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 déchaînées dans le pays. J'ai répliqué au Grand Vézir que si même il ne s’était pas prêté aux menées de Midhat Pacha, il était tout de même responsable de les avoir tolérées par faiblesse, car celui qui laisse com­ mettre un crime sans s’y opposer, assume une forte dose de complicité. Cependant Mehmed Ruchdi Pacha a voulu me persuader que le prestige de l’autorité ne pouvait être relevé que progressivement et qu’il lui fal­ lait à cet effet pouvoir obtenir quelques concessions de la Russie, afin de rehausser aux yeux du public les avantages d’une politique conser­ vatrice. J’ai répondu naturellement que la faculté de prolonger un ar­ mistice de 6 semaines, déjà parfaitement suffisant en lui-même, était une concession dont la Porte devait tenir compte.
5. Pour m'impressionner davantage, le Grand Vézir m’a repré­ senté que notre résistance aurait pour résultat infaillible l’écroulement de l’Empire Ottoman, qui ne saurait nous profiter en ce moment, car c’est l’Angleterre et l’Autriche-Hongrie qui en profiteraient plutôt que la Russie; il ne pourrait que favoriser l’établissement des Principautés indépendantes qui subiraient nécessairement l’influence de l’Occident. S. A. se rabattit sur son argument favori de la nécessité pour la Russie de protéger le tout. Passant ensuite d'un ton attendri, humble et rompant à la menace, Mehmed Ruchdi Pacha me fit le tableau de l’excitation des esprits parmi les Musulmans, excitation qui pouvait aboutir à la procla­ mation de la guerre sainte, ayant pour objet l’extermination des Chré­ tiens. Dans cette triste éventualité personne ne serait en état de résister au courant national; le Sultan lui-même et ses Ministres ne se trouve­ raient plus en sûreté. Encore moins pourrait-on répondre du sort des Chrétiens tant dans l’intérieur que dans la capitale, tandis que le public Musulman garderait contre moi personnellement un profond ressenti­ ment; et si les projets d’annexion de la Bosnie et (sic! вероватно: à) l'Autriche étaient dénoncés au public, les Musulmans de cette province ne pourraient plus être arrêtés dans leur soif de vengeance sur leurs frères Chrétiens. Des pétitions au Sultan protestant contre toute modi­ fication du status quo circuleraient déjà, au dire du Grand Vézir parmi les habitans (sic!) de la Bosnie.
6. Les autonomies des provinces Slaves ont aussi été effleurées par nous. Mehmed Rushdi ne me dissimula pas l’aversion que ce projet inspirait au peuple. Il n’y aurait pas de Ministre, selon lui, qui pût y souscrire, dans l’état où se trouve actuellement l’excitation des esprits en Turquie. Déjà maintenant bien des énergumènes prêcheraient au Conseil l'opportunité de tout refuser à l’Europe et d’affronter une guerre générale plutôt que de consentir à un suicide volontaire.
7. Enfin, j’ai pu m’apercevoir que notre divergence portait non seulement sur la durée de l’armistice, mais aussi sur son application. Selon la théorie turque, la Serbie et le Monténégro devaient seuls être compris dans la trêve projetée. Quant aux insurgés de la Bosnie et de l'Herzégovine on les poursuivrait, comme des brigands, dès qu’ils pa­ raîtraient dans le pays. J'ai mis près de 2 heures à convaincre le Grand Vézir de la nécessité de laisser l’expression de mon projet primitif »sur tout le théâtre des hostilités« — au lieu du terme restrictif »en Serbie et au Monténégro« que voulait introduire la Porte. J’ai réussi enfin à l’impressionner en lui démontrant que si son idée était admise tous les
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