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 Dalmatie. Le Ministre lui avait développé les difficultés politiques d’une pareille combinaison en lui demandant si une rupture avec la Russie qui en résulterait, lui semblait indiquée au point de vue des intérêts généraux de la Monarchie. Le Général était sorti de cet entretien con­ vaincu de l'urgence de plier ses prédilections locales aux nécessités euro­ péennes d'un ordre plus élevé.
Mais tout en constatant les courans (sic!) annexionistes slaves de l’Autriche-Hongrie, le Comte Andrâssy me répéta avec force qu’ils n’avai­ ent aucune chance de prévaloir; qu’on mettrait à la raison les récalci- trans (sic!) et qu’au besoin on sévirait contre eux; enfin que l’Empereur
lui accordait plus que jamais toute Sa confiance. Il ne fallait rien de moins pour l’attacher au service. Ministre depuis dix ans, comblé d’honneurs et n’ayant plus rien à ambitionner, il retrouverait dans un soulagement éventuel du poids des affaires la possibilité de veiller à ses intérêts de fortune qu’il négligait aujourd'hui.
Jq lui lus alors, à titre d’indiscrétion, le passage de la lettre de Votre Altesse: que nous ne voulions pas de fissure dans nos relations avec lui et que trop de personnes travaillaient déjà à y faire une brèche, ce qui ne serait ni dans l'intérêt des deux pays, ni dans celui du maintien de la paix générale, principal but des efforts de notre Auguste Maître..
Il me remercia de cette communication. L’attitude de parfaite loyauté du Cabinet Impérial lui était connue; mais une presse perfide, de fausses rumeurs, des télégrammes mensongers qui couraient le monde et qui étaient crus par les ignorans (sic!), toutes ces forces occultes qui, impuissantes à faire le bien, pouvaient malheureusement faire beaucoup de mal, — répandaient tant de confusion qu’il ne pouvait qu’entendre avec plaisir toute constatation réitérée de l’accord complet existant entre les deux Empires. Et jamais cet accord n’avait été aussi nécessaire qu’au- jourd'hui. Il l’était moins en vue des faits et gestes des insurgés de l’Her- zégovine, de ces demi-sauvages pour lesquels, après tout, »la possession d’un mouton valait plus que la vie d’un homme« et auxquels la Russie ne pouvait porter que des sympathies de tradition et d’humanité sans qu’au­ cun de ses intérêts positifs y fût engagé, — qu'en vue de l’horizon as­ sombri de l’Occident de l’Europe.
Partisan de la France, — me dit-il, — il ne pouvait cependant se refuser à l’évidence des progrès qu’y faisait l'élément radical. En Italie, c’était le Roi lui-même — il m’en parlait en toute confidence — qui pour payer les dettes et dissimuler l’inconduite d’un rejeton aimé, avait fa­ vorisé l'avènement d’un Ministère intimement lié à Garibaldi et dont le programme proclamait la nécessité de rechercher, à côté de l’accord avec les Gouvernemens, les sympathies des nations. Lui, Andrâssy, con­ naissait trop bien, et de sa propre expérience, les allures des conspira­ teurs pour se méprendre sur la dangereuse gravité de celtte parole. L’Es­ pagne sortait à peine d’une longue révolution; on savait ce qui se passait en Suisse et dans les élections allemandes les démocrates socialistes triomphaient sur toute la ligne. Que deviendrait la paix de l’Europe, le repos du monde, si les Empereurs de Russie et d’Autriche n’étaient pas fermement unis dans l’idée de la conservation?
АВПР, K-126. Novikow 203




























































































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