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Mon Prince,
Le jour même où j’ai eu l’honneur d’envoyer à Votre Altesse ma dernière expédition en cour (sic!), le 10./22. Mars, je vis arriver chez moi le Ministre des Affaires Etrangères.
Il me dit qu’il venait d’exprimer, par un télégramme adressé à l'Ambassadeur d’Autriche à St. Pétersbourg, les inquiétudes que lui fai sait éprouver l’état de choses en Serbie. Le Pce Milan différait Sa réponse à ia dernière communication de l’Agent austro-hongrois et il n'avait pas dissimulé à l’agent roumain qu’il le faisait dans l’attente de celle qui lui viendrait de St. Pétersbourg. Il était évident que Son Altesse spéculait sur une divergence de vues entre la Russie et l’Autriche. Or, rien ne pouvait être plus dangereux, et comme contrecoup sur les essais de pacification inaugurée en Herzégovine et surtout comme effet sur la Serbie elle-même.
Là se multipliaient les indices d’une véritable manie belliqueuse. A part les 60.000 chassepots achetés à Berlin pour le compte du Gouverne ment Serbe et l’emprunt intérieur forcé d’un million de ducats, emprunt décrété de manière à frapper solidairement les communes à défaut de contributions volontaires, — le Général Baron de Mollinary envoyait à Vienne des rapports alarmants sur les préparatifs militaires des Serbes. Il avait parlé de mise sur pied de guerre d’une centaine de bataillons et d’organisation de plusieurs corps de milice qui arriveraient jusqu’au chiffre voisin de 200.000 hommes. Et bien que le Comte Andrâssy lui eût fait ressortir l’exagération de ces données, le Général n’en avait pas moins continué à enregistrer des nouvelles inquiétantes. Il avat signalé, en tout dernier lieu, l’envoi clandestin, de nuit, de pontons destinés à livrer passage sur trois points de la Drina à trois colonnes de troupes serbes qui se prépareraient à envahir la Bosnie.
Je rappelai à mon interlocuteur ce que le Prince Milan avait dit à Mr Kartzow, que les miliciens serbes étaient encore à la charrue, et j’ajoutais qu’il me semblait peu probable que le Cabinet de Belgrade songeât à s’avancer aujourd’hui que la mission Alimpitch avait échoué et qu’il n’y avait plus d’espoir d’entraîner le Monténégro.
Le Ministre des Affaires Etrangères me répondit qu’il commençait à redouter, de la part des Serbes, un parti pris de se jeter dans les aven tures même sans l’appui des Monténégrins. On avait entendu le Prince Milan dire qu’il ne se laisserait pas prendre à la remorque par le Prince Nicolas.
Ceci me rappela les propos analogues qu'il avait déjà tenus à l’agent de Grèce et qui sont consignés dans mon rapport du 10./22. Février No 35.
Deux jours plus tard, ayant eu l’honneur de recevoir le télégramme de Votre Altesse du 13./25. Mars, qui répond point par point à toutes les appréhensions émises par le Comte Andrâssy, je me rendis chez lui dans la matinée du 14./26. pour m’acquitter des ordres dont j'étais chargé. Je le trouvai déjà en possession d’un télégramme du Bn de Langenau reproduisant exactement les paroles de Votre Altesse.
Le Ministre me dit que l’Empereur François-Joseph avait accueilli avec satisfaction et reconnaissance la déclaration du Cabinet Impérial que j’avais eu l’ordre de transmettre au Pœ Milan, à savoir que la Russie
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