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 Monsieur le Chancelier,
Convaincu de l’utilité pratique d’éviter dans les circonstances actu­ elles tout semblant de controverse avec le Cabinet de Vienne, je m’absti­ endrai de relever, dans un esprit de polémique, certaines observations de notre Ambassadeur en Autriche-Hongrie destinées à mettre en lu­ mière le point de vue du Comte Andrâssy et consignées dans les pièces diplomatiques dont Votre Altesse a bien voulu me donner communication par le dernier courrier. Je me bornerai uniquement à quelques renseigne­ ments propres à éclairer la situation locale à Constantinople, en complé­ tant les informations de Mr Novikow.
Si j’ai bien saisi le vrai sens du langage tenu par le Ministre des Affaires Etrangères à notre Ambassadeur, le Comte Andrâssy ne se serait réservé que la haute direction des matières relatives à la question des réformes, en Bosnie et en Herzégovine, recommandées à la Turquie comme moyens de pacification par l’Europe. Il ne se proposerait pas d’intervenir dans des pourparlers éventuels entre la Porte et les in­ surgés, à l’avantage de ces derniers, ou avec le Prince du Monténégro, quant aux satisfactions qu’il pourrait retirer par suite de la lutte en Herzégovine. Le noeud de cette question serait, pour citer les propres termes de Mr Novikow, à Constantinople.
Loin de me plaindre, de ce partage de responsabilité, je me contente. Monsieur le Chancelier, de ce que le Comte Andrâssy admet enfin l'éven­ tualité d’une entente directe entre la Turquie et la Montagne Noire pour l’apaisement de l’insurrection. Je me féliciterai sincèrement de voir le Cabinet de Vienne n’élever d’entraves sérieuses à cette issue ni à Con­ stantinople, ni sur les lieux.
L’idée d’un accord entre la Porte et la Prince Nicolas n'est pas neuve. Depuis l’affaire de Podgoritza nous n’avons cessé de la préconiser. Ce point de vue persistant du Cabinet Impérial a été tantôt discuté en première ligne, tantôt relégué au second plan par les circonstances, sans jamais être abandonné. Quelques uns des Ministres Ottomans ont paru plus d'une fois l'aborder franchement sans arrière-pensée. L’adhé­ sion de la Porte aux propositions des Puissances pour la pacification des provinces insurgées prouve qu’elle n’a pas voulu se servir des négocia­ tions directes à entamer avec le Monténégro comme d’un »piège« desti­ né à faire »avorter« la récente démarche Européenne. Mais tant que cette démarche était en suspens la pensée d’une entente avec le Prince Nicolas devait naturellement faire naître des objections dans l’esprit des hommes d’Etat turcs, parce qu’ils avaient de bonnes raisons de croire à l’host’lité de l’Autriche-Hongrie à tout agrandissement territorial ou morai de la Principauté Monténégrine. Il n’entre pas d’ailleurs dan&les habitudes de la Porte d’agir »visière haute« comme notre Ambassadeur à Vienne s'étonne de ne pas la voir procéder. D’ordinaire elle marche à tâtons avant de se décider. L’hésitation constitue en outre un des traits propres du caractère personnel de Rachid Pacha. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris de la mission, en quelque sorte »clandestine«, du Docteur Kétchet. Elle consistait, comme l’attestent les rapports de Mr Yonine lui-même à son retour de Cettigné- à remettre une lettre d’Aly-Pacha au Prince Nicolas, a rapporter une réponse et à sonder le terrain. Il me revient qu’à son retour Aly-Pacha a demandé très secrètement l'autori­
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