Page 72 - index
P. 72

 Telles sont, mon Prince, les raisons pour lesquelles, dans mon télé­ gramme du 27. janvier, je me suis permis d’exprimer l’avis qu’il serait chanceux pour nous d’assumer la solidarité du projet de Cettigné suggérée par le télégramme de Mr Jonine. Dans mon humble opinion, nous réus­ sirions difficilement à lever les défiances de l’Europe contre le Monté­ négro: nous risquerions plutôt de les partager avec lui.
Et tout cela dans l’hypothèse que la Porte favoriserait le plan en question; que serait-ce si ce n’était qu’un piège?
J’en ai déjà émis précédemment l’appréhension et je m'y sens confirmé de plus en plus par les événemens (sic!) Si la Porte est de bonne foi dans son désir d’accommodement avec la Montagne Noire, pourquoi ne l’a t-elle pas activé il y a quelques mois, lorsque Server-Pacha et Constan-Effendi en ont eu la première idée? Pourquoi le fait-elle coïn­ cider avec une action déjà très avancée de l’Europe à Constantinople lorsqu’il ne peut servir que de double emploi? Pourquoi n’agit-elle pas visière haute et par ses organes accrédités, au lieu d’y employer des instrumens (sic!) obscurs, comme le Dr Kétchet qui, d’après les nouvelles arrivées ici, son Ministre des Affaires Etrangères désavoue déjà? Pour­ quoi enfin son Consui Général à Raguse ébruite-t-il les négociations de Cettigné dans des termes désobligeans (sic!) pour la dignité du Prince Ni­ colas?
Les Turcs peuvent avoir leur intérêt à jouer double jeu et à mener de front, pour influencer l'une par l’autre, une négociation avec l'Europe et un a parte (sic!) avec le Monténégro. S’ils n’y gagnent pas autre chose, ils auront réussi du moins à compromettre le Prince Nicolas devant les Puissances comme le chef moral de l'insurrection, à lui imputer aux yeux des Chrétiens l’odium d’une prétendue trahison de leur cause, enfin à jeter une pomme de discorde entre la Russie et l’Autriche.
Ce ne serait pas la première fois que la Porte s'essaierait à ce jeu. Lorsqu’il y a quelques semains (sic!) elle posait aux Ambassadeurs la de­ mande d'une occupation éventuelle du Monténégro, j'y soupçonnais déjà l'arrière-pensée de vouloir désunir les deux Cabinets Impériaux. Peut- être l’espère-t-elle encore en passant brusquement à l’extrême contraire, des menaces aux avances.
Raison de plus pour ne pas lui accorder cette satisfaction.
Quelle est, en effet, la nuance d’appréciation qui nous sépare de l’Autriche sur ce terrain, Votre Altesse en a exclu des motifs d’amour- propre personnel de la part du Comte Andrâssy. Mais il resterait des considérations de de (sic!) dignité bien entendue. A quoi, en effet, aurait servi l’appareil diplomatique mis en scène avec tant d’efforts depuis le mois d’Août, si l’apaisement était dû en dernier ressort au Prince Ni­ colas qui l'effectuerait pour ainsi dire par surprise et en un tour de main? Ce serait un témoignage d’impuissance pour l’Europe entière, mais surtout pour l’Autriche-Hongrie à laquelle incombe principalement la partie exécutive du programme de pacification. Sans parler des Slaves de la Monarchie qui ne verraient pas plus volontiers que les Hongrois, une modification du status quo territorial de la Turquie au profit d’au­ trui sans compensation pour eux.
70



























































































   70   71   72   73   74