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 Mon Prince,
Si d’après la formule Anglo-Italienne toutes les Grandes Puissances dégageaient leur responsabilité dans les évènements (sic!) à venir en Turquie, la Porte se trouverait au comble de ses voeux, car personne n’interviendrait plus entre elle et ses sujets chrétiens.
Votre Altesse l’a dit: il ne suffit pas de conseiller aux Turcs des mesures à prendre, il faut les leur imposer par la volonté unanime de l’Europe.
C’est également l’avis du Ministre des Affaires Etrangères d'Au­ triche. Il pense que lorsque les six Cabinets auront discuté et fixé entr’eux les bases de la paix, il s’agira de les faire valoir à Constantinople de la manière la plus catégorique et de ne pas se laisser éconduire par les refus du Gouv' Turc.
Sur ma demande s'il irait, dans ce cas, jusqu’à recourir aux moyens coercitifs, il me dit qu’il lui serait difficile d’engager sa parole avant de savoir ce que feraient les autres Puissances, mais qu’il lui semblait en effet qu’il ne resterait plus alors que l’emploie de la force.
C’est en pleine connaissance de la gravité de cette prévision que le Cte Andrâssy voudrait faire aux Turcs des conditions assez modérées pour qu’il leur fût possible de les accepter.
A cet effet il a rédigé, dans l’ordre d’idées de son aide-mémoire confié à Mr de Mayr, un projet de bases qu’il compte proposer à l’accep­ tation des cinq Grandes Puissances dans le cas où elles obtiendraient l'assentiment préalable des Cours Impériales de Russie et d'Allemagne.
Autant que je puis en juger par la lecture d’une première ébauche de cette pièce, elle stipulerait:
Pour la Serbie — le maintien de son intégrité territoriale, l’absence de garnisons turques dans les forteresses, la construction et l’exploita­ tion du chemin de fer de Belgrade-Alexinatz par le Gouv' Serbe. Toutes les demandes onéreuses de la Porte seraient exclues, y compris la contri­ bution de guerre; la Serbie s’engagerait seulement à indemniser les villages brûlés par ses troupes sur le territoire turc, — condition à laquel­ le, selon les informations qu’on possède à Vienne, le Cab' de Belgrade se prêterait sans trop de difficultés.
Pour le Monténégro — une rectification de frontières en sa faveur moyennant une Commission internationale;
Pour la Bosnie et l’Herzégovine — les réformes déjà promises par le Gouv' Turc et entourées de garanties;
Enfin, comme sécurité contre le renouvellement des atrocités com­ mises en Bulgarie, — la dissolution du corps des bachi-bouzouks et l’engagement de n’employer dans cette province, en temps de paix, que des troupes régulières.
Sans entrer dans un débat contradictoire sur les points en question, — d’ailleurs susceptibles de modifications sous la plume même du Mini­ stre des Affaires Etrangères, — je lui fis observer sur quelle faible base reposait celui relatif à la Bulgarie. La Porte ferait semblant de l’accepter et renoncerait volontiers à un nom odieux, sauf à garder l’institution. Déjà les feuilles musulmanes de Constantinople faisaient pressentir ce travestissement sur un ton d’ironie dédaigneuse à l’égard de l’Europe.
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