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 Mon Prince,
L’Ambassadeur d'Autriche à Constantinople a transmis récemment au Cte Andrâssy quelques insinuations des Ministres Turcs entièrement conformes aux données du télégramme que Votre Altesse a bien voulu m’adresser en date du 5./17.
Au dire du Comte Zichy, les Conseillers du Sultan avaient exprimé le désir que les Puissances formulassent leurs propositions à Constanti­ nople avant même l’adhésion de l’Angleterre, attendu qu’on gagnerait ainsi de la marge pour la discussion. Ils demandaient en outre si l’Europe pouvait leur garantir que, la Porte cédant, les insurgés à leur tour dé­ poseraient les armes et si, dans le cas contraire, l’Autriche consentirait à fermer à ceux-ci sa frontière dalmate et à permettre aux Turcs d’oc­ cuper militairement le Monténégro.
Voici la réponse que compte faire à ces différentes questions le Ministre des Affaires Etrangères d’Autriche.
Il écrira au Cte Zichy que dans son idée il ne s’agit nullement d’en­ tamer, sur les propositions des Puissances, une discussion académique qui, trainée en longueur, s'écoulerait dans le sable et risquerait de placer l’Europe devant une situation aggravée. Il s’agit de faire vite, de dire oui ou non.
Quant aux garanties contre une résistance continuée par les in­ surgés, les Turcs devaient comprendre qu’ils demandaient l’impossible, puisqu’il ne pouvait y avoir de garantie réelle que dans une occupation étrangère du pays, hypothèse que probablement ia Porte serait tout aussi peu disposée à admettre que l'Autriche à la suggérer.
Du reste, le Gouvernement Austro-Hongrois ne se refuserait pas à redoubler de surveillance sur sa frontière pour faire tarir dans la me­ sure du possible les ressources de l’insurrection; mais il repoussait caté­ goriquement le projet d’une occupation éventuelle du Monténégro, parce qu’il y verrait une prime d’encouragement au premier venu parmi les généraux turcs pour faire naître une occasion de conflit avec cette Prin­ cipauté.
Je n'ai pu que me rallier à la vérité pratique de ce raisonnement. En effet, il ne serait pas impossible qu’à défaut de lauriers plus difficiles à cueillir dans les luttes de l'Herzégovine, la Turquie songeât à rétablir le prestige de ses armes en pénétrant dans le Monténégro du côté de l'Albanie, ainsi qu’elle l’avait fait en 1862.
Indépendamment de ceia j’appelai l’attention du Cte Andrâssy sur le piège que me semblait cacher l’insinuation de la Porte. On n'ignorait pas à Constantinople l’intérêt traditionnel que Sa Majesté l’Empereur portait à l’intégrité et à l’indépendance de la Montagne Noire et l'on y croyait peut-être que l’Autriche-Hongrie professait à l’égard de ce petit pays une indifférence relative. En mettant en avant, tour à tour, la Dalmatie et le Monténégro comme foyers de ravitaillement, ies Turcs n'espéraraient-ils pas introduire en élément de discorde entre St. Péters- bourg et Vienne?
Le Ministre des Affaires Etrangères abonda entièrement dans le sens de cette supposition.
АВПР, K-126. Novikow 38
























































































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