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battaient pas seulement contre les troupes ottomanes mais qu’ils avaient encore pour ennemis les propriétaires musulmans, tous armés, et qu’un massacre des chrétiens ne devait pas être exclu du domaine des éven tualités possibles. Il fallait que, le cas échéant, les chrétiens ne fussent pas sans défense et c’est dans cette prévision qu’on leur permettait de passer la frontière, non en masse, mais en petits groupes et isolément pour se procurer des engins de guerre.
On le voit — me fit observer Andrâssy — le plus ou moins de fa cilités accordées jusqu’ici aux insurgés dépendait de nuances d’exé cution et il ne s’agirait dans la suite que d’appliquer avec plus de rigueur la prohibition déjà existante de l’introduction des armes.
Enfin, la troisième partie, et la plus difficile, de notre tâche paci ficatrice serait celle qui concerne la Serbie et le Monténégro.
Le Ministre me répéta que les deux Princes semblaient s’être dé partis dans ce dernier temps de leur attitude de prudente expectative. Celui de Serbie ne dissimulait plus aux agents étrangers la nécessité dans laquelle il se troverait placé de marcher de l’avant si l’Europe ne parvenait pas à imposer ses voiontés aux deux parties intéressées, et la conduite du Pcc Nicolas commençait à devenir suspecte au Général Ro- dich lui-même.
Or, ayant associé les autres Puissances à leur démarche à Constanti nople, la Russie et l’Autriche avaient assumé jusqu’à un certain point l’engagement moral de vouer tous leurs efforts à la pacification, engage ment qu’elles devaient faire respecter aussi par les deux Principautés.
Il faudra donc, en leur communiquant le résultat des négociations de Constantinople, ies inviter à conformer leur action à celle des Puis sances. L’Autriche fera cesser simultanément la subvention qu’elle fait parvenir au Monténégro pour l’entretien des familles réfugiées sur son territoire et qui, elles aussi, n’auront plus qu’à regagner æurs foyers.
Voulant pénétrer plus avant dans la pensée intime de mon inter- gocuteur, je lui dis que, sous ce dernier rapport, la position du Monté négro était bien plus pénible que celle de la Serbie. Non seulement les chrétiens abrités dans la Montagne Noire était plus nombreux que ceux qui jouissaient de l'hospitalité serbe, mais ils avaient encore avec leur partie d’adoption une plus grande affinité matérielle et morale. Il n'en serait que plus difficile au P“ Nicolas de renvoyer de ses Etats une po pulation qui ne se distinguait en rien de ses propres sujets. Et quant aux Puissances amies, si le Gouvernement Austro-Hongrois pouvait à bon droit faire cesser les secours d’argent qu’il octroyait au Monténégro de ses propres moyens, le Cabinet Impérial pouvait-il intervenir pour tarir la source de la bienfaisance privée qui, vu nos sympathies nationales envers le Monténégro, y faisait affluer des dons volontaires pour l’entre tien des familles chrétiennes? C’est ainsi que ia question d’humanité,
s’engrenant dans la politique, en rendait les problèmes encore plus ardus.
»Et cependant, répliqua le Ministre, — il n’en faut pas moins que les famides réunies dans le Monténégro n’y soient pas retenues par l’effet d’un calcul du Prince qui tendrait à les conserver comme gages de la durée persistante de l'insurrection, car si elles y perpétuaient leur séjour, on ne serait jamais garanti contre une reprise du mouvement et tous nos efforts auraient été vains. L’Autriche, elle-aussi, a des sym-
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