Page 264 - index
P. 264

 Monsieur le Chancelier,
Mes Collègues sont très préoccupés de la tournure grave que pren­ nent les choses en Herzégovine.
Constatant l’échec du plan de pacification poursuivi jusqu’à présent, plusieurs d’entr'eux sont venus me demander si je ne croyais pas que l’Europe aurait pu prévenir de plus sérieuses complications en tranchant les difficultés présentes dans une conférence.
Je me suis borné à répondre que les questions pendantes ne me paraissaient pas suffisamment mûres pour être résolues diplomatique­ ment, qu’aucune idée nette ne s'était encore produite sur les solutions à leur donner, et qu’enfin les Turcs, peu préparés à l’urgence de se sou­ mettre au verdict de l’Europe, réfuseraient probablement d’accéder à des mesures radicales qui seraient seules capables de mettre fin aux complications actuelles. Or je ne voyais pas de force exécutive, sans l’application de laquelle les résolutions de la conférence resteraient sans effet ni valeur.
Cependant, si les Grandes Puissances voulaient à tout prix ré­ tablir la paix sur le continent, il faudrait évidemment, Monsieur le Chancelier, en venir à ce projet, sauf à ne toucher qu’aux questions déjà posées, sans préjuger en rien l’avenir.... Les solutions définitives seraient ainsi retardées, et une trêve de quelques années acquise à la Turquie à ce prix, dont les Chrétiens auraient à porter toute la charge dans les circonstances présentes. Il va sans dire qu’il faudrait en tout cas attendre que les choses s’éclaircissent un peu, avant de recourir à l’aide d’une réunion Européenne.
Mais en face du danger plus immédiat d’une agresion Turque contre le Monténégro ou les Principautés Vassales, nous nous sommes demandés quel serait le moyen d’arrêter la Porte. Mes Collègues m'ont insinué que selon l’avis de l’Ambassadeur d’Angleterre, si le traité de Paris soumet­ tait à des restrictions une attaque contre la Serbie ou la Roumanie, il était entièrement muet au sujet du Monténégro et laissait par consé­ quent à la Turquie une pleine liberté d’action à son égard. Partant de ce point de vue, j’ai cru devoir exprimer l'avis que dans le cas où le Gou­ vernement Ottoman songerait à envahir le Montagne Noire, en se basant sur son droit de faire une guerre étrangère — l'Europe aurait celui de dénoncer la garantie d’intégrité territoriale qui était acquise à la Tur­ quie par le traité de Paris. Si l’Etat Ottoman veut continuer à jouir de la sécurité exceptionnelle que lui assurent les Grandes Puissances, il ne doit pas la mettre en danger par des entreprises hasardées qu’elles sont unanimes à désapprouver. La Porte veut-elle, au contraire, user de son entière liberté d’action comme Etat parfaitement indépendant, il ne serait que juste que l’Europe lui retirât la garantie de son intégrité exposée
volontairement aux vicissitudes d’une guerre étrangère.
J’ai lieu de penser, Monsieur le Chancelier, qu’en dehors d’une intervention matérielle, qu'il est de l’intérêt de tout le monde d’éviter, c’est la seule menace qui aurait pu faire réfléchir les hommes de l’Etat Ottoman.
262


























































































   262   263   264   265   266