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 Monsieur le Chancelier,
Le Conseil des Ministres a été saisi, Mercredi dernier, de la question de la rentrée en Herzégovine des familles émigrées et des conditions qu’y rattachait le Cabinet de Vienne. Un véritable orage a éclaté dans son sein à propos de la proposition de Mahmoud Pacha d’ouvrir à Wassa et Haïdar Effendis, nommés présidents des conseils électifs de Mostar et de Sarajevo, un crédit de 50.000 livres, destinées à être distribuées en secours aux fugitifs entrants. Non seulement Mahmoud Damai Pacha, Ministre du Commerce, mais aussi le Ministre des Finances, Youssouf Pacha et même Djevdet Pacha, se sont élevés contre cette dépense. Us insistaient sur la nécessité, à leur point de vue, de faire retomber la charge en question sur les populations locales elles-mêmes au moyen d’une taxe supplémentaire. Plusieurs Ministres se sont récriés contre l’injustice d’imposer les musulmans pour satisfaire des insurgés qui avaient versé des flots de sang turc. En présence de ces dispositions, le Grand Vézir a été obligé de transiger relativement aux impôts dont il voulait accorder l’exemption aux provinces insurgées pour deux ans. Sur l’observation que le Comte Andrâssy ne demandait qu’une remise des taxes d’un an, Mahmoud Pacha a consenti à restreindre à 12 mois l’exemption de la dîme, en ne laissant subsister le terme de 2 ans que pour les autres impôts. Un délai de quatre semaines sera fixé pour la rentrée des familles émigrées. Les mêmes concessions ont été étendues aux familles réfugiées au Monténégro ou en Serbie. Il a été décidé, en outre, que les Représentants des six Puissances à Constantinople seraient
informés par écrit de ces résolutions.
De vives alarmes se sont répandues dans le public le lendemain du
jour du Conseil par suite des faux bruitsl propagés par la presse. Un journal turc, le »Bassiret«, généralement inspiré par le parti de la jeune Turquie au Seraskérat, a prétendu qu'un délai de quatre semaines venait d’être donné aux Monténégrins et aux Serbes, qui servent dans les rangs de l’insurrection, pour se retirer, et qu’on ne ferait pius quartier aux insurgés passé ce terme. Une baisse sensible s'en est suivie à la bourse. Sur mes instances le Gouvernement a fait démentir dès le lendemain cette nouvelle qui n’était, en somme, qu’un propos de caserne.
Mais le principal obstacle aux résolutions du Conseil est venu de Server Pacha. Celui-ci de retour à Constantinople par Vienne — où du reste il ne s’est arrêté que deux jours et n’a vu personne — a persuadé le Palais, en continuant son système de mensonges, qu’il n’y avait plus ni insurgés, ni émigrés, que le calme régnait en Herzégovine et que des sacrifices nouveaux semblaient inutiles. Le Sultan a fait aussitôt adresser au Grand Vézir un écrit dans ce sens et les Ministres ont été forcés de se réunir encore une fois Vendredi soir, c’est-à-dire le jour même pour lequel Rachid Pacha avait promis au Comte Zichy une réponse.
Cependant, interpellé par Mahmoud Pacha, Server Pacha a fini par refuser de garantir l’exactitude des faits qu’il avait avancés et par avouer que quelques familles réfugiées pouvaient être encore en Dalmatie. Rachid Pacha, pour avoir des armes contre lui, m’a prié de demander confidentiellement à nos Consuls à Mostar et à Raguse des renseigne­ ments sur le nombre des insurgés. Je me suis empressé de le faire par les deux télégrammes secrets ci-joints en copie.
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