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 parfaite, se croiront en droit d'écraser sans merci les Chrétiens, et pous­ seront même leur outrecuidance jusqu’à s’imaginer qu’ils peuvent sans inconvénient froisser la Russie. Il ne peut plus être question après cela de ménagements à observer à l’égard de la Serbie. Il y a d’ailleurs un raisonnement particulier qui a cours ici à l’égard de l’attitude du Cabinet de Vienne dans la crise actuelle. On sait les populations excitées au dernier point par la lutte nationale qui vient d’éclater sur leurs frontières. D’après les rapports des agents Turcs, des souscriptions et des enrôle­ ments de volontaires se feraient sous les yeux mêmes des Autorités. Un négociant Dalmate aurait, dit-on, fait don de deux millions de florins pour la cause Slave. Dans ces conditions l’Autriche-Hongrie ne saurait rester neutre. Elle doit, selon les Turcs, ou suivre l’impulsion des peu­ ples limitrophes et secourir ouvertement les Serbes, ou bien rompre avec la Russie pour s’allier franchement avec la Porte contre les Slaves, sujets Turcs ou Austro-Hongrois. L’arrestation de Miletitch et quelques autres mesures de rigueur analogues font croire naturellement que c'est au second parti que s'arrêtera la politique Austro-Hongroise. On sait d’ailleurs qu'on est très contraire à Vienne et à Pesth à l’annexion de la Bosnie à la Serbie et de l'Herzégovine au Monténégro. On craindrait dans ce cas que la Dalmatie, très importante pour l’Empire des Habsbourg comme pépinière de marins, ne gravite vers l’une de ces Principautés agrandies.
D’après les informations confidentielles que je possède sur les dispositions de Cabinet de Vienne, il paraîtrait que le Comte Andrassy est parfaitement au courant de nos pourparlers avec les Ministres Anglais, et en serait peu satisfait. Il se montrerait hostile même à l’idée d’autonomie, et aurait fait ressortir à Londres l’urgence de ne point sortir pour les provinces insurgées du cadre des réformes recommandées par sa note du 30 Décembre. Le Ministre des Affaires Etrangères Austro-Hongries affecterait de croire que rien n’oblige les Cabinets à aller au delà des recommandations qu’ils ont faites il y a six mois, sans tenir compte de la situation modifiée de l’Orient. Il pense que les Puis­ sances devraient, en cas de défaite des Serbes, exiger de la Porte le maintien des réformes concédées. Or, à part l’application insuffisante et défecteuse qui en a été faite, il faut bien s’attendre que, une fois vito- rieuse, la Porte ne songera nullement à tenir compte des recom­ mandations de l'Europe, mais voudra introduire un régime uniforme dans toutes les parties de l’Empire. On parle déjà d'abolir les capitula­ tions, rêve (sic!) favori de la jeune Turquie, caressé de tout temps par Midhat et Khalil Pachas. On voudrait y faire un premier pas, en procla­ mant dans quelques provnces l’état de siège, afin de pouvoir y arrêter les étrangers à l’égal des indigènes. L'Ambassadeur d'Angleterre protégerait, dit-on, cette mesure, comme exigée par de prétendues nécessités du moment, sans songer à l’arrière-pensée dangereuse qu’elle dissimule. Y a-t-il lieu d’ailleurs de s’étonner de l’imprévoyance de Sir Henry Elliot lorsqu’on le voit provoquer de la part des Musulmans de Calcutta des adresses de félicitation et de dévouement au Sultan à l’occasion de
son avènement (sic!) au trône? C’est l’union Islamique protégée par le Représentant d’une Puissance qui aurait le plus lieu d’en être alarmée.
АВГГР, K-30. N. Ignatiew 408































































































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