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 Mon Prince,
Lord Salisbury est arrivé à Paris sous l’empire d’un profond dé­ couragement et avec la quasi conviction que les négociations auxquelles il allait prendre part ne pouvaient aboutir qu’à la guerre entre la Grande Bretagne et nous.
La lecture du télégramme que Votre Altesse avait bien voulu m’adresser le 8/20 Novembre, et dont j’avais laissé copie au Duc De­ cazes a opéré un complet revirement dans la manière de voir du ministre anglais. Il a quitté Paris avec le ferme espoir d’arriver à une solution pacifique à Constantinople.
Le Duc Decazes et Lord Salisbury ont passé plus de trois heures ensemble. Relativement à la question de l'autonomie administrative, le ministre anglais parait disposé aux réformes les plus larges. Il voudrait notamment l’institution de tribunaux locaux composés de chrétiens non sujets de la Porte et qui auraient à leur disposition une police formée également d’étrangers. Au-dessus de ces tribunaux locaux il existerait à Constantinople une haute Cour de justice, dont l’idée primitive appar­ tient au Duc Decazes et qui serait composée de douze juges chrétiens désignés par les Puissances et de six musulmans nommés par le Sultan.
Vous remarquerez, mon Prince, combien il y a peu de terrain à franchir pour substituter à la police étrangère armée, une occupation militaire restreinte.
Le Duc Decazes a parlé dans ce sens à Lord Salisbury. Ce dernier repousse avec terreur l’occupation russe isolée, mais il admettrait l’idée du Duc Decazes qui serait de déléguer à la Russie le soin d’occuper la Bulgarie, à l'Autriche d’entrer en Bosnie et en Herzégovine et aux Anglais la tâche d’occuper la Macédoine.
Lord Salisbury a demandé à Decazes si la France ne s’associerait pas à une semblable action combinée, mais le ministre français a dé­ claré que son Gouvernement déclinait d’avance toute participation à des démonstrations ou occupations armées quel qu’en fût le but.
Lord Salisbury est convenu qu’une occupation collective était un moyen de sauvegarder la paix, mais il est revenu plusieurs fois sur l’idée de la police armée étrangère, qui pourrait être confiée à des Belges, des Hollandais ou à des Suisses.
Je le répète: il n’y a qu’un pas à faire pour fusionner l’idée de la police armée avec celle de l’occupation collective.
Le Maréchal Mac Mahon a parlé à Lord Salisbury avec beaucoup d’énergie en faveur de la conservation de la paix. Il a gardé l’impression que Lord Salisbury était animé d’intentions très conciliantes, mais qu'il fallait soigneusement éviter de le mettre au pied du mur par des con­ ditions sine qua non.
Je partage entièrement cette opinion en me basant sur le télé­ gramme de Votre Altesse, mentionné plus haut, et qui est le meilleur et le plus habile programme de notre politique.
АВПР, K-91. Orloff 736























































































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