Page 124 - index
P. 124
de la Monarchie, il me fit observer que la bienfaisance étrangère privée pouvait, dans une certaine mesure, suppléer aux privations qui en ré sulteraient pour les familles. Lui même apportait avec lui environ cent mille roubles destinés à soulager les misères les plus criantes. Dans quelles conditions ce mandat de charité pourrait-ii s’exercer?
Je lui répondis que l’humanité et la politique empiétant l’une sur l’autre, nous créaient un dilemme des plus difficiles et d’une solution pénible pour la conscience chrétienne. Cependant il y avait des principes dont on ne saurait dévier. La bienfaisance ne devait pas servir de masque à la politique, ni s’exercer dans un sens contraire à celle que nous suivi ons. Si, comme fondé de pouvoirs d’un Comité de secours privé, Mr Wes- selitzky avait eu une certaine latitude dans la répartition de ses fonds, cette faculté devait nécessairement subir une restriction du moment qu’il se chargeait de travailler officieusement à sa réussite de l’oeuvre pacificatrice des Cabinets.
Or, ce n’était pas seulement par mesure d’économie que l’Autriche coupait les subsides aux réfugiés; elle le faisait surtout dans un but po litique, celui de les familiariser avec la nécessité de regagner prochaine ment leurs foyers déserts.
Si donc, lorsque le Gouvernement Austro-Hongrois suspendait les subventions pécuniaires aux familles, un agent de bienfaisance leur bo nifiait ces pertes, il se trouverait en opposition flagrante avec l’action de la Puissance territoriale et les chrétiens ne manqueraient pas d’y voir un encouragement tacite à faire durer l’insurrection.
Que cet agent s’appelât Mr Wesselitzky, qu’en adviendrait-il? Le Baron de Roditch qui a reçu des instructions restrictives mais qui ne serait peut-être pas mécontent de trouver un srétexte pour en éluder l’exécution sincère, signalerait l’action de notre compatriote comme neutralisant la sienne et il s’en suivrait à notre égard une défiance qui rejaillirait sur les rapports entre les deux Gouvernements. Les réfugiés mêmes n’y gagneraient qu’un répit momentané dont ils ne nous sauraient pas gré. Nous aurions fait pour eux ou trop ou trop peu et j’avais pour ma part présents à l’esprit les souvenirs de l’insurrection de Crète où la Russie avait récolté l’ingratitude en raison même de l’importance et de la durée de ses bienfaits.
Je devais donc conseiller à Mr Wesselitzky de ne point agir sur les lieux sans une entente préalable avec les autorités et, s’il avait de l’argent à distribuer, j’aimerais mieux qu’il l'employât à subvenir aux besoins de la réinstallation des familles plutôt qu’au luxe de leur entre tien sur le sol étranger.
Ce serait aussi de la bienfaisance, mais mieux entendue et con forme à notre politique.
Mon interlocuteur me remercia de ces développements dont il appréciait, me dit-il, la justesse et l’opportunité.
Abordant ensuite les conditions préalables que les insurgés de l’Herzégovine mettraient à leur soumission, nous nous arrêtâmes plus longuement au retrait des troupes turques dont il prévoyait la demande.
Votre Altesse avait déjà réduit celle-ci à des proportions pratiques. J’ajoutai, de mon côté, que le Cabinet de Vienne ne me semblait guère
122