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Mon Prince,
La mission du Dr Kétchet à Cettigné a été ébruitée par la presse autrichienne. Dès le 4. Février n.s. la »Tagblatt« de Vienne et la »Poli- tik« de Prague publiaient des télégrammes de Raguse annonçant que la Porte proposait au Prince de Monténégro, comme prix de son con cours pacificateur, — la cession de Baniany et de Zoubtzi, ainsi que du port de Spitza et la reconnaissance officielle de son indépendance.
Je pris occasion de cette publicité pour demander au Ministre des Affaires Etrangères d’Autriche ce qu’il pensait des négociations turco- monténégrines et quelle attitude il croirait devoir adopter éventuellement à leur égard.
Le Cte Andrâssy me répondit qu’il en avait été instruit par la voie des journaux et par les rapports du Bon de Roditch. En tout cas, selon lui, les Puissances, après avoir formulé à Constantinople un projet de réformes dont l’acceptation par la Porte entraînerait pour Elles l’obli gation de contribuer à l’oeuvre d’apaisement, ne pouvaient pas y ajouter après coup de nouvelles conditions.
Je répondis que je ne contestais pas la valeur de cet argument, mais qu’il s’ y agissait avant tout d’une solution pratique des difficultés. Si la Porte, se pénétrant spontanément de l'impossibilité d’établir une paix durable sans avoir arrangé un modus vivendi avec le Monténégro, en posait les bases indépendamment et à côté de son action vis-à-vis des Puissances, — celles-ci pourraient-elles y porter obstacle.
La réponse du Ministre me prouva combien, le cas échéant, il y serait contraire.
»D’abord — me dit-il, — ces pourparlers de Cettigné ne sauraient être pris au sérieux. Les Turcs et les Monténégrins jouent réciproque ment au plus fin. Je comprendrais que la Porte voulût éluder tout paie ment du prix de la pacification, mais je n’admets pas qu’elle veuille payer double«.
»Et si par extraordinaire elle le faisait, c’est nous qui en porte rions les conséquences. Elle aurait lancé une prime d’encouragement aux Roumains — pour réclamer leur indépendance, aux Serbes — pour exiger au moins le petit Zvomik, à toutes les populations Chrétiennes — pour se faire payer des pots-de-vin politiques. Au lieu de la paix ce serait l'insurrection qui s’érigerait en permanence sur nos frontières. Nous aurions travaillé en vain depuis des mois.«
»D’ailleurs si, dans le moment actuel, le Monténégro arrivait, lui aussi, avec sa petite solution, les autres Puissances, l’Angleterre surtout, la mettraient sans faute sur le compte d’une instigation étrangère et — ajouta-t-dl avec un sourire — entre l’Autriche et la Russie, je n'ai pas besoin de Vous dire de quel côté se porteraient ses défiances«.
N’osant pas préjuger les volontés de la Sa Majesté l’Empereur, je me suis abstenu de discuter cette question avec le Cte Andrâssy tout en constatant in petto ses dispositions peu favorables pour les voeux sé paratistes du Monténégro.
АВПР, K-126. Novikow 68