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»Ce n’est pas pour rentrer dans une question irritante«, — ai-je dit au Ministre des Affaires Etrangères, — »mais pour faire appel à Vos sentiments d’équité que j’aurais à Vous formuler une observation. Si Vous tenez à rester neutres dans une lutte éventuelle des Turcs avec les Etats autonomes voisins, comment pourrez Vous concilier la clôture hermétique de Votre frontière du côté des Serbes, — clôture préconisée par la presse des deux moitiés de la Monarchie, — avec la latitude pour les Turcs d’utiliser Klek (напомена на маргини: c’est cela) — latitude que, dans un télégramme adressé au Comte Zichy lors des dispositions agressives de l’ancien Sultan contre le Monténégro, Vous avez reconnu Vous-même n’être pas entièrement conforme aux devoirs de la neutralité?«
Le Ministre me répondit qu’il n'était pas question de fermer hermétiquement la frontière austro-serbe et que. quant à Klek, dans le cas d’une guerre, il appartiendrait au Gouv* Impérial et Royal d’aviser de sa propre initiative aux mesures qu’il y aurait à prendre.
Continuant dans le même ordre d’idées, je fis observer à mon interlocuteur que s’il attachait du prix au programme confidentiel de Berlin, il devait en assurer les moyens d’exécution. Ce programme ne pouvait devenir une réalité que si les Chrétiens n’étaient pas battus; il était donc de l’intérêt de l’Autriche de maintenir à leur égard une neutralité bienveillante.
C’était également, lui dis-je, le meilleur moyen de garantir l’intégrité de l’entente Austro-Russe contre tous les hasards de l’avenir. Quels que fussent les torts que les Serbes ont eus envers nous en désobéissant à nos conseils de prudence, le jour où ils en viendraient aux mains avec la Turquie, la conscience publique en Russie ne s’en pro noncera pas moins en leur faveur, tous ses voeux et ses sympathies seront acquis aux succès militaires de la cause Chrétienne.
Le Cte Andrâssy me répondit par une profession de foi, personnelle et intime il est vrai, mais d'autant plus digne d’être placée sous les yeux de Votre Majesté Impériale.
»Les évènements (sic!), me dit-il, auront à prononcer entre le gentiment public qui se fait jour chez Vous et les courants opposés qui dominent ici. S’il faut en juger d’après les indices, ce sera le Votre (sic!) qui aura lieu d’être satisfait. Le Général Tchernïaew a une réputation militaire établie et le commandant en chef Turc, Abdul-Kerim-Pacha est un vieux qui certes ne fera pas trop de mal à l’ennemi. Une fois sur la pente, les destinées de la Turquie se dévideraient rapidement et, bien qu’à la vérité les Serbes méritent de se voir infligée par les Turcs une leçon salutaire, j’avoue pour ma part, qu’au point où en sont venues les choses, la meilleure solution, celle qui nous épargnerait les tiraillements de la question d'Orient, serait peut-être que les Turcs fussent mis hors de l’Europe«.
»Mais je me hâte d'ajouter que la décision dépend de la fortune des armes et que nous ne ferons rien pour accélérer le chute de l’Empire Ottoman. Le Gouv1 Austro-Hongrois a soutenu les Chrétiens dans la mesure du possible, il ne saurait en faire davantage. Il leur a fait part des armes en quantité supérieure à celle que les Turcs ont obtenu par le port de Klek, et les Serbes eux-mêmes lui ont décerné des actions de grâces pour la généreuse hospitalité qu’il a accordée à leurs frères
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