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 sacrifices ont été faits à différentes époques en Allemagne et en Russie, tandis que ces deux Gouvernements se trouvaient dans des conditions moins favorables que la Turquie dont les domaines de l’Etat possèdent des terres d’une grande étendue. Il s'agirait donc de discuter les de­ mandes des insurgés et de s’assurer du concours du P“ de Monténégro en tâchant de le payer par des concessions qui lui donneraient »plus d’air«.
Je demandais la permission de réfuter ce que le Prince, venait de me dire, à titre d’opinion personnelle. Je pense, lui dis-je, qu’en exami­ nant les demandes des insurgés point par point, nous retomberions dans le cercle vicieux de l’examen de la note Andrâssy. On a de la peine à bien légiférer chez soi, — légiférer chez le voisin est presque impos­ sible. L’on peut proposer des principes généraux, tels que l'autonomie, même l’indépendance tributaire, mais l’on ne peut s’immiscer dans l'administration d’un autre état, ni contrôler une répartition de terres, ni l'opportunité d'un désarmement. D’ailleurs si la Porte consentait à ces nouvelles concessions, serait-elle plus à même de leur donner une exécution pratique qu'elle ne l’a été dans l’accomplissement de ses en- gagemens (sic!) précédents. Ne serait-ce point nous créer des embarras nouveaux et voir de rechef le terrain nous manquer sous les pieds. Le Prince ne réfuta aucune de mes assertions, il sembla même partager toutes mes appréhensions et me répondit que s’il consentait de suivre la marche qu’il venait de développer, c’est qu'il la considérait comme plus, •— il chercha le mot, — »diplomatique«. Si les Cours du Nord poussaient leurs exigences au delà de celles des insurgés, les autres Grandes Puis­ sances y verraient des arrière-pensées, un motif de rompre le concert existant entr'elles et d’entrainer de leur côté l’Autriche-Hongrie, qu’il est essentiel de garder avec nous. »J'ai reçu à ce sujet«, ajouta le Chan­ celier, »des nouvelles de Paris qui ont leur importance. Je vais Vous donner lecture de la dernière dépêche du Pce de Hohenlohe,« qu'il me remit en effet.
Cette dépêche disait que les efforts de Mr Thiers samblaient aboutir et qu’un rapprochement s’opérait actuellement entre la France et l’Angle­ terre. Le Duc Decazes éveillerait les méfiances britanniques à l’égard de la Russie, ferait entrevoir à Londres les avantages que la Russie obtien­ drait sans doute à la chute de l’Empire Ottoman, la flotte qu’elle crée­ rait dans la Mer Noire et qui paralyserait celle que l'Angleterre pourrait entretenir sur les côtes de l’Egypte, l’occupation possible un jour, par notre flotte, de l’isthme de Suez, du passage par la Mer Rouge et la perspective de l’Empire des Indes exposé de cette façon à un coup de main. Le Р“ Hohenlohe croit à un travail dont l’issue pourrait être une alliance Anglo-franco-italienne à laquelle viendrait se joindre une Au­ triche-Hongrie mécontente de la tournure des affaires en Orient.
Si je n’avais lu ces élucubrations de mes yeux, je n’aurais pas cru à l’existence de cette dépêche et j'émis au Pce Bismarck mes doutes sur la justesse des appréciations du Pce de Hohenlohe. Je constatais cepen­ dant qu’elles avaient eu prise sur l’esprit impressionnable du Chancelier. Je terminais notre entretien en faisant ressortir, que s'il ne s'agissait pour le moment qu’à entretenir nos bonnes relations avec Vienne et à
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