la mer », ce petit chef-d’œuvre d’Hemingway me tendait les bras et m’invitait à plonger, encore une fois – peut-être la dernière pour moi – dans la lecture de la prose de cet auteur dont l’œuvre sait si bien évoquer la dimension tragique de l’héroïsme dans certaines circonstances de la vie humaine.
J’ai toujours aimé lire ceux qui savent de quoi ils parlent….C’est le cas d’Hemingway qui a toujours vécu dangereusement….
Le vieil homme que je suis devenu retrouve à la lecture de cet ouvrage, des émotions qu’il a connues, plus jeune, lorsque seul sur son bateau il attendait que « ça morde », et remontait sa palangrotte, le cœur battant, impatient de savoir quel était le malheureux poisson qui frétillait pour tenter de décrocher l’hameçon qu’il avait imprudemment avalé, dans l’espoir d’échapper à la friture….
Mais « Le vieil homme et la mer » n’est pas qu’un simple histoire de pêche !!!.
C’est l’histoire d’un vieux pêcheur malchanceux, qui revient trop souvent bredouille, jusqu’au jour où aux prises avec un énorme marlin, il rencontrera pour une courte durée, et après un combat héroïque, la chance de sentir que l’énorme poisson a mordu l’hameçon . Une chance de courte durée car le marlin, trop gros pour être remonté à bord du petit bateau, sera dévoré, sur le chemin du retour par les requins qui rodaient dans les parages….
C’est aussi l’histoire de l’amitié entre le vieux pêcheur et un enfant à qui il a tout appris de la pêche, racontée avec beaucoup de sensibilité et des mots justes par un Hemingway au sommet de son art de conteur.
A une heure avancée de la nuit, et au moment de refermer ce petit livre de 141 pages, je sentais que le sommeil m’envahissait.
En fermant les yeux, je me suis revu enfant.
Mon père avait, en Algérie, pour copain un certain Mr Martinez, qui tenait à Francis Garnier, un tout petit village de bord de mer, sur la route de Ténès, une petite auberge, très modeste: il n’y avait que deux chambres équipées chacune d’un vieux lit de deux étagères et d’un lavabo.
Pour me récompenser d’avoir réussi au BEPC, mon père m’avait offert une semaine de vacances dans cette auberge me laissant aux bons soins de Mr Martinez, un petit vieux tout voûté, et de son épouse, une brave femme pleine de gentillesse et d’attention pour le gamin de 14 ans que j’étais.
La spécialité de la table de cette auberge, c’était le poisson frais que Mr Martinez ramenait de sa pêche tous les jours, à bord de sa « pastera », un bateau pointu, qui n’avançait qu’à coups de rames.
Pendant mes huit jours de vacances, je fus, tous les matins, celui qui devait ramer jusque sur les lieux de pêche, c’est à dire pendant une bonne heure et autant au retour. Le vieil homme m’encourageait tout en mâchonnant un petit bout de bois qu’il promenait d’un bord à l’autre de sa bouche moustachue.
Avec lui, j’ai appris à « monter une palangrotte », à amorcer un palangre composé de centaines d’hameçons, et à « caler des filets »….
Partis au lever du jour, nous revenions sur le coup de 11 heures avec deux corbeilles de vigneron remplies de dorades roses, de sarres aux couleurs d’acier, de rascasses rouges aux dards dangereux, d’oblades grises avec leur tache noire sur la nageoire codale, et surtout de pageots dodus qui frétillaient encore en arrivant à l’auberge….
Les mains douloureuses en raison des ampoules encore saignantes, je me jetais sur le verre de menthe à l’eau glacée, épuisé mais heureux, conscient d’avoir été initié aux vieux secrets de la pêche par ce vieil homme usé par le temps, au visage buriné par les embruns, le sel et le soleil, dont la pêche était le gagne pain et la mer, le seul horizon. Mais quel horizon !!!
Le vieil homme que je suis n’a jamais oublié ces moments là. Et c’est sans doute à ces moments que je dois l’affection particulière que j’ai depuis toujours pour le personnage d’Hemingway.
j » aime ce que vous écrivez ,,,encore MERCI…..
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