Page 826 - index
P. 826
Ce sont ces considérations qui avaient inspiré mon télégramme du 14 Novembre. Votre Altesse m’ayant répondu par son télégramme du 15, qu’on ne saurait dès le début de la négociation demander une pro longation de l’armistice, j’ai dû éviter d’en parler avec mes collègues et de les y préparer peu à peu. Aussi je n’ai pas cru possible de contredire le Marquis de Salisbury lorsqu’il exprima l’avis, dans une de nos réu nions préliminaires, qu’il ne faudrait pas admettre une prolongation de l’armistice de plus de quinze jours, afin de tenir les Turcs en haleine et ne pas leur laisser la faculté de traîner les négociations en longueur.
Quelques jours plus tard je reçus Votre télégramme du 12 Dé cembre qui me prescrivait de tâcher d’obtenir une prolongation de l’ar mistice jusqu’au 1er Avril de l’année prochaine. Le temps matériel me manquait pour provoquer un accord entre les Représentans (sic!), selon les ordres de Votre Altesse. J’ai donc profité de l’initiative prise par Safvet Pacha lui-même à la seconde séance de la conférence pour donner mon assentiment à la prolongation de l'armistice jusqu’au 17 Février/1 Mars, ainsi que j’en ai rendu compte à Votre Altesse dans ma dépêche du 16 Décembre sub N 599. J’ai dû me contenter de ce résultat sans insister sur le terme du 1er Avril, afin de ne pas me placer en contradiction flag rante avec l’attitude que j’avais adoptée il y a deux mois lorsque nous réclamions avec insistance un armistice de courte durée. Un brusque changement de tactique aurait pu nous rendre suspects et aurait peut- être amené les Plénipotentiaires Ottomans à retirer leur proposition. J'ai d’ailleurs fait valoir notre adhésion à cette proposition comme une con cession que nous faisions à la Porte et comme une nouvelle preuve de notre désir de maintenir la paix.
Tout en rendant justice à mes dispositions conciliantes, mes Col lègues ont été assez surpris de me voir accepter une prolongation de l’ar mistice qui leur semble dépasser la mesure du strict nécessaire et qui ne répond pas, selon eux, aux besoins de la situation. Us attribuent même à ce fait les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui au sein de la conférence de la part des Plénipotentiaires Ottomans, que la menace de
la reprise prochaine des hostilités aurait rendus, pensent-ils, plus coulants.
Quant à ces derniers, après avoir pris eux-mêmes l’initiative de la décision adoptée par la conférence, ils regrettent vivement leur motion, comprenant l’erreur qu’ils ont commise. Ils avaient évidemment en vue, en parlant de l’armistice, d’évoquer une question sur laquelle ils croyaient nous trouver intraitables et qui nous aurait placés en contradiction avec les autres Puissances. Ce résultat n’ayant nullement été atteint, le Grand Vézir accuse Safvet Pacha de n’avoir pas profité de l'hésitation témoignée par quelques uns des Représentans (sic!) pour laisser tomber la question sans y donner suite. Midhat Pacha va jusqu’à prétendre que j’ai dressé un guet-apens aux Plénipotentiaires Ottomans et que j’ai profité de leur naïveté pour priver la Turquie de la possibilité de porter à la Serbie le coup de grâce avant que nos troupes n’aient eu le temps d'arriver à son secours. Il est de fait que la Turquie a pris envers toutes les Puis sances l’engagement de ne pas attaquer la Serbie avant le 17 Février/1 Mars, tandis que nous gardons, en cas de guerre, notre entière liberté d’action sur toute la ligne des opérations militaires.
А.В1ГР, K-33. N. Ignatiew 824