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 Mon Prince,
Dans un moment où la Russie et l’Autriche-Hongrie travaillent sans relâche à maintenir leur action diplomatique en accord vis-à-vis de la crise menaçante de l’Orient, ces puissances occultes du mal dont me parlait dernièrement le Cte Andrâssy, redoublent d’efforts pour jeter la désunion entre les deux Empires.
Une tentative plus osée que les précédentes en a été faite récem­ ment par de prétendues révélations insérées dans le »Mémorial diploma­ tique« du 8. Avril n. st.
Sous le titre: »Les origines de la question de l’Herzégovine«, la feuille de Paris publie une série de dépêches adressées en 1870 par l’ex- Ambassadeur de Turquie à Vienne Khalil bey à son Gouvernement. Je me fais un devoir de placer ci-joint sous les yeux de Votre Altesse ces documents que »le Mémorial« dit avoir empruntés au journal »Rome«.
Khalil bey commence par transmettre au Grand Vizir la copie de deux télégrammes secrets soi-disant échangés entre l’Ambassade Impé­ riale à Vienne et notre Consul à Raguse pour activer les armements du Monténégro et le soulèvement des provinces ottomanes voisines. Il relate ensuite ses premiers entretiens politiques avec le C,e de Beust, alors Chan­ celier austro-hongrois et le Cle Andrâssy, alors Ministre Président à Pesth. L’impression causée par la lecture de ces pièces est que dans les senti­ ments qu’il a professés à notre égard, M. de Beust a été un modèle de modération comparativement au Ministre des Affaires Etrangères. Le Cte Andrâssy figure dans les confidences de Khalil Chérif comme le mau­ vais génie de la Russie, comme un foudre de guerre prêt à reconstituer contre elle une alliance européenne et à faire marcher 800,/mille hommes d’excellentes troupes autrichiennes avec 500./mill soldats musulmans pour reconquérir sur nous les ci-devant possessions turques sur la Mer Doire et reconstituer la Pologne.
Le C,e Andrâssy croit à l’authenticité de ces dépêches sans pouvoir se rendre compte du canal par lequel elles ont pénétré dans la publicité. On y reconnait, selon lui, toute la légèreté et toute la puissance d’imagi­ nation de Khalil pacha, attendu que les neuf dixièmes de leur contenu sont ou erronés ou enjolivés, surtout en ce qui a trait aux Polonais. Quant à son attitude dans la question de la Mer Noir, le Ministre m’a fait observer qu’il ne nous en avait pas fait mystère et que sans nul doute j’avais été dans le cas de la signaler dans le temps à mon Gouvernement.
Pour ce qui est des télégrammes échangés entre Jonine et moi en 1870, j’a à peine besoin d’ajouter qu’ils sont entièrement apocryphes. Aussi bien les faits que les noms et les dates qui y sont mentionnés sont de pure fiction. J’y reconnais la touche de cette association de faussaires polonais ou juifs qui vers cette époque faisaient la ronde des Ambas­ sades étrangères à Vienne et, plus tard, à Constantinople pour se faire payer, surtout par les nouveaux arrivants, des pièces fabriquées.
En consultant les dossiers de l’année 1870., je n’y trouve qu’un té­ légramme de Votre Altesse du 10./22. Septembre, transmis textuellement à notre Consul à Raguse, télégramme qui signalait comme intempestif l'envoi à Cettigné d’un messager de la régence serbe, porteur d’un projet de convention militaire, et recommandait à M. Jonine de s’abstenir de
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