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pouvoir être amené à poser, après coup, à Constantinople une exigence aussi peu conciliable avec la dignité comme avec les droits souverains de la Porte. Comment, en effet, suggérer, à titre de garantie contre le renouvellement des massacres, le renvoi de ceux-là mêmes qui, aux yeux du Sultan, étaient censés les gardiens de l’ordre et de la sécurité publi que? Encore moins pourrait-il y consentir du point de vue politique, les insurgés ne demandant après tout l’éloignement des troupes que pour ne plus jamais les voir rentrer, en d’autres termes pour obtenir ainsi une indépendance complète. (Napomena na margini: C’est assez
clair.)
Autre chose serait d’insinuer aux Turcs, comme mesure d’oppor
tunité, non de garantie, de concentrer leurs troupes dans quelques places fortes durant les travaux de pacification. Si alors les insurgés se repli aient eux aussi, sur cette zone neutre qui sépare le Monténégro du terrain de domination ottomane, il pourrait en résulter de part et d’autre une suspension d’hostilités on ne peut plus propice à des pourparlers de paix.
Je dis à Mr Wesselitzky qu’un rapport récent de notre Consul-Gé néral à Raguse (du 6./18. Février) faisait espérer, de la part des Turcs, l’adoption d’un pareil programme. Il me répondit que ce serait un grand point d’acquis, mais que malheureusement, d’après ces nouvelles, la Porte se proposerait bien plutôt de poursuivre en Herzégovine la tactique qui lui a réussi en Crète, celle d’enserrer les population dans une série de blocs-haus (sic!).
En résumant la situation, je fis observer à mon interlocuteur com bien, dans la phase actuelle, la tâche de l’Autriche était plus responsable que la nôtre. — Depuis des mois les autorités dalmates avaient été suspectées et accusées à Constantinople d’entretenir l'insurrection. Cette attitude venait de subir un changement total. Il y avait du courage de la part d’Andrâssy, d’affronter les haines de millions de Slaves autri chiens en coupant les vivres à l’insurrection. Toute l’impopularité de ce procédé à leurs yeux retomberait sur l’homme d’Etat hongrois. Sans doute, il n'était que juste que le Gouvernement le plus intéressé à con tenir les aspirations des chrétiens d’Orient assumât aussi les inconvé nients de cette politique. Mais elle s’exerçait, après tout, dans un intérêt européen, celui de la paix, et le moins que nous puissions faire était de ne pas l’entraver.
Mr Wesselitzky embrassa ce point de vue avec conviction. Russe avant tout, me dit-il, ses sympathies, en second lieu, étaient acquises à l’Herzégovine, le berceau de sa famille. Désireux d’en sauver les Chré tiens d’une lutte d’extermination, il se déclarait prêt à vouer ses efforts zélés à une tâche de conciliation, pourvu qu’aux demandes que lui po seraient les insurgés, il pût leur garantir la sécurité et une amélioration relative, mais réelle, de leur sort. Car si, rentrés chez eux sur la foi de ses assurances, les Chrétiens devaient y retrouver la ruine ou la mort, il n’y risquerait pas seulement sa popularité, il serait encore accusé de tra hison.
Je n’hésita’ pas à lui déclarer que lorsqu’il s’agissait des Turcs, il fallait être bien téméraire pour aller au delà d’espérances plus ou moins timides ou de garanties morales plus ou moins risquées. En
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