Page 177 - index
P. 177

 le cas où celle-ci attaquerait les Turcs, il lui avait été répondu de notre part, que s’il sortait de sa neutralité, ce serait à ses risques et périls, quelques lourdes que pussent en être les conséquences pour le pays.
Le Comte Andrâssy ne pouvait du reste que me répéter catégorique­ ment qu’il ne songeait point à donner suite aux mesures comminatrices annoncées dans sa dépêche et destinées uniquement à servir d’intimi­ dation. Mais il était tout aussi convaincu que la résolution de ne pas intervenir, déclarée d’avance, ferait le plus grand tort à la cause de la paix. C’est à ce point de vue qu’il regrettait que dans le langage prescrit à notre agent a Belgrade la menace d’intervention eût été omise, car il suffirait que cette nuance fût connue du parti d’action pour que tous nos efforts d’apaisement demeurassent stériles. — Le désaccord latent entre la Russie e l'Autriche ne formait-il pas le thème favori de la presse slave, et lorsque le Ministre-Président Hongrois eut répondu au député Polit ce que lui, Andrâssy, venait de dire à Belgrade, à savoir qu'ils s'abusaient étrangement ceux qui entraînaient les Serbes par l’espoir que l’entente entre les grandes Puissances pourrait être rompue — »elle le sera!« s'était écrié l’agitateur Miletics.
Je tâchai de calmer les appréhensions de mon interlocuteur en lui répétant, de mon côté, qu'on avait chez nous une entière confiance dans ses intentions et qu’on appréciait comme lui la nécessité d’un langage identique sans aucune fissure. »Mais encore une fois« — ajoutai-je — »dans l'incident actuel, la faute en est à Vous. Lorsqu’on veut être soutenu par ses amis, on ne les laisse pas dans l’ignorance de ce qu’on attend d’eux et on ne les abandonne pas aux surprises des nouvelles télé­ graphiques«.
»Je le sais, me répondit-il en riant, — mais que voulez Vous? on ne fera jamais de moi un Ministre bureaucrate«.
Notre conversation en resta là, et Vous voudrez bien en relever, mon Prince, combien les prévisions de mon télégramme du 6./18. Mars avaient porté juste.
Qu’il me soit permis de compléter ce rapport par quelques consi­ dérations.
A l’heure qu'il est, le texte de l’instruction à Wrede se trouve entre les mains de Votre Altesse. Elle pourra juger en pleine connaissance de cause si ce document abuse du nom de la Russie, ou s’il ne contient qu'une constatation avouable de l’accord austro-russe et si, dans ce cas, les télégrammes de Belgrad (sic!) n’auraient pas quelque peu chargé les couleurs.
Mais en quoi le Cte Andrâssy a incontestablement raison, c’est qu’on ne croit pas à Belgrade à la sincérité de l’entente et qu’on y prête vo­ lontiers l’oreille aux propos contraires. Ainsi, prévenu par l’agent Serbe à Vienne du jugement défavorable que j’avais porté sur la mission d’Alimpitch à Cettigné, le Ministre Princier des affaires étrangères a eu le front de fui répondre qu’il était »surpris« de mon langage vu la loyauté connue et que je ne pouvais pas ignorer, avec laquelle le Gou­ vernement Serbe obtempérait aux conseils du Cabinet Impérial.
АВПР, K-126. Novikow 175


























































































   175   176   177   178   179