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 Cette tâche m’a été rendue singulièrement difficile par la présence simultanée dans la capitale monténégrine de l’envoyé serbe agissant avec beaucoup de persistance dans une direction oposée. Mes entretiens avec le prince alternaient avec les siens et il n’était pas toujours facile d’en apprécier le résultat.
C’est dans le cours d’une longue audience que Son Altesse m’a ac­ cordée le onze mars que je me suis permis d’insister sur la nécessité de préférer les intérêts permanents du Monténégro et l’obéissance à la vo­ lonté clairement exprimée du Gouvernement Impérial aux chances d’une alliance dont les événements de 1867 ont démontré le peu de sûreté. J’ai trouvé le Prince partager au fond ces idées, il m’a dit même qu’il croyait que la Serbie ne cherchait à lui faire signer le traité que pour le faire produire à Constantinople et s’en faire une arme pour obtenir l’administration de la Bosnie et de l’Herzégovine, but véritable de sa politique. Il ne pouvait pas rompre brusquement des négotiations si avancées, mais une clause qu’il a introduite à l’art. 6 du traité devait, dans sa pensée, faire échouer le traité à Belgrade. Il souhaitait et de­ mandait pourtant qu’une pression y fût exercée de S‘ Pétersbourg afin qu’on ne donnât point suite au traité et qu’on gardât la paix.
Abordant ensuite le fond de la question, je me suis attaché à faire valoir les avantages qui résulteraient pour le Monténégro de la position privilégiée que les nouvelles réformes feraient à l’Herzégovine. Ce pays graviterait naturellement vers le Monténégro jusqu’à ce qu’une solution définitive soit rendue mûre par le temps.
Le prince Nicolas m’a écouté favorablement et a paru disposé à ajourner pour le moment l’idée de l’annexion de l’Herzégovine pourvu qu’elle obtînt réellement ce qu’on lui promettait. Son Altesse a ajouté qu'Elle ne désirait pas d’agrandissement territorial, mais qu’une rectifi­ cation de frontière qui procurerait aux Monténégrins un peu de terre cultivable et un point sur la mer pour exporter leurs produits rendrait plus supportable leur existence matérielle et donnerait à leurs aspira­ tions une direction plus pacifique.
Examinant ensuite la carte en mains les frontières du Monténégro j’ai supplié le prince de ne pas chercher ces rectifications du côté de l’Herzégovine, car les tribus limitrophes avaient de toutes les autres, le plus vitalité et d’énergie et leur séparation d’avec le reste du pays y affaiblirait trop la force de l’élément orthodoxe et, par conséquent, l’influence russe et monténégrine.
Le prince m’a répondu que ces considérations s’étaient déjà pré­ sentées à son esprit et que si on lui donnait Spitza et la Moratcha pour frontière du côté de l’Albanie, il se contenterait de Nikchitch en Herzé­ govine. C’est ainsi que Son Altesse s’était déjà exprimée envers le baron Roditch et Mr Colonna Cecaldi, Consul de France à Scutari, qui avaient sondé ses dispositions à ce sujet. La forteresse de Nikchitch était néces- slaire à sa sécurité et la plaine en pouvait devenir fertile par une culture assidue.
Il m’a semblé, cependant, que l’honneur militaire ne permettrait pas à la Porte de céder une place forte que ses troupes ont su défendre jusqu’à présent et qu’elle s’accommoderait plus facilement de l’abandon d’une parcelle du territoire albanais, qui n’a point servi de champs de
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